25 ème CIEL
Ce vendredi j’ai été reçu en audience par le président de la république d’Equateur, Raphael Correa. Cela s’est passé à Bruxelles où il se trouve pour quarante huit heures. J’étais accompagné de la présidente de la commission internationale du Parti de gauche, Céline Ménesses. Céline supplée en effet Raquel Garrido pendant le temps où celle-ci se trouve en Amérique latine où elle suit plusieurs élections et évènements hautement significatifs dont je parlerai d’une façon ou d’une autre. Rafael Correa est installé au 25 ème étage de l’hôtel Hilton à Bruxelles et je crois bien que lui et sa délégation l’occupent en entier. Bien m’en a pris de prévoir un peu d’avance pour m’y présenter. Car à l’heure pile le président nous a fait entrer. La première chose frappante à son sujet est donc qu’il est ponctuel comme jamais je n’ai vu un latino américain l’être et alors même qu’il est facile d’imaginer combien un emploi du temps de Président de la République doit être singulièrement propice aux dépassements. Il est vrai que j’étais reçu juste après monsieur Herman van Rompuy et je suppose que cela n’avait aucun intérêt. Le président Correa est une figure de proue de la révolution démocratique en Amérique latine. Il a convoqué et gagné sept élections en trois ans dans son pays. Son abord est simple. Il parle sans emphase. Il comprend et parle couramment le français car il a vécu en Belgique et son épouse est belge. Mais notre entretien a eu lieu en espagnol. Je note qu’il a le regard fort et direct comme l’est le regard de ce type d’homme tel que j’en ai déjà vu avec Evo Morales, Chavez et d’autres de cet acabit. A ce sujet, j’avais gardé le souvenir d’une image de télévision où il avait littéralement mitraillé des yeux Alvaro Uribe, le président voyou de Colombie. C’était à un sommet qui avait suivi le bombardement par les colombiens d’un camp des Farc en Equateur, au mépris de la souveraineté de ce pays. De cette scène j’avais retenu le souvenir d’un homme aux yeux noirs et au visage allongé. Il a les yeux clairs et la mine équilibrée. Comme quoi la colère peut défigurer. Il porte la chemise traditionnelle des centres américains et caribéen, la goyavera blanche avec des motifs, sans cravate. Quand j’aurais dit qu’on a bu de l’eau et que je lui offert mon livre « En quête de gauche », tout aura été dit concernant l’ambiance. J’en viens à l’essentiel. La politique.
SORTIR DE L’ORNIERE
Raphael Correa avait pour premier objectif de sortir son pays de l’ornière néolibérale. C’est ce qu’il a fait à coup de réformes radicales qu’il a fait valider par le suffrage universel. Le début de son propos lors de notre échange a été consacré a décrire comment le néo libéralisme avait été importé en Equateur par la démocratie chrétienne et la social démocratie alors même que cela n’avait aucun rapport avec leur histoire idéologique ni avec celle du pays. Il en est résulté les habituels bienfaits. Le pays a été ruiné et endetté, deux millions de personnes ont émigré, chassée par la nécessité de survivre. Bien sur, aujourd’hui, sur place les auteurs de ce désastre l’accablent de campagne calomnieuse, mettent en cause son populisme montrent du doigt sa vocation dictatoriale. Qu’il soit l’homme qui a crée la possibilité du référendum révocatoire du président et qu’il ai gagné toutes les élections au premier tour n’atteint pas les centres de propagande internationale qui débitent sur son compte le même genre d’avanie que sur Chavez et Morales. Sa lecture de l’ancrage de sa révolution est simple. Il dit que ce qu’il fait n’est pas fait au nom d’une idéologie mais du bon sens. Il décrit comment les mesures radicales de son gouvernement, les nationalisations qu’il entreprend pour recapitaliser les services à vocation de service public sont soutenues par le grand nombre de toute opinion pour la raison que c’est la situation de délabrement résultant de la privatisation qui heurte le bon sens des gens. C’est ce qui explique selon lui pour quoi la révolution démocratique tient, alors même que le pays a affronté toutes les malchances à la fois. D’abord des inondations qui ont recouvert 40% de la surface du pays. Puis à présent la sécheresse la plus sévère depuis quarante ans. Le tout sur fond de crise financière et de recul de tous les investissements internationaux. Sans parler d’un harcèlement politique d’une violence désormais traditionnelle en Amérique latine contre les pouvoirs de gauche. Surtout quand ils sont exercés par des hommes dont la couleur de peau permet le déchainement raciste. Raphael Correa est ainsi lui aussi traité de « singe », comme Evo Morales, Hugo Chavez. Et comme Barak Obama lui-même, comme on le sait, ce qui est bien normal puisque la source de cette propagande stéréotypée est chez les néo conservateurs étatsuniens.
LA TRANSITION ECOLOGIQUE
Le plus important de la discussion que nous avons eu a porté sur la dimension écologiste de la révolution démocratique en Equateur. Raphael Correa m’a rappelé que l’assemblée constituante de son pays a adopté la première et seule constitution écologique du monde « et de l’histoire de l’humanité » a-t-il précisé, puisqu’elle reconnait des droits à la nature. Au cas pratique concret cela se traduit par des propositions extrêmement novatrices et audacieuses. Ainsi du projet nommé « ITT », sigle tirés des noms de lieux des trois forages d’exploration pétrolière qui se trouvent localisés dans la zone Ishpingo-Tambococha et Tiputini. Equateur est un pays qui vit de la rente pétrolière. ITT représente 20 % des réserves totales connues du pays. Pour un pays pauvre c’est une manne décisive. Pourtant le gouvernement équatorien propose de ne pas exploiter le site pour limiter les émissions de gaz à effet de serre que la mise en circulation de cette quantité de pétrole implique. Il demande qu’un principe de coresponsabilité climatique soit reconnu. Cela signifie qu’en échange il recevrait de la communauté internationale 50% de la valeur représentée par ce gisement. Ce qui revient à dire que le pays prendrait à sa charge 50 % du cout de l’effort de limitation de l’émission de gaz à effet de serre contenu dans le gisement. Mais cela revient aussi à établir un principe de coresponsabilité tout a fait nouveau et potentiellement contagieux. Pour l’instant seule l’Allemagne a accepté l’idée et proposé un budget pour financer sa participation. Je crois que nous devons nous approprier cette idée et la mettre en valeur à la fois comme idée «concrète» de l’alternative anti productiviste et comme illustration de la capacité de proposition écologique de nos révolutions démocratiques. En tenant compte en particulier du fait que cette proposition est née au ministère de l’énergie et des mines du gouvernement Correa, à l’initiative d’Alberto Acosta qui a été le président de l’Assemblée Constituante que j’ai évoquée
LE PLAN MONDE
La rencontre a duré trois quart d’heures et de nombreux points sont venus sur la table, notamment en ce qui concerne l’organisation des forces politiques de la nouvelle gauche mondiale ! De cela je traiterai une autre fois, lorsque nous aurons fait notre bilan de la séquence électorale de la fin du trimestre en Amérique latine avec la présidentielle au Chili, en Uruguay et en Bolivie. Car je crois que tous mes lecteurs ont compris l’importance de la réflexion sur l’actualité internationale pour moi. Elle constitue une culture commune extrêmement vive au Parti de Gauche. Notamment dans la jeune génération des dirigeants du parti et je considère que c’est une partie honorable de mon bilan d’animateur de ce courant depuis tant d’années. Cela nous distingue très profondément de l’étroitesse micro locale traditionnelle des sociaux démocrates qui ont cessé de regarder au-delà de leurs clochers par peur d’y voir ce que font leurs amis et par un sentiment de profonde impuissance face à la mondialisation qu’ils ont béatement encensé. Avec Correa nous avons aussi parlé assez intensément du problème que pose la conduite d’un processus tumultueux du type de celui qu’il mène sans disposer d’un parti idéologiquement homogénéisé. Et d’ailleurs sans parti du tout car la coalition qui soutient le président est une nébuleuse très « plurielle » comme on dirait ici. C’est pourquoi ce qu’entreprennent des forces aussi modeste que la notre l’intéresse. Je lui ai dit : « vous savez, nous sommes une petite force ». Il a sourit et il m’a dit : « nous on était une plus petite force encore ». Pas sur qu’il ait juste voulu être agréable avec moi.
MEDIA ET REVOLUTION
Je veux évoquer un point qui n’a pas été dans notre discussion mais qui a retenu mon attention à propos de la situation en Equateur. Je veux parler des médias de ce pays. En Equateur sévit une situation médiatique dont nous ne pouvons pas nous faire idée dans nos pays avancés. Là bas, tous les médias sont tous du même côté et ne donnent aucune part de parole aux adversaires du libéralisme. Evidemment c’est très dur à imaginer. Mais il faut voir que sur place c’est extrêmement pesant et dangereux. En effet, à intervalle régulier, la presse se lance en meute contre tel ou tel, inventant des informations, injuriant les dirigeants de gauche. Et pire. D’une façon générale les médias audiovisuels déversent des flots d’émissions qui conviendraient mieux à des légumes pulsionnels qu’à des êtres humains. La révolution démocratique ne pouvait pas passer à côté de cela. Donc, la loi de communication proposée par le député de gauche Rolando Panchana est la polémique du moment en Equateur. Cette loi est dénoncée par les médias comme une loi "bâillon". Ils y voient une "censure" que représenterait l'obligation faite à chaque média, si cette loi passait, d'être accréditée par le Conseil National de Communication. Car il leur faudrait alors approuver un "Code d'Ethique" qui soit conforme à la Constitution et pour lequel tous les employés du média, préalablement consultés, devront avoir donné leur accord. Odieux, en effet. Surtout que d’autres mesures affreuses sont également prévues. Par exemple l’obligation qui est faite, même s'il s'agit de médias privés, de respecter leur "responsabilité sociale". Comment ? En offrant des programmes de qualité et présentant des points de vue divers, de façon à former l'esprit critique des citoyens. Comme si cette atteinte à la liberté de dire et faire n’importe quoi ne suffisait pas, la loi prévoit aussi l'obligation de présenter à 40% du total informatif de l'information nationale. Elle impose aussi que 10% de la programmation cinématographique soit de production nationale indépendante. Autre chose encore: l'obligation de dédier une heure par semaine aux programmes éducatifs et de santé proposés par l'Etat. Et aussi de réserver des espaces aux communications de l'Etat. Sans oublier l'interdiction de présenter des annonces publicitaires télévisuelles pour le tabac ou l'alcool entre 6H et 22H ! Je n’entre pas davantage dans les détails. L’idée que je veux retirer de cela est que l’on ne peut imaginer, nous non plus, ce que nous ferons dans notre pays sans tenir compte de ce qu’est le paysage des médias qui le dominent. Et ceci inclut, évidemment, la question des agences de presse et autres sources de l’information.