nov 09 12

Le 11 novembre n’est pas férié pour le parlement européen. Et personne n’y évoque le souvenir et les leçons de l’armistice de 1918 en dépit de sa signification fondatrice pour l’idéal européen. Pour plus jamais la guerre vive la paix. Pour eux plus jamais le socialisme, vive le marché ! J’ai dit mon humeur sur le sujet, hier. En tous cas, ici, le 2 novembre a été férié, en tant que «jour des morts». Dix jours plus tard j’ai dû arriver le jour des fantômes. J’en ai été servi à la grosse cuillère. J’ai vécu un halloween politique.

Halloween politique
J’ai passé la journée du 11 avec une humeur de dogue. Parti de Paris dans la grisaille je suis arrivé en plein carnaval politique. Je n’ai pas supporté. Sur la place du Luxembourg, face au parlement européen, un décor ridicule met en scène une guérite de «Check point» de la période du mur de Berlin. Le pire était à venir. Il était à l’intérieur. Là, dans l’hémicycle bondé pour cause d’heure de signature de la feuille de présence, «séance solennelle» selon l’ordre du jour. Pas pour dire : «maudite soit la guerre» en mémoire de la première guerre mondiale qui justifie le projet européen. Non ! Ici il y a des guerres réputées délicieuses. En Géorgie contre les Russes, en Afghanistan contre on ne sait qui au juste, en Irak. Donc, on parle de la guerre idéologique. En présence de Vaclav Havel acclamé debout, l’après midi pour les grands enfants que nous sommes est ouverte par un film de propagande à gros sabots très rustiques. Aucune phrase n’excède cinq mots pour que le ramassis d’idiots du village que nous constituons comprenne tout du premier coup. Sur l’écran on peut voir le pape et divers énergumènes de ce style danser sur le cadavre du «camp socialiste». La salle se tait, soit stupéfaite par la bêtise du produit, soit par béatitude réactionnaire. La présence de François Mitterrand et de Helmut Kohl dans le déroulé du film permet deux pauses raisonnée dans la houle de nausées qu’un cerveau normal ressent après la consommation forcée de tels rogatons. Une fois passé ce carnaval, le président Busek, un bon polonais traditionnaliste, nous régale encore de ses propres souvenirs. Et surtout celui de sa joie au souvenir de ces gens « insignifiants et pauvres » qui faisaient le «v» de la victoire le jour de la chute du mur. Amis «insignifiants» en plus d’être pauvres, vous avez été compris ! Busek donne la parole à Vaclav Havel, l’ancien leader de la «révolution de velours» et ancien président de la Tchécoslovaquie. Les moins de quinze ans ne trouveront pas ce pays sur la carte. Il a depuis éclaté en deux nations dirigées par deux nationalistes réactionnaires aussi délicats qu’une paire de catcheurs. Que de merveilles nous interdisait de connaître le rideau de fer !

Le printemps ? C'est loin déjà
J’ai d’abord écouté Havel. J’ai de la tendresse pour lui, en souvenir de la période où je faisais des campagnes pour la «Charte 77». C’était un mouvement d’oppositionnels, après l’intervention soviétique, auquel appartenait Havel, parmi d’autres, dans ce qui était alors la Tchécoslovaquie du «camp socialiste». L’affaire tchèque, celle que l’on avait appelée le «printemps de Prague», avait été un immense espoir pour les jeunes de mon genre en 1968. D’un côté la révolution sociale à l’ouest, de l’autre la révolution politique à l’est. Formidable ébullition. Magique ébranlement du vieux monde ! L’avenir du monde c’était donc la révolution et le socialisme, nous n’en doutions pas. Le double échec, à l’ouest et à l’est nous détourna des communistes, les nôtres. Nous les rendions responsables de l’un et de l’autre. Mais le pire à avaler fut l’écrasement du printemps de Prague. Car vraiment là, c’était la fin d’un rêve éveillé, le socialisme plus la démocratie. J’avais suivi comme beaucoup d’autres, d’après ce qu’on pouvait en apprendre, le congrès clandestin du PC tchèque avant l’entrée des troupes du Pacte de Varsovie. J’ai lu ensuite le gros récit de cette réunion et des motions votées dans les débats avec la passion d’un observateur qui guette le retour du printemps. Bref la Tchécoslovaquie ce n’est pas rien dans la définition de mon parcours. J’ai donc écouté Vaclav Havel. Un moment. Puis j’ai déposé mon casque de traduction quand il a expliqué que les résistants de  Corée du nord, de Cuba et du Tibet méritent nos mobilisations Bla. J’ai d’abord crié depuis mon banc : «et du Honduras, non ?» A quoi bon ? Havel n’est plus Havel.

Psalmodies
Havel aussi est devenu juste un récitant du nouveau catéchisme de cette époque. De sa lutte il ne reste que la cendre de l’anti soviétisme. Rien de la braise révolutionnaire. Par exemple, il remercie l’Otan d’avoir aidé les pays de l’est à se préparer à l’entrée dans l’Union européenne. Comme ses adversaires d’autrefois remerciaient l’URSS de veiller à leur bonheur. Nombre de ces héros sont vraiment très fatigués. On leur pardonne vu les rêves qu’ils nous ont donné et leur actuel grand âge. Quant aux autres, laissons-les à leurs pauvres psalmodies. La brosse avec laquelle ils ciraient les pompes des soviétiques leur sert à cirer celles des GI. Une vocation en quelque sorte. Comme ces sociaux démocrates polonais, ancien membres du POUP, le PC polonais, qui siégeaient dans la tendance dites «béton» de ce parti, du temps des soviétiques. Ils me saoulent et leurs comédies larmoyantes me dégoutent autant que n’importe quel autre larbinage. Le bruit des violons ne m’a finalement pas trop gêné pour la bonne discussion que j’ai préférée avoir avec mon voisin de banc, Jacky Hénin député du Pas de Calais, à propos de l’avenir de la gauche en France. Si nous arrivons chez nous à sortir de l’impasse, nous propagerons le feu de cette renaissance chez tous les autres. Puis je suis allé à la rencontre du curé de gauche qui se présente à la présidentielle Péruvienne au nom d’une coalition de mouvements sociaux et de petits partis de gauche.

Un vrai courageux
Drôle de gars. L’église va le mettre dehors de ses rangs. Le gouvernement de coalition de la sociale démocratie et de l’extrême droite le harcèle. On parle. Bien. Avec nous Willy Meyer, communiste espagnol, le coordonateur de notre groupe à la commission des affaires étrangères, fin connaisseur de l’Amérique latine. Finalement la délégation péruvienne part pour le rendez vous suivant et Willy Meyer le sien. Lui, le candidat, Marco Arana, reste dans mon bureau et on se parle encore. On se parle, on se parle. Peu à peu cet homme s’impose. Il m’impressionne. Par exemple, il défend le droit à l’avortement. Alors qu’il réprouve au plan personnel l’avortement. L’église lui est tombéé dessus sur le sujet à bras raccourcis. Et pas elle seulement ! Je n’ai pas rencontré un seul leader de gauche en Amérique latine qui ait le courage de Marco Arana sur ce sujet. Un curé ! Le monde à l’envers. Le moment que j’ai passé avec lui reste donc dans mes moments magiques. Je suis heureux et honoré d’avoir connu cet homme. J’ai déjà oublié l’ombre grimaçante des rêves morts nés de tout à l’heure. Le fantôme de Vaclav Havel est parti secouer ses chaines ailleurs. Arana est parti dans le dédale des couloirs de Bruxelles en direction d’une improbable cafétéria. Mon assistante Céline Meneses lui ouvre le chemin dans la jungle kafkaïenne de la signalétique psychopathique du lieu.

Laïcité à l'italienne
Au moment où je reviens dans l’hémicycle un gros lourd d’italien de la droite nationaliste pleure sur la décision européenne prise contre l’Italie parce qu’elle maintient des crucifix dans les écoles publiques. Le fait est considéré comme attentatoire à la liberté des parents de voir leurs enfants enseignés dans le respect de leur conviction religieuse. Ce respect implique en effet qu’on n’impose pas un point de vue religieux plutôt qu’un autre. Vu ? Chez nous on règle ça avec la laïcité. Le droitier italien qui se lamente est celui qui beuglait des injures la dernière fois parce qu’on mettait en cause Berlusconi sur le thème : « ça ne vous regarde pas ». Ici il met en cause « ceux qui » qui prennent des décisions en secret contre les traditions les mieux ancrées dans chaque pays. Amis des réunions secrètes, l’opus dei vous envoie son bonjour avec ce gros monsieur. Que vont répondre les euro béats de cette assemblée ? Peut-être vont-ils se rengorger et montrer qu’ils ne sont pas seulement les défenseurs de la liberté de circulation du fric et des marchandises mais aussi ceux de la liberté de conscience. Pas du tout. Celui qui reprend la balle au bond  se moque de l’italien sur un thème consternant. La décision, déclare-t-il outragé, n’a pas été prise par une institution de l’union européenne mais par une cour liée au  Conseil de l’Europe, un tout autre organisme. C’est juste. Totalement. Il se moque donc de «ces anti européens ne connaissent pas les institutions européennes». Il n’en dit pas davantage. Mais on comprend que ce monsieur dit à l’autre que ce n’est pas ce qu’aurait décidé la cour liée à l’Union européenne. C’est bien ce que je pense et que j’écris depuis un bon moment. En effet l’union européenne a retiré de sa propre déclaration les clauses de limitation de l’exercice de la liberté dès lors que sont mises en cause d’autres valeurs de l’Union. Sachant de plus qu’en toute hypothèse, la laïcité  ne fait pas partie des valeurs de la dite Union… Cette séquence me replonge dans l’ambiance rafraichissante de cette assemblée.

Du neuf comme on aime
A présent voici le débat sur les nouveautés institutionnelles prévues par le traité de Lisbonne. Sur ce plan le traité est excellent. En effet, comme il n’est pas un traité développant la démocratie et la souveraineté populaire, il est heureux qu’il institutionnalise le désordre et l’impuissance des plus hauts responsables de cette construction médiévale par tant d’aspects. Je me réjouis de la pagaille qui s’avance car de ce chaos viendra l’obligation de faire bouger ce traité. Voyons ça. Le Traité de Lisbonne prévoit 2 petites innovations institutionnelles. D’une part la création d’une présidence du Conseil «stable» confiée à une personnalité de stature internationale. D’autre part la « création » d’un poste de « haut représentant pour les affaires étrangères », qui serait en même temps Vice-président de la Commission. Il serait placé à la tête d’un service européen d’action extérieure, à cheval entre les Etats et la Commission. Génial ! Remarquons que ce «haut-représentant» s’appelait ministre des affaires étrangères dans la constitution européenne. Son existence n’apporte pas grand-chose puisqu’il existe déjà aujourd’hui un «haut représentant pour la politique étrangère et de la sécurité commune», poste occupé aujourd’hui par Javier Solana, l’ancien secrétaire général de l’OTAN. La seule véritable innovation est donc le président dorénavant réputé «stable» du Conseil. Mais on ne voit pas en quoi elle va accroître la visibilité et la cohérence internationale de l’Union Européenne. Ce n’est pas une affaire de personne même si nous mesurons l’impact qu’aurait la nomination de l’actuel premier ministre belge qualifié il y a un instant de «concierge des affaires courante d’un pays artificiel et ingouvernable» par un flamand sans doute très sceptique. C’est une affaire de construction du système. Car désormais l’Union Européenne dispose de 3 têtes à l’international. Deux de trop. Qui ? Le président « stable » du Conseil ? En effet il est investi d’un rôle de représentation et d’influence internationale. Le haut représentant affaires étrangères et son service diplomatique ? Le président de la Commission qui conservera un rôle diplomatique éminent compte tenu de la compétence exclusive de la Commission en matière de négociations commerciales (OMC, G8 et G20 etc.) et d’élargissement ? On sait qu’ils se marcheront sur les pieds et gaspilleront davantage d’argent et d’autorité. En effet le traité ne distingue pas clairement les fonctions de chacune des trois têtes et ne les hiérarchise pas. Le Haut représentant pour les affaires étrangères cristallise l’ambiguïté de ce trio puisqu’il sera censé être à équidistance du Conseil et de la Commission, dont il sera d’ailleurs vice-président ce qui complique encore les choses. Il est amusant de noter que dans leurs communications, le Conseil comme la Commission interprètent le Traité de Lisbonne comme renforçant leur poids et leur visibilité respective à l’international … au détriment de la visibilité unique de l’UE. Ce n’est pas tout !

500 ou 5000 fonctionnaires au service du libéralisme
A ce brouillage institutionnel s’ajoutent de lourdes inconnues sur le rôle dévolu au «service extérieur commun», comprenez le réseau diplomatique, dont l’organisation a été décidée la dernière fois que je suis venu siéger ici. Il est censé devenir un véritable réseau diplomatique spécifiquement européen. Bureaucratie ou diplomatie ? La mise en place de ce service extérieur commun finit par concentrer la cacophonie. En effet, le Conseil et les grands Etats veulent en faire un véritable service politique indépendant de la machine bureaucratique de la Commission. Et cette dernière veut au contraire éviter toute institutionnalisation dudit service en limitant ses effectifs. Ceux-ci varient donc de 500 à 5 000 selon les projets. Les uns veulent réserver leur recrutement aux fonctionnaires communautaires. Les autres, France et Allemagne par exemple, veulent mettre des diplomates expérimentés et « politiques ». Ils envisagent donc aussi de les priver de budgets autonomes en particulier l’aide européenne au développement, c’est tout de même 6 milliards, que la Commission de son côté refuse de voir passer sous l’autorité de ce service … Ca baigne !

Un parlement croupion
Le grand perdant de cette tuyauterie bureaucratique improbable est évidemment le parlement. Son contrôle parlementaire et démocratique sur les relations internationales n’est pas pour demain ! Car la responsabilité de ce service, et plus largement du futur triumvirat diplomatique, devant le Parlement européen est évidemment la page blanche du Traité de Lisbonne. Déjà en partie marginalisé en matière internationale avec les institutions actuelles, en dépit des gesticulations des euro béats qui arguent d’une responsabilité très théorique de la Commission devant lui, le Parlement européen le sera encore plus quand trois institutions concurrentes paralyseront les relations internationales de l’Union Européenne. Sur le terrain le gâchis a de beaux jours à venir. Au Panama, où je me trouvais il y a peu comme on le sait, pendant que les outils de la présence française, comme l’Alliance française, crèvent de misère, une joyeuse bande de fonctionnaires européens bien payés dépensaient de copieux budgets à leur fantaisie. 18% de leurs dépenses sont acquittées par la République Française à qui ils ne rendent aucun compte. Ni même aucune information à sa représentation diplomatique locale.


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