ZE BARONNE ORE NOT ZE BARONNE?
En commission des affaires étrangères on se trouve aux avant postes de la niche, juste devant la porte de l’empire. On étudie un rapport sur les prochains élargissements de l’Union Européenne. Dans les considérants on apprend que le parlement européen prétend être « fermement attaché à la politique d’élargissement qui s’est avérée être l’une des plus fécondes de toutes les politiques de l’union européenne ». Je pense exactement le contraire. L’arrivée de dix pays d’un coup, tous préalablement adoubés par l’OTAN, sans aucun approfondissement de la démocratie européenne a été le tournant qui a tué le projet européen de gauche. Bon. Le texte est un montage d’autocongratulations et de recommandations aux impétrants sur un mode plus ou moins aimable. Je ne parlerai même pas de ce débat si ce n’était son environnement. En relation avec mon voyage sous occupation linguistique. Ici c’en est un cantonnement avancé.
J’ai reçu 108 pages d’amendements à la résolution. Tout en anglais. La traduction est arrivée quatre heures avant la réunion. Nous étions dans le train. Heureusement que la tête est bonne et que je connais le dossier. Sur place, en commission, c’était de toute façon assez confus. Entre amendements de dernière minute et amendements oraux, et même des sous-amendement oraux, le débat de la commission avait un côté de nuit de commission des résolutions du PS à l’époque où les gens qui y siégeaient avaient lu les textes qui se discutaient. Ici ce sont des pointus. mais ils ont un air vaguement obsessionnel que je ne m’explique pas compte tenu des broutilles sur lesquelles ils s’acharnent. Le moment comique est celui où il est question d'organiser l'audition de madame ASHTON, la nouvelle tête du trio affaires étrangères de l’usine à gaz des institutions européennes. C’est dorénavant la vice présidente de la commission. La dame est une baronne, parait-il. Pour ma part, je me garderai bien d’y faire référence pour ne pas laisser croire que je la méprise en l’affublant d’un titre d’ancien régime. Mais ces gens ici voient les choses différemment. C’est tout le contraire. Ils se sont régalés la bouche à rouler les «r» de baronne. La baronne par-ci, la baronne par là, bla bla la baronne. Ad nauséeum ! « Ze baronne will come aze soune aze possibeul ! » nous rassure un fayot quelconque en achevant de désorganiser le débat qui porte sur autre aspect. Le président de séance m’a l’air passablement excédé. Surtout que le bazar vient de trois allemands de droite qui n’arrêtent pas de faire des commentaires et des amendements oraux auxquels personne ne comprend rien à part une autre allemande, également de droite, qui fait des grimaces affreuses chaque fois qu’elle perd un vote c'est-à-dire tout le temps. Au début ça m’amusait. Au bout d’un moment il est vrai que ça crée une ambiance bizarre… Alors notre président de commission, un italien de droite bon teint, est passé en mode «fission nucléaire». Il a fini par sourire, avec plein de dents dans la bouche : « écoutez-moi bien ! Je n’ai pas demandé à être le président de cette commission ! D’accord ? Alors si vous me renvoyez chez moi, ca m’est égal. Mais si c’est bien moi qui préside ici alors je vais décider que cette discussion est terminée. Maintenant on va voter sur la résolution et ça suffit comme ça ». Là je suis bien d’accord, en qualité de vice président, français de gauche, installé à la tribune avec ma liasse de cent huit pages d’amendements fraichement tombée sur mes genoux.
LE BIGOT EST SERVI !
La baronne n’est pas la seule curiosité des deux nominations du conseil européen. Le monsieur Herman Van Rompuy gagne lui aussi à être mieux connu. Mais certains le connaissent déjà bien. Les évêques de Belgique ont été parmi les tous premiers à le féliciter pour sa nomination. Normal. Herman van Rompuy est un clérical en béton armé. Le 19 octobre dernier encore, il donnait une grande conférence publique à Bruxelles sur la doctrine sociale de l’Eglise. Il prévenait en commençant son exposé : « Je m’exprime en tant que chrétien à titre personnel. Je ne ferai pas toujours le distinction entre l’encyclique et mes propres opinions ». C’est que pour lui, « Avec Benoît XVI, l’Eglise affiche une qualification supplémentaire: elle se dit non seulement compétente pour une contribution à une meilleure compréhension et à l’amélioration de la condition humaine, mais détenant le seule bonne clé de lecture pour cela : la « Vérité ». L’homme n’est pas sa propre référence. Sa vie a un sens profond qui le dépasse, qui est révélé par la Vérité (pas le vérité du comment mais la vérité du pourquoi). La Vérité c’est l’Amour incarné dans le Christ et dans la Trinité. » Puis il a justifié évangéliquement le libéralisme économique : «l’Eglise ne condamne pas le marché financier international en tant que tel, car sans système adéquat, nous n’aurions connu ni cette croissance économique, ni les investissements massifs des dernières décennies. La mondialisation de l’économie contraint, par ailleurs, les pays à une collaboration internationale ». En ce qui nous concerne, nous nous sentons un peu visé quand Herman a déclaré dans sa conférence : « Les messianismes prometteurs, qui sont des bâtisseurs d’illusions », selon les termes de Benoît XVI, privent, en outre, l’homme de ses responsabilités et ce faisant de sa dignité. » Enfin pour clore cette première évocation de notre nouveau « représentant stable » à la tête de l’Europe, on rappellera qu’il a récemment déclaré, lors d’un Conseil européen : "Les valeurs universelles de l'Europe, et qui sont aussi des valeurs fondamentales du christianisme, perdront de leur vigueur avec l'entrée d'un grand pays islamique tel que la Turquie". L’Europe des bigots est en marche !