fév 11 16
Résumé de séance au Parlement européen

Migrations et Bolkenstein

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Je ne sais comment vous décrire ce que je ressens quand j’entends parler la novlangue européenne. J’ai une boule de nausée qui me monte de l’estomac comme lorsqu’on a avalé par mégarde quelque chose de répugnant. Au moment où je l’évoque, ici devant mon clavier dans l’hémicycle, monsieur Barroso est en train de parler. Il enrobe de mielleuses paroles creuses la réforme du traité de Lisbonne pour rendre possible le mécanisme de coercition dit « de stabilisation financière ». Tout ça va se faire sans consulter les parlements nationaux ni les peuples, d’aucune façon. Dans la langue des eurocrates ça donne "nous sommes tous d’accord pour monter dans le train des réformes en vue de lever les obstacles pour libérer les potentialités d’une pleine croissance durable. Mais alors se pose la question de savoir sur quel rail faire rouler ce train des réformes positives". Nous savons tous que le mécanisme de stabilité est celui qui convient et ainsi de suite. Comparaison pour petits enfants (le train et le rail), ruses sémantique à deux balles (« nous savons tous »), et bonne conscience en béton armé. C’est insupportable. Mes chers lecteurs sachez que le Traité de Lisbonne va être modifié sans votre avis. Alors qu’on vous avait dit que c’était impossible d’en toucher une ligne. Et maintenant voici l’orateur du groupe « socialiste et démocrate ». « Nous saluons la création d’un mécanisme de gestion permanente des crises financières. Mais comment va fonctionner ce mécanisme ? Est ce qu’il va fonctionner comme un mécanisme communautaire ou bien encore un renforcement intergouvernemental et du pacte franco-allemand ?». Voilà tout. Les peuples ? Ce grand « socialiste et démocrate » s’en moque. Son problème c’est de savoir comment vont se répartir les pouvoirs entre la commission, le parlement et le conseil. Un noir bureaucrate de plus ! Un nationaliste anglais lui demande si ça lui parait plus important que l’avis des chômeurs que le mécanisme va créer ! Beuark ! Le « socialiste et démocrate » dit qu’il faut respecter le traité et ses procédures. Roule bouboule ! Ce monde est devenu fou ! Le plus pénible ce n’est pas que la droite soit de droite mais juste que la gauche officielle soit aussi d’accord avec elle ! C’est ce sentiment d’être désarmé qui est mortel.

Comme il n’est pas question de Cuba (ennemi affreux) ni du Qatar (ami délicieux), pas d’espions ni personne pour rendre compte de la séance auprès de la concierge quatremérisante du parlement ! Misère ! Dommage. Car il était question des arrivants immigrés sur l’ile de Lampedusa. Quand c’était les refugiés de l’horrible camp de l’est communiste, « l’Europe qui protège » s’est dépêchée de donner à tous les rescapés l’asile amical et bienveillant avec primes, passage à la télé et prix Sakharov extrêmement émouvant. Puis les belles personnes ont promis tout de suite l’adhésion à l’Union sitôt que le mur fut tombé ! Maint feux d’artifices furent tirés en même temps qu’on faisait toute sortes de délocalisations d’entreprises dans la joie et les auto-congratulations. Mais là on a d’abord fait les délocalisations et les belles personnes ont fait de beaux voyages tous frais payés dans l’autre sens. Et quand les régimes autoritaires sont tombés, personne n’a promis l’adhésion à l’Europe. Les réfugiés d’avant et de maintenant ont été parqués comme des animaux et brutalisés de toutes les façons possibles ! Pas de télévision, pas de prix Sakharov ! Et aujourd’hui sur les bancs de madame Le Pen au parlement européen les membres de son groupe ont dénoncé les milliers d’islamistes et de terroristes qui viennent de débarquer à Lampedusa ! J’ai demandé publiquement à ce député comment il savait qu’il s’agissait de criminels, de terroristes et d’islamistes. Et lui m’a répondu que tout le monde le savait. Et ensuite le ronron a repris. Et où était monsieur Quatremer, le rentier de « Libération », pour raconter ça ? Ce n’est pas son truc ? Non. C’est juste qu’il n’était pas là, une fois de plus, et que ses informateurs Verts non plus pendant ce débat pourtant essentiel pour la dignité humaine. Mais celle-ci est-elle intéressante  ailleurs qu’à Cuba ? Pas pour Quatremer. Ce n’est pas tout. Quand l’essentiel est en débat les mondains sont ailleurs.

La directive Bolkestein est revenue ce matin. C’est sur la base d’un rapport social démocrate et c’est avec les voix de ce groupe et celle de la droite que le rapport a été adopté ! La GUE, mon groupe, et les Verts ont voté contre ! Cela mérite une explication. Ce n’est pas Jean Quatremer qui vous parlera. Il est vrai que ce n’est pas un ragot du bar du parlement. Vous vous souvenez de la directive Bolkestein ? Aujourd'hui appelée "directive services", cette directive impose et organise la libéralisation des services au sein du marché unique de « l’Union Européenne qui nous protège ». Elle découle tout droit de l'Accord général sur le Commerce des Services adopté par l'OMC et de la Stratégie européenne dite « de Lisbonne ». Décidément, Lisbonne, quelle ville pour l’Europe libérale ! Il n’en est que plus risible de voir les sociaux démocrates portugais au pouvoir, préférer l’argent chinois au secours de leur chère « Europe qui protège » et son bras armé le camarade Strauss Kahn et les troupes d’occupation du FMI. Cette directive a été adoptée par le Parlement européen en 2006, après une rude bataille populaire qui n’avait pas peu contribué au rejet du Traité Constitutionnel en 2005. Les « socialistes et démocrates » avaient pourtant voté avec entrain, avec la droite, au prétexte que certains services publics seraient désormais exclus du champ de la directive. Il s'agit des fameux "services d’intérêt généraux" dont la définition est laissée aux Etats. Barrage de paille. Car dès que des secteurs privés existent au sein d'une branche de services, l'ouverture à la concurrence est obligatoire. Autant dire que tous y sont voués. Est donc ainsi  spécialement visés l’éducation puisqu’il existe des écoles privées, par exemple. Même cas pour la culture ou encore d'autres services publics clés comme les postes, l'énergie, l'eau, les déchets. Concrètement cette directive limite l’intervention de l’Etat et les réglementations considérées comme des entraves à la concurrence dans les secteurs concernés. Ce ne sont pas seulement les choses qui sont visées mais aussi les personnes. Les procédures d’autorisation ou de déclaration imposées aux professionnels des services vont ainsi être allégées voire supprimées. Prenons un exemple. La directive services oblige les Etats à faire sauter des clauses d’exclusivité, de spécialisation ou de compétence imposées dans certains domaines. Pour être agent de voyage par exemple, mais aussi pour être actionnaire d’une société d’exercice libérale – comme les sociétés d’avocats, de conseils juridiques et ainsi de suite. On réduit ainsi les exigences imposées aux professionnels et on diminue d'autant les protections des usagers. En renforçant les acteurs marchands, on accroît la pression pour l’ouverture à la concurrence dans des secteurs où on n’imaginait même pas qu’il en soit question. L’éducation devient ainsi une cible privilégiée. Les opérateurs privés vont pouvoir se renforcer dans le secteur déjà marchand comme la formation professionnelle notamment. Toutes ces merveilles libérales furent adoptées à l’époque par la droite et 137 « socialistes et démocrates » sur 200. Et parmi ces 137, tout le beau linge de cette lamentable équipe comme le président du Parti socialiste européen Poul Nyrup Rasmussen et le président du groupe au parlement européen, Martin Schulz. Les libéraux de la ALDE ont voté pour, y compris Marielle de Sarnez, le numéro deux du Modem.

C'est la deuxième fois depuis que je siège au parlement européen que le sujet est à l'ordre du jour. La première fois c'était en Novembre 2009, quelques jours avant la date butoir prévue pour la transposition effective de la directive dans le droit national des Etats membres. La date buttoir était le 28 Décembre. J’en avais parlé sur ce blog, assez dégouté par la façon de faire en secret. A l'époque comme aujourd'hui, il n’était pas question de revenir sur la directive services. Au contraire il s’agissait d'assurer sa mise en œuvre effective par les Etats membres. Vous trouverez cette question traitée dans la rubrique européenne de mon blog. Le sujet était à nouveau à l'ordre du jour ce mardi à Strasbourg. On y votait en effet un rapport d'initiative de Madame Gebhardt, « socialiste et démocrate » récidiviste endurcie et convaincue sur le sujet. C'est déjà elle qui était la rapporteure lorsque le Parlement européen avait donné son aval à la directive services. Elle est donc de retour pour nuire.

Ce rapport avait un mérite. Un seul. Celui d'« inviter (…) les États membres concernés à assurer une plus grande transparence, notamment au travers d'une meilleure implication des parlements nationaux et de l'élaboration de tableaux de corrélation ». Une invitation à laquelle le gouvernement français ne répondra surement pas ! Toute la transposition de la directive, éparpillée dans toutes sortes de loi, est achevée depuis le 28 décembre dernier. Mais toutes les demandes des parlementaires du Parti de Gauche pour en avoir un bilan sont restées sans réponse. Après quoi le rapport « socialiste et démocrate » n'est que validation et célébration de la vulgate néolibérale. Il se permet de rappeler à l'ordre les gouvernants des Etats membres qui "manquent d'ambition" dans sa mise en œuvre. Berk ! Ce qui n’empêche pas, en fin de texte, un aveu ridicule : le parlement y reconnait être incapable de juger des conséquences de la mise en œuvre de cette merveille ! En effet, il "espère que la directive sur les services aura réellement un impact positif ".  Il précise même que "l'impact de la directive sur l'économie, les entreprises et les citoyens ne pourra être évalué qu'une fois qu'elle aura été transposée de manière complète ". Voilà sans doute qui explique pourquoi il n'y avait pas de vote nominal sur ce texte. Les noms des responsables ne seront donc pas connus. Mais les feuilles de consignes de vote restent. Seul mon groupe, la GUE/NGL et Les Verts ont voté contre ! Les « socialistes et démocrates » ont fait bloc avec la droite ! En route vers « l’égalité réelle » comme disent les habitants de la rue de Solférino !

Le détail de la séance


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