Je sais combien les questions de guerre et de paix sont difficiles à traiter. J’ai eu à en connaitre à propos de la première guerre du Golfe, de celle du Kosovo et de l’Afghanistan. Je me suis opposé à chacune d’entre elles sur le critère de ce qu’est l’ordre international dans une conception de gauche. La seule communauté internationale acceptable est la communauté légale. Celle qui est construite sur des accords et des traités reconnus par les parties prenantes et d’application universelle. Si imparfaites qu’elles soient les institutions internationales incarnent cette communauté. C’est une question essentielle. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, un cadre fut posé avec l’ONU. Mais le mécanisme régulateur n’était pas dans ses murs. Il ne s’y trouvait souvent que pour la forme ou pour l’accessoire. La véritable communauté internationale dont les décisions et mésententes avaient force de loi s’organisait autour des deux camps est et ouest, sur la base du partage du monde de Yalta et tenu en respect par l’équilibre de la terreur atomique. Au lendemain de la chute du mur de Berlin, l’hyper puissance nord-américaine désormais seule prétendit organiser à sa main un nouvel ordre mondial. Ce fut le discours de Bush père sur le sujet qui en donna le signal. Et la première guerre du golfe en fut l’acte fondateur.
Depuis lors, l’enjeu est de savoir si l’ordre du monde est celui de l’empire et de son bras armé l’Otan ou celui d’une communauté internationale légale et multipolaire. Ce ne sont pas seulement des principes moraux ou démocratiques qui se jouent dans cette affaire mais des intérêts gigantesques. L’empire ne peut s’offrir le luxe d’être mis en cause. Non par mégalomanie. Ni même du fait de l’incroyable prégnance de la bureaucratie des services et des militaires dans le pouvoir aux USA, nés de l’effet miroir avec leur adversaire soviétique. Mais parce que l’empire ne peut accepter de voir sa monnaie réduite à sa valeur réelle qui est à peine celle du papier qui la représente ou des bits qui la conserve en mémoire électronique. J’ai déjà beaucoup écrit sur ce sujet sur ce blog et je craindrais de lasser en reprenant mes démonstrations. La nouvelle situation combine foule de facteurs où s’ajoutent aux formes classiques des crises particulières du capitalisme celles plus spécifiques liée au capitalisme financier de notre époque. C’est dans ce contexte que se présente les faits du quotidien qui le transforment mais en résultent. La guerre est difficile à interpréter.
Seuls les pacifistes sont constants en toutes circonstances puisqu’ils s’opposent par principe au recours à la force. Je suis pacifique mais pas pacifiste. Fasciné par la discipline mentale de la non violence, j’avoue mon incapacité à la manier comme principe d’action pour un Etat. Je ne dis pas que ce soit impossible. Je dis que je ne sais pas le faire. D’autre part, quel que soit le contexte, la difficulté est grande quand il s’agit de transformer une analyse en action politique. L’analyse est polychrome, tout faite de nuances. Tel est l’esprit. Mais l’action est binaire. Avec du noir et blanc il faut faire un tableau efficace. L’intervention en Libye combine tant de facteurs ! Une nouvelle fois elle prend à revers tant de schémas. Ce qui compte c’est qu’elle ne nous conduise pas à lâcher nos principes.
Par exemple j’ai lu que c’était en Libye une guerre pour le pétrole. Non, s’exclame l’association « Mémoire des luttes » où je compte maints amis. « L'action armée en cours contre les cibles militaires libyennes ne vise pas à s'approprier le pétrole du pays, pour une raison bien simple : c’est déjà le cas ! Total (France), ENI (Italie), Repsol (Espagne), OMV (Autriche), PetroCanada (Canada), Wintershall (Allemagne) etc., exploitent déjà des gisements. Par ailleurs, de nombreux permis de forage et d'exploration ont déjà été concédés par Kadhafi à des compagnies étrangères, principalement américaines. » Une autre explication m’a été proposée parmi les eurodéputés à Bruxelles : Kadhafi serait un dirigeant anti impérialiste. Pour ma part je ne l’ai jamais cru. « Mémoire des luttes » relève pour sa part que « Kadhafi a été un temps, mais n'est plus du tout, un dirigeant anti-impérialiste. Jusqu'à il y a deux mois, il entretenait les meilleures relations avec Sarkozy, Berlusconi, Cameron, l'administration américaine, et il servait de barrage protecteur et rémunéré contre l’émigration africaine vers l’Europe. C’était plus qu’un ami : un allié ! »
Je ne suis donc pas parti de cela pour analyser et décider mon action. Ni naturellement des émotions et impressions du moment. A vrai dire celles-ci sont tout à fait contradictoires pour moi. Elles m’atteignent comme tout le monde. Mais je ne crois absolument pas à l’objectivité médiatique. Et je sais, de plus, qu’en temps de guerre toute communication est de la propagande encadrée par les armées respectives. Dans cette affaire je défends un principe, celui de l’ordre Onusien. Comme je le fais depuis 1991. Et comme vous me voyez le faire chaque fois que se réunissent le G8 ou le G20, réunions de puissants sans légitimité. J’ai défendu l’idée de briser le tyran pour qu’il ne puisse pas briser la révolution. J’ai été confirmé sur ce point et démenti sur l’autre.
Le point positif c’est que la démonstration a été faite qu’il ne suffisait pas de cogner pour avoir le dernier mot. L'intervention a relancé les processus révolutionnaires dans plusieurs pays du Maghreb et du Moyen Orient. Elle les a encouragés. Le point négatif est que l’ordre onusien n’a pas tenu une semaine. Pour des esprits superficiels tout cela ce sont des détails, du pareil au même. Ils ne remarquent pas le poids des officines sur la presse par exemple. Avez-vous vu revenir le vocabulaire de la période de guerre du Kosovo ? On parle de « la coalition », de la guerre de Libye et ainsi de suite. Tout ce vocabulaire aide le glissement qui vide l’ordre onusien de son sens. Il couvre le bras de fer entre puissances qui ramène dans les mains de l’Otan ce qu’il a fallu lâcher quasi par surprise à l’ONU. Dès lors, c’est le moment de constater la faute qu’a été le retour de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN. La nomination d’officiers français dans la chaine de commandement que dirigent les nord-américains est un fil à la patte ! Celle de l’officier qui commande le pseudo organe de planification stratégique de cette alliance militaire est une caution incapacitante ! La pression qui s’exerce pour imposer la présence de l’OTAN dans l’action en Libye ne correspond à aucune nécessité militaire pour cette action et notamment pour les Français. Elle signale seulement notre lamentable perte d’indépendance. Je crois utile de rappeler ici que le programme partagé du Front de gauche prévoit le retrait de la France de l’OTAN et la sortie de ses opérations à commencer par celle en cours en Afghanistan.
J’ai donc rédigé une déclaration publiée en alerte de ma précédente note. Elle dit que l’OTAN n'a rien à faire en Libye. La résolution 1973 de l’ONU concernant la Libye dont l’objet est bien délimité doit être strictement appliqué. Il s’agit de mettre en place une zone d’exclusion aérienne pour protéger les civils Libyens. La résolution 1973 exclut sans ambigüité toute autre forme de l’intervention militaire. Si la question de la coordination de l’action se pose il n’y a pas de difficulté à répondre au problème dans le cadre du système onusien. En effet le Conseil de Sécurité de l’ONU dispose d’un organe militaire. C’est lui que les statuts de l’organisation charge de mettre en œuvre ses décisions. C’est le comité d’Etat-major. Il est institué par l’article 47 de la Charte de l’ONU. C’est à lui et à lui seul de piloter les opérations de l’organisation. J’ai argumenté en faisant valoir l’enjeu du point de vue de l’action engagée. « Le respect du strict périmètre de cette résolution est la condition de sa pérennité. Faute de quoi dans les heures qui viennent, l’intervention changeant de signification, l’accord international qui a permis l’absence de veto au sein du Conseil de Sécurité, sera remis en cause. » Je ne soutiendrai pas davantage que par le passé une nouvelle guerre de l’Otan. Je suis donc ce qui se passe, les yeux grands ouverts et l’esprit tout autant.