juil 09 15

Quelle drôle d’ambiance. Je commence à écrire dans l’hémicycle, bien installé à mon confortable pupitre équipé de toutes les prises électriques que les engins de notre temps nécessitent. C’est permis. Pendant ce temps, les présidents de groupes débitent des compliments au nouveau président du parlement que la droite et les sociaux démocrates viennent d’élire. C’est un Polonais. Pas moyen de ne pas le savoir.

UN POLONAIS! ALLELUIA!
Tout le monde brode sur le moment historique que représenterait l'éléction d'un Polonais tout droit venu de l'ancien empire du mal ! Une bonne façon d'emballer cet épisode politicien. Il se déverse donc un torrent de références larmoyantes à la coupure entre l’est et l’ouest dorénavant dépassée et bla bla bla. Evidemment tout cela vient à point pour masquer quelle honteuse collusion est à l’origine de cet épisode. Moderne comme une horloge viennoise ! Evidemment le fond anti communiste est omni présent. C’est à vomir, quand on connait le niveau d’asservissement aux délires libéraux de cette cohorte de phraseurs lénifiants.  Le pire dans ce registre est le social démocrate Hans Martin Schultz, président du groupe « alliance progressiste des socialistes et des démocrates ». Tout un programme que le nouveau nom de l’ancien groupe socialiste ! En Abrégé nous a-t-on expliqué : SPD ! La boucle est bouclée pour les socialistes français. Bref, ce Schultz en rajoute dans la dénonciation des « dictateurs rouges » comme au bon vieux temps des « berfuf verboten » où les communistes étaient interdits d’emplois publics en RFA. Répugnant. On sent tout le confort que représentait cet ennemi à présent disparu pour ces gens afin de justifier leurs turpitudes. Heureusement que ce président polonais a eu un mot pour signaler le fait que ce jour était celui de la fête nationale des Français. Ajoutons : et celle de la liberté pour tous ceux qui la célèbre dans le monde, qu’ils soient français ou pas. Jacky Hénin, euro député Front de gauche et moi, assis côte à côte, en haut à gauche de l’hémicycle, on a applaudi. Les autres Français ont fini par en faire autant ! Juste une petite respiration politique dans ce flot d’eau tiède nauséeuse ! Le moment le plus grotesque c’est celui où ce nouveau président a offert publiquement à l’ancien, l’allemand Hans Pöttering, une statue de sainte Barbe, taillée dans un bloc de charbon. Nul ! D’abord pour cette grossière apologie de la superstition, aussi peu laïque que le reste de cette institution et de son drapeau marial. Ensuite parce que le président polonais s’est vanté d’avoir lui-même fait fermer plus de vingt deux puits de mines dans sa région. Un autre moment spécialement nul est celui où la porte parole des Verts a fait son numéro de cire pompe. Elle a félicité le président polonais, Jerzy Buzek, de toutes les façons possibles pour son passé d’anti communiste puis pour son implication dans la « révolution orange » en Ukraine. Et avec ce qui lui restait de temps elle a appelé de ses vœux qu’on se soucie de l’Ukraine. On devine comment. Cette séance du musée Grévin de la politique Mac Carthiste européenne a enfin fini avec la coupure du repas. Je me suis enfui en ville pour le déjeuner, au pied de la cathédrale. Je me suis consolé avec un magret de canard aux griottes. Le bourgueil se mariait bien avec. A mon avis. Juste un verre. Des gens vont et viennent, juste pour le plaisir.

PLACE 373

Je suis installé à la place numéro 373, en haut de l’hémicycle, à gauche. Le plus à gauche de ma rangée qui est d’ailleurs la dernière avant le couloir. A ma gauche il n’y a que les fonctionnaires de la commission qui, par une bizarrerie coutumière, siègent aussi dans le parlement tout comme la commission qui a ses bancs juste en face de moi.  Ainsi se réalise, à quelques mètres près, la menace de mon premier président de groupe au Sénat, feu André Méric, qui avait tonné : « compte tenu de ce que ton discours, on devrait mettre ton banc dans le couloir ». Paix à ses cendres. Et maintenant, je peux observer de ma place cette assemblée de 700 personnes qui en représentent un demi-milliard d’autres. Un mur abstrait de tenues sombres et, par ci par là, une tache de couleur. A côté de moi, Jacky Hénin, puis Elie Hoarau. Trois du Front de gauche côte à côte. Nos deux autres collègues Patrick Le Hyaric et Marie Christine Vergiat siègent quatre rangs plus bas, ce qui est très loin. Devant moi la nuque raide de mon ami Helmut Scholtz, le secrétaire aux relations internationales de Die Linke. Pendant que j’écris les orateurs de ce parlement se succèdent à la cadence d’une ou deux minutes de temps de parole. Passé au tamis de la traduction tout cela donne un filet de voix uniforme, celle des traducteurs, sans aucun relief qui accroche l’oreille.  Il faut suivre attentivement. Ce qui se dit est intéressant. Parfois ! Ouf ! Un peu de politique. Après l’audition du président du cycle semestriel, le premier ministre suédois, les intervenants  se répartissent entre congratulateurs et discuteurs. La mer baltique compte beaucoup dans les interventions côté congratulations. La nullité des politiques libérales face à la crise tient le haut chez les discuteurs. Une voix de droite pointe le danger d’extrême droite dans le contexte de la crise. Plusieurs s’inquiètent du nouveau vote imposé aux Irlandais. Je ne repère pas toujours l’orateur et donc son parti. On est en retard. Très en retard. Le vote pour les questeurs est reporté de minute en minute. De midi prévu pour le vote nous voici à treize heures. Des assistants de toutes sortes circulent entre les travées. Des gens sont debout, d’autres lisent des journaux, j’en vois un qui téléphone, plusieurs qui discutent très vigoureusement debout dans l’allée juste devant l’oratrice. Ca ressemble davantage à une Assemblée générale du mouv qu’à un parlement. Notre groupe du Front de gauche participe à sa façon à cette ambiance. On se place en haut des travées et nous faisons une photo en pleine séance. Pas de problème ! Dans ce chaos, à mesure que l’heure avance, il est impossible de repérer un orateur dans cette salle immense avec tous ces gens debout. Trop de mouvements, trop de circulation, trop de brièveté. Quand le premier ministre suédois répond, le bazar ne faiblit pas un instant. Je découvre que tout le monde pouvait parler à condition de lever la main et de retenir l’attention du président. Hum. De toute façon, c’est trop tard pour moi ! Enfin on vote. A bulletin secret électronique. On commence par un test qui amuse bien tout le monde. Il faut choisir entre cinq chanteurs d’opéra. Je vote Luciano Pavarotti et Jessye Norman. On plaisante. Tout à l’heure ce sera la soupe à la grimace car il s’agit d’éliminer des candidats. Cette buse de Martin Schultz, le lamentable chef de la social démocratie, intervient et ensuite un autre qui demandent des précisions puériles que tout le monde avait compris avant qu’ils ouvrent la bouche. Bruits, rires. On passe donc au vote test proposé pour nous instruire dans l’art de manier notre pupitre de vote. Résultat : Luciano Pavaroti élu ! Encore des interventions pour demander des précisions. De nouveau Martin Schultz nous rappelle que ce n’est pas le vote réel. Rires. Le président parle à présent un italien délicieux à entendre après cette cure de polonais ! Pour nous le piège est de voir notre candidature explosée par les compétitions sauvages entre candidats pirates de droite car il y a multitude de candidatures sauvages.  Voyons ! 696 votants, deux nuls. Notre candidat passe ? Non ! On va déjeuner ? Ah non ! Il y a un deuxième tour pour trois sièges. Il est deux heures moins le quart ! Le président veut reporter à quinze heures ! Clameurs d’indignation dans la salle. Bon, on vote maintenant. Applaudissements. Ca vire à l’ambiance potache cette séance ! Je vois que notre candidat est numéro deux sur la liste à l’issue du premier tour. Mais quand on lit l’écran de vote il n’y a pas la moindre référence au parti des candidats. Juste des noms. On suit la liste des consignes de vote du groupe auquel on adhère.  Les assistants circulent dans les rangs. Bonjour le secret du vote ! Nous, à la GUE, on bloque notre vote sur un seul nom pour faire la différence si possible. Ca s’appelle, je crois, le vote à la polonaise, non ?  Troisième tour ! A la majorité simple précise le président ! Ah ! Deux votants de plus ! Ah c’est fait : notre candidat est élu ! Hé ! Hé !

PREMIERE INTERVENTION : HONDURAS
Cet après midi je fais ma première intervention en séance. Ce sera en défense du président hondurien Manuel Zélaya ! Une minute de temps de parole ! Le ton de la Commission et du Conseil ne m’a pas inspiré confiance. Il n’était question que d’appel au calme, à la retenue « des deux côtés » et ainsi de suite.  Plus évanescent, tu meurs. Voici mon propos, tout frais sorti de ma bouche. « Monsieur le président, l'affirmation de nos principes pacifiques par des appels au « compromis » et à « la retenue » entre les deux parties du conflit en cours ne doit pas conduire à donner l'impression de renvoyer dos à dos le gouvernement démocratique du Honduras et les putschistes qui l’ont destitué. Car dans un tel cas la violence des insurgés qui luttent pour le retour du président est légitime et celle des putschistes est criminelle. La mobilisation personnelle des chefs d'Etat d'Amérique centrale et du sud pour soutenir le rétablissement inconditionnel du président  constitutionnel Manuel Zelaya montre que tout le continent veut en finir définitivement avec la période des coups d'Etat et des dictatures. A la suite de la décision unanime de l'ONU et des décisions de l'ensemble des organisations régionales de coopération, l'Europe doit prendre sa part de ce combat historique. Car il s'agit d'un combat et non d'un arrangement. L'Europe doit interrompre toute relation et négociation, de tous ordres, politique et commercial, avec le régime factieux et exiger le retour inconditionnel du président Zelaya. L'Europe doit également demander au gouvernement de Monsieur Obama que les USA interrompent eux aussi leurs relations commerciales et militaires avec le régime factieux. Ainsi nous montrerons-nous conformes aux principes que nous évoquons souvent pour en exiger des autres l'application. » Je peux dire que j’ai fait un tabac. C'est-à-dire que le président suédois  a dit exactement le contraire en résumant le débat. Pour lui il faut un « arrangement » entre les parties et le retour de Zélaya est certes « indispensable » mais il ne « suffirait pas à rétablir l’ordre constitutionnel ». Tel Quel. Ont suivi moultes bonnes paroles desquelles il ressort que les « négociations » prendront du temps. Sachant que le mandat de Manuel Zélaya s’achève dans six mois, on comprend où tous ces gens veulent en venir. Après ça inutile que je commente le débat précédent sur la Chine où se déversa un flot de stupidités bien pensantes d’autant plus arrogantes et néo colonialistes qu’elles émanent d’un continent en proie lui aussi aux émeutes urbaines et prodigue en traitements inhumains à l’égard des minorités et des immigrés. Vérité intransigeante pour la Chine devient relative pour le Honduras. Evidemment c’est une comédie. Juste une comédie. Pas drôle. La séance est close après cela. Ma journée a commencé à cinq heures quarante cinq ce matin pour enregistrer à six heures quarante cinq la matinale de RTL avec Marc Tronchot. Puis j’ai enchainé par un rendez vous à la gare avec Olanta Humala le leader du parti national Péruvien que j’ai ensuite conduit jusqu'à son accueil devant une délégation du groupe GUE dans les murs de verre du parlement. A midi, j’ai fait un petit quelque chose avec la télé France Trois. Et d’un endroit à l’autre, entre deux temps assis sagement à mon banc dans l’hémicycle, j’ai été suivi par la caméra de « Public Sénat » qui est ma chaine chouchou compte tenu du fait qu’elle était ma voisine de bureau dans le Palais du Luxembourg. Tout à l’heure j’irai dîner avec les camarades du PG de Strasbourg. Et demain on recommence à neuf heures. Jour important pour moi. Je suis le candidat de la GUE au poste de vice président de la commission des affaires étrangères. Baudis aussi. Le sud ouest va être super présent à l’international, je pense …

AU MARTYR INCONNU
A tout hasard,  je poursuis mon petit reportage d’entrée en fonction au parlement européen. Le matin du seize juillet  a été la séance de mise en place des commissions. Auparavant une plénière s’est tenue. Le président est entré dans l’hémicycle au milieu de l’habituel tumulte des allées et venues et du brouhaha des discussions des députés. Personne ne s’est levé à l’annonce de son entrée comme on le fait chez nous et aucune activité ne s'est interrompue dans cette agora. Moi je me suis levé par habitude et je suis resté debout, mais je bavardais activement avec mon voisin Jacky Hénin. Je n’ai pas mis de cravate aujourd'hui. Ici ce n’est pas obligatoire. Jacky non plus mais ça ne lui fait ni froid tandisque moi ça me rend nerveux. Ici, Hénin, c’est celui qui m’aide en tout et pour  tout, avec un esprit de camaraderie sans façon, qui est un vrai bonheur dans ce lieu auquel je ne connais rien. Je sais seulement que le parlementaire qui ne réagit pas vite au début sur toutes les questions d’intendance est ensuite longuement bizuté par tous les malins qui connaissent les raccourcis dans les circuits d’une assemblée. Je ne sors pas de l’œuf à ce sujet. Donc je me préoccupe de bureau, d’étage, de taxis et d’hébergement car mon assistante commence dans le métier et elle n’a pas encore l’inflexible âpreté des vieilles troupes aguerries qui m’entourent à Paris. Je suis fauché en peine discussion sur les mutuelles complémentaires. Car soudain tout le monde est debout et je vois bien qu’on observe une minute de silence. Mes voisins  s’interrogent pour savoir à quel propos. Je ne peux les aider et je me contente de me taire comme tout le monde, debout dans une pause de respect. Je saurais ensuite qu’il s’agit de cette militante des droits de l’homme en Tchétchénie. J’aurais du m’en douter. Ca ne pouvait pas être pour les jeunes gens assassinés par les militaires honduriens. Les bons martyrs ici sont les martyrs utiles à la propagande atlantiste. Notez que je ne dis rien contre cette malheureuse femme puisque je ne sais rien d’elle. Mes voisins non plus. Personne n’a pu m’en dire un mot. Ce que j’en sais depuis, je l’ai lu dans le journal où je l’ai recherché car j’étais curieux de savoir et aussi un peu confus.

ENTREGENS
J’ai beaucoup croisé mes camarades du PS français. Plusieurs d’entre eux m’ont parlé amicalement et la conversation a eu ce tour si plaisant et humoristique qui est souvent possible avec des socialistes quand ils font une pause dans les méchancetés qu’ils disent sans trêve les uns à propos des autres. D’aucuns sont passés au large et ils ont bien fait car je sais de quels noirs bureaucrates il s’agit. J’ai lu dans le journal de référence que je tétanisais les uns et les autres en raison de la surveillance morale que j’exercerai sur eux. Si c’est vrai ça me réjouis. Ma surveillance ne peut pas leur faire de mal. Et ça peut même les encourager à être plus intransigeant avec le paquet de social capitulards qui infeste le groupe dont il sont membres. Car la vérité c’est bien que le sort du PS ne m’est pas du tout indifférent. Et celui de beaucoup de socialistes en particulier également.  Si je sers de surmoi à quelques uns d’entre eux, tant mieux. Hier ca me faisait pitié pour beaucoup d’entre eux de les voir cloués au sol avec ce vote pour ce président polonais de droite alors que je connais leurs convictions personnelles. Si profondes que soit mes divergences avec le PS social démocratisé, je n’oublie aucun des hommes et des femmes qui composent ce parti à tous les niveaux et dont je sais qu’ils restent du bon côté même si leur pleutrerie les empêche de l’assumer. Et je dois dire que j’ai été très heureux d’apprendre la condamnation radicale que les deux députés emmanuelistes ont prononcé non seulement contre le choix du PSE de soutenir le polonais de droite mais aussi de l’abstention de leurs autres collègues socialistes français qui se sont contenté en effet de sz défiler. Au moins ces deux là ont courageusement assumé publiquement de voter pour notre candidate, Britt Svenson. En fait je sais bien que plusieurs autres en ont fait autant. Ils m’en ont parlé. Mais ils n’ont rien dit publiquement. Je ne les dénoncerai donc pas à Martine panpancucul ! Quoiqu’il en soit le bilan est consternant pour les socialistes français. Leur groupe a changé de nom contre leur avis. Il a été décidé sans eux de soutenir un président de droite. Une partie d’entre eux a suivi la consigne, l’autre s’est abstenu et la dernière part a voté avec la GUE !  J’ai beau ne plus être de la maison, ça me tord les boyaux de les voir dans cet état ! Mais tout n’est pas triste ici. Le plus drôle de cette matinée fut de saluer de nouveau madame Rachida Dati. Je la trouve fascinante pour l’énergie qu’elle dégage et qui la fait repérer plusieurs mètres avant qu’on la croise. Hier, une discussion courtoise avec elle au milieu du couloir de l’hémicycle, dans le bazar général m’a fait rater le premier vote pour le vice présidents. Tel quel. Ca ne m’a pas privé de grand-chose car je n’avais pas l’intention de participer a un vote qui prive mon groupe, la GUE, de toute représentation. N’empêche que dans la conversation j’en ai surtout pris pour mon grade car madame Dati a la dent dure contre la gauche. Selon elle le fait que la gauche ne fasse rien de bon alors qu’elle a « un boulevard » (sic) devant elle prouve son épuisement « intellectuel ». Je résume, bien sur. Mais reconnaissons que ce n’est pas facile à balayer d’un revers de main. Bon. Ce matin du 16 juillet, après la brève séance de plénière, la minute de silence recueilli au martyr inconnu et le vote par acclamation à propos du nombre de membre des commissions, il a bien fallu aller travailler sérieusement.

ON S’ORGANISE

Le rendez vous suivant était fixé au diable des sous pente. C’est là qu’avait lieu la réunion de la composante GUE avant la réunion de la commission des affaires étrangères. Les camarades ont confirmé ma candidature comme vice président de la commission des affaires étrangères. Et on a élu Willy Meyer comme coordinateur de notre composante. Willy est un communiste espagnol tranquille et aimable. Habitué à chasser seul faute de pouvoir trouver comparses, Willy est cependant très avenant et promet de jouer très collectif, ce qui peut aussi être pris comme une menace vu les agendas personnels de tout un chacun ici… Autant dire qu’il va devoir pratiquer contraint et forcé une large autonomie. C’est aussi le plus ancien dans le grade le plus élevé de notre composante ce qui lui donne une expérience dont aucun de nous ne dispose. Willy, donc, est espagnol. Pour moi c’est un enchantement. Car mes premières discussion en anglais avec les autres ont été calamiteuses, non seulement de mon fait mais aussi de celui de mes interlocuteurs qui sont tout aussi empotés que moi dans cette langue. Ce que nous parlons est un baragouin caricatural qui ne permet pas d’aller au delà du niveau d’information que doit échanger une bande de primates à propos de la localisation d’une friandise. Parler en espagnol est au contraire un plaisir dont j’abuse presque depuis quelques jours. Je parle espagnol comme langue ordinaire le plus clair du temps avec mon assistante européenne, Céline Ménesses.  Et hier matin j’ai commencé la journée de boulot dans cette langue avec Ollanta Humala, le président du Parti National du Pérou. C’est le moment de parler de lui. Je reviendrai au parlement européen ensuite.

OLLANTA HUMALA
12-Avec Ollanta Humala, Président de la République du PérouEvidemment Olanta Humala m’attendait à une porte de la gare en descendant du train de Paris et moi j’étais à l’autre porte. En allongeant le pas pour le rejoindre, je l’ai repéré de loin. Il se tient droit comme une équerre, costume sombre, cravate rouge. Ses yeux noirs lancent un de ces regards puissant que je connais si bien sur le visage d’un amérindien. Ollanta est un militaire de carrière. Il a fait de la prison pour avoir participé à un soulèvement contre le président hyper corrompu Fujimori. Amnistié à la chute de ce dernier, il a été conseiller militaire du Pérou à Paris. Il nous connait. Bien, je crois. J’ai aimé parler avec lui pendant cette demie heure qui précédait notre trajet jusqu’au parlement européen. Ses raisonnements sont clairement énoncés, sa parole est directe, comme son regard qui ne me quitte pas des yeux pendant qu’il m’explique ce qu’il a prévu de me dire pour présenter sa démarche. Je vois qu’il est préoccupé de se définir. Il sait que la gauche européenne est perplexe à son sujet. J’ai écouté avec une intensité exactement parallèle. Je pense honnêtement que c’est lui qui crée cette ambiance par son implication dans le propos, le timbre de sa voix et cette façon intense de regarder.  À la précédente élection Humala est arrivé quatre cent mille voix derrière le candidat commun des socialistes et de la  droite  qui s’était unis au deuxième tour pour lui faire échec.  Précisons qu’un million et demi de bulletins de vote avaient été annulés. Le vainqueur de cette élection à l’arraché est un voyou de haut vol, Alan Garcia, chef de l’APRA, le parti socialiste du coin. Il a déjà été président de son pays. Sa mandature s’est achevée par sa fuite sur les toits de Lima. Les gens qu’il avait ruinés le pourchassait pour le pendre. Aujourd’hui donc Ollanta Humala est la seule opposition digne et crédible au régime pourri qui gouverne le Pérou. Corrompu jusqu’à la moelle, bradeur de son pays au nom des vertus du libre marché machin chose bla bla , Alan Garcia a fait tuer une centaine d’indiens récemment. La moitié de conflits de son pays sont des conflits socio-écologiques qui opposent des paysans aux multinationales à qui Alan Garcia brade les ressources du  pays. Dans ce contexte, on ne peut pas se contenter de discourir sur ce que l’on préfèrerait que soit Ollanta Humala. Il est surtout temps de comprendre ce qu’il est vraiment et de commencer par là pour savoir comment travailler avec lui.  

PFFFF ! ENCORE L’AMERIQUE LATINE ? PFFFF !

Mais pourquoi tant parler d’Amérique latine ? N’y-a-t-il rien d’autre au monde, me reprochent même certains de mes proches ? Bien sur, il y a beaucoup d’autres choses à observer utilement dans le monde ! Bien des pays connaissent en ce moment des évolutions décisives pour l’avenir de l’humanité. Nombre me passionnent d’ailleurs beaucoup et je les suis avec constance. Mais l’Amérique latine est le continent politique miroir de l’Europe du sud. Si cette idée intéresse mon lecteur, il se reportera à un article que j’ai écrit à ce sujet dans la revue « Pour La République Sociale », présent dans les archives de ce blog, traduit en espagnol et intitulé « Leçons d’Amérique latine ». Je veux souligner ici que le processus des révolutions démocratiques qui s’y déroulent est l’unique processus de ruptures avec la mondialisation libérale qui soit en cours à notre époque. Le dire ce n’est rien idéaliser. Et ce n’est pas s’illusionner non plus avec je ne sais quel modèle. Mais je recommande de ne pas se laisser intimider par ceux qui sont prompt à montrer du doigt notre prétendu suivisme et toute idéalisation de gauche en général. On sait trop ce qui les fascine, eux de leur côté et quelle absence d’esprit critique est le leur sitôt qu’il s’agit de l’ordre établi.

LA VAGUE DURE
Actuellement la vague démocratique aux Amériques n’a pas reflué. Je pense même que l’élection d’Obama, dont je connais parfaitement la limite réelle, participe de ce moment général. Pour autant il est certain que le processus n’est pas univoque, d’une pièce, sans nuances internes. Et par-dessus tout, les conditions politiques nationales spécifiques sont déterminantes. Il est aussi absurde de parler d’Amérique latine en général que cela le serait de parler de la même façon de l’Europe même si l’hispanité et l’indigénité fournissent des trames communes aux Amériques bien plus puissantes que celle qui réunit des danois et des italiens en Europe, nonobstant leur commune présence dans l’hémicycle où je me trouve aussi.  Ollanta Humala est mal signalé par de nombreux camarades qui ont du mal à le situer politiquement par rapport à l’idée qu’ils se font de la gauche. Humala est indigéniste et nationaliste. Ce nationalisme laisse perplexe de nombreux observateurs de gauche. De plus dans le contexte de l’histoire péruvienne, le nationalisme révolutionnaire a connu des précédents très discutables. Lui-même, Ollanta Humala, s’empresse de dire que ce nationalisme n’a rien à voir avec celui d’Europe qu’il dénonce comme belliciste et meurtrier en se référant à la seconde guerre mondiale et à la Shoa. Il dit que la contradiction principale de notre époque est entre la mondialisation, assimilable à un pur procèss de privatisation globale du monde, et l’affirmation de l’existence de l’Etat qui se confond avec la Nation. Selon lui, son nationalisme est intégrateur des communautés et des catégories qui compose l’ensemble péruvien et il est le seul vecteur possible de cette intégration.  Pour ma part je crois que je comprends ce qu’il veut dire et j’ai tendance à lui faire non seulement crédit de sa bonne foi mais à y reconnaitre des éléments de ma propre manière de voir les problèmes, moyennant les différences fondamentales qui séparent ici, en France et en Europe, l’idée de Nation et celle de République avec laquelle se confond mon engagement philosophique et politique.  Je n’exprime ici qu’un point de vue strictement personnel, je m’empresse de le rappeler, car nombre de mes proches sont beaucoup moins allant s’agissant d’Ollanta Humala. Ils me conseillent d’observer une distance constante, ni trop courte ni trop longue, par précaution.

ACTIONS ET PRECAUTIONS
Mais moi je ne sais pas comment faire de la politique avec des précautions de cette sorte. Je souhaite que Ollanta Humala batte Alan Garcia et les autres bandits à la prochaine présidentielle et, si je peux l’aider, je le ferai. La politique c’est aussi, pour finir, de l’action.  Et l’action est toujours  manichéenne, en noir et blanc, coincée entre ce qui est fait et ce qui n’est pas fait. Cette propriété rustique de l’action est précisément la raison pour laquelle nous devons prendre garde de ne pas raisonner en noir et blanc mais de bien examiner toute la palette des couleurs et des possibles. L’ouverture de la pensée, le temps de la réflexion approfondie et argumentée sont une exigence d’autant plus impérieuse qu’ensuite il faut agir. Car l’acte qu’on posera ensuite, lui, sera marqué au sceau du binaire et assez nécessairement irréversible. J’ai remarqué que les gens qui se piquent de subtilité dans l’action sont en général peu exigeant dans leur réflexion préalable. Pour eux, souvent tout se vaut. Ils idéalisent leurs atermoiements comme une forme de sagesse alors qu’ils expriment souvent une impuissance de la pensée à conclure et un embarras puéril à assumer les conflits. Si bien qu’ils m’ont souvent paru surtout préoccupés de ménager leurs arrières au détriment de ceux qui les suivent en croyant aller dans une direction tandis que l’inverse était aussi prévu par les malins et les dandies de la politique.

LE FRONT ROUGE
Ollanta Humala a été reçu par une délégation du groupe GUE. Une réunion étrange car elle avait lieu dans une salle à laquelle on accédait par un couloir encombré d’échafaudages montés bien bas mais garnis de bandes d’auto collant rouge et blanc en dépit desquels toute personne de plus d’un mètre soixante dix se heurte quand même le front.  On reconnaissait donc ensuite une bonne partie de notre délégation a son front rouge.  Le lendemain, quand je suis allé à la réunion solennelle de la Commission des affaires étrangères, j’ai repéré une série de gens qui avaient une barre rouge sur le front. Je me suis dit que la salle de réunion d’hier a servi depuis à d’autres et pour la première fois depuis que je suis ici je me suis dit que je devenais familier des lieux au point de savoir pourquoi des gens se frottent le front. Cette commission des affaires étrangères est censée être la plus prestigieuse de notre assemblée. Je suis prêt à le croire puisque j’en suis membre ! On élit aux postes de commande « par acclamation », selon l’expression consacrée. C'est-à-dire qu’on ne vote pas. Les noms des impétrants sont annoncés et présentés par un membre du groupe politique concerné. Personne n’a été mis en cause. Sauf le premier vice président. Plusieurs groupes ont dit qu’ils déploraient de  voir élu un « euro sceptique ». Je suppose que cela doit vouloir dire un gros nationaliste en béton armé comme il y en a plus d’un ici à côté desquels je fais figure d’euro-pétaradant ! Comme ces commentaires acerbes ont un peu chauffé les oreilles d’un groupe de quatre députés assis en haut à droite du président ceux là ont fait savoir que tout le monde devait être représenté et que ca commençait à bien faire avec les gens qui voudraient normaliser les points de vue. J’ignore absolument qui sont ces gens. Ma voisine ne savait rien non plus à leur sujet. Et comme je n’ai pas eu le temps de repérer qui parlait contre le premier vice président tout ceci reste totalement opaque pour moi. Mais je me promets d’aller aux nouvelles dès que possible auprès d’un connaisseur. En tous cas personne n’a fait de remarque sur mon nom. Pas davantage sur celui de Dominique Baudis qui a été élu juste avant moi au poste de vice président. Dans ces conditions, le grand sud ouest français a deux vice-présidents dans la Commission des affaires étrangères du Parlement européen. Ce qui est très bon pour notre prestige !  Ce qui est moins bon pour le prestige de tout le monde, dans ce cénacle, c’est qu’il n’y a pas une seule femme au bureau de cette commission ! C’est ce qu’à fait remarquer une femme députée aux applaudissements hypocrites de toute la salle, juste avant de s’entendre dire que son groupe n’avait qu’à en proposer une. Ainsi va un monde dont on pourrait écrire chaque répartie sous toutes les latitudes.


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