mar 11 06

Sans doute vous souvenez vous de mes explications ici même sur ce qu’est le semestre européen. Il s’agit d’un mécanisme qui permet à l’Union Européenne de contrôler les projets de budget des états membres avant même qu’ils soient examinés par leurs députés. Le Front de gauche a déposé à l’assemblée nationale en France, comme l’ont fait nos camarades au Portugal et en Allemagne, une proposition de loi pour affirmer la souveraineté des assemblées contre ce dispositif. On se souvient que la droite, les Verts et le PS, sauf l’unique vote d’Henri Emmanuelli, ont voté contre notre proposition. Bon.

Notre chère Union qui protège vient de franchir une étape. Si le « Semestre européen » permet de contrôler les budgets nationaux, il faut tout contrôler "ex ante". C'est-à-dire avant même que le projet de budget soit rédigé et qu’il passe devant le tribunal libéral européen. Voici la phrase qui annonce cette nouvelle, dans le parler confus typique de l’union européenne et de ses traductions approximatives de l’anglais. Si ça vous saoule sautez les lignes qui suivent je les ai résumées à l’ instant. "Conjugué aux lignes directrices intégrées "Europe 2020", il (le Semestre européen) jette les bases d'une coordination ex ante au sein du Conseil et donne un fondement aux orientations formulées par le Conseil européen à l'intention des États membres en vue des stratégies globales qui seront présentées dans les programmes de convergence et de stabilité et les programmes nationaux de réforme. Ces orientations contribueront aussi à affiner la préparation des budgets nationaux pour 2012."

Pour avoir un avant-gout, en supposant que vous ne soyez pas déjà largement sur vos gardes, voici ce qui est dit sur la fiscalité par exemple, qui n’est pourtant pas du domaine de compétence de l’Union. "S'il reconnaît que les questions relatives à la fiscalité sont du ressort des États membres, le Conseil considère néanmoins que dans les cas où il s'avère nécessaire d'augmenter la pression fiscale, il convient de préférence d'accroître les impôts indirects et d'élargir la base d'imposition." Tout le monde comprend : davantage de TVA. Et surtout pas d'impôts ciblés sur les plus hauts revenus. "Dans la mesure du possible, la charge fiscale pesant sur le travail devrait également être réorientée vers d'autres facteurs afin de stimuler l'utilisation de main-d'œuvre et de créer les conditions de la croissance." Cette consigne quand elle arrive chez les libéraux en France est habillée de mots ronflants. C’est la pseudo « TVA sociale », ou mieux encore la prétendue « TVA anti délocalisation » chère au patron du groupe UMP, monsieur Christian Jacob. Je le mentionne pour que mes lecteurs comprennent un mécanisme spécialement pervers de l’action de la droite. Quand elle fait mine « d’avoir une idée » pour la France, quand celui-ci où celle-là arrive la bouche en cœur comme s'il venait d’inventer l’eau chaude, dites-vous que le plus souvent il ne fait que répéter en Français ce qui est déjà écrit en anglais à Bruxelles dans les notes des lobbies libéraux.

Je reviens sur les décisions de notre chère « Europe qui protège ». La consigne qu’elle donne pour faire passer la nouvelle étape du rouleau compresseur libéral est claire : transposer au plus vite les conditions du semestre européen dans les lois nationales. Ça ne va pas être aussi simple partout que ça le sera en France du fait de la complicité de l’UMP et du PS pour tout avaler. N’empêche. Cinq règlements qui doivent être intégralement transposés dans le droit national et une directive seront proposés pour le sommet des 24 et 25 Mars prochains. On y retrouve des idées très brutales. Exemple : sanctionner plus tôt et de façon automatique les États membres qui ne se conforment pas aux règles du Pacte de stabilité. Automatiquement ! Une sanction automatique à tout un peuple venant d’une commission non élue ? Comment une chose pareille est-elle possible dans une démocratie ? Comment une chose pareille est-elle possible face à la souveraineté des états nations ? Pour que ça ait l’air d’une décision collective, quoique ce soit automatique, les eurocrates ont inventé une nouveauté. La « règle de la majorité inversée » ! Simple, non ? Non pas vraiment. C’est obscur comme tout ce qui vient d’Europe. Voilà comment ça marche : une proposition de la Commission d'imposer une amende à un Etat membre sera considérée comme adoptée sauf si le Conseil la rejette à la majorité qualifiée.  Ha ! Ha ! Ha ! Elle est bonne pas vrai ! Comme ça tous les lâches style Papandréou, tous les gouvernements Strauss-Kahniens et sociaux libéraux auront un prétexte quand le coup de massue leur tombera dessus : « On n’a rien dit parce qu’on n’avait pas de majorité pour empêcher ça ! ». Ce n’est pas du tout un petit changement. C’est une contre révolution. Car aujourd'hui le conseil doit l'approuver à la majorité qualifiée pour que la procédure soit enclenchée.  C'est donc un renforcement considérable du pouvoir arbitraire de la Commission face aux Etats nations et aux peuples qui vient d’être acté. Comprenez bien si la règle affiché est de "déclencher la sanction de façon plus automatique", c'est comme si on disait : le projet de loi Fillon est adopté sauf si les 2/3 de l'Assemblée nationale votent contre !

Ne croyez pas que ce soit la seule procédure qui soit choquante. C’est la politique au service de laquelle cette violence a été imaginée qui est le plus grave. Car il a été décidé le 28 Octobre 2010 que l'Union Européenne pouvait procéder à des sanctions si la Commission considère que la politique économique d’un Etat nation est "‘‘gravement'' pas conforme aux grandes orientations des politiques économiques de l’UE, ou si elle risque de compromettre le bon fonctionnement de l’union économique et monétaire". Donc si un gouvernement de gauche arrive et veut avoir une politique de relance des salaires, ce qui est considéré officiellement comme une bêtise par monsieur Trichet, la commission pourra sanctionner ce pays ! Je donne cet exemple car la liste des cas de sanctions s’est élargie à la faveur de cet épisode dans le sens d’un durcissement du pacte de stabilité de triste mémoire.

Par exemple le texte prévoit de sanctionner suivant le critère de la dette même quand le déficit est dans les clous ! Donc on peut être sanctionné pour déficit excessif mais on peut l’être aussi quand ce déficit n’est pas excessif mais qu’on emprunte trop ! "Les États membres dont la dette excède 60% du PIB seront tenus de prendre des mesures pour réduire leur dette à un rythme prédéfini, même si leur déficit est inférieur à 3% du PIB". Autre nouveauté, étendre la surveillance de la Commission à la balance commerciale et à la balance des paiements des pays de l’union. La Commission n'est plus chargée uniquement de la surveillance budgétaire, à savoir le déficit et la dette. Elle pourra proposer des amendes aux Etats membres "en situation de déséquilibre excessif" : qui importent plus qu'ils n'exportent ou inversement. Il n'y a pas de définition précise du "déséquilibre excessif" : son appréciation semble être laissée à la Commission, avec l'aide "d'indicateurs économiques". Ça rappelle le débat du G20. On fait le pari que les pays excédentaires comme l’Allemagne vont s’arranger pour rester à l’abri comme ils l’ont fait au G20.

Bilan. Quoique vous fassiez et quelle que soit votre situation nationale, vous n'échapperez pas aux coupes budgétaires. Vous êtes un Etat membre en situation budgétaire normale ? Vous devez quand même « assainir » votre budget. Le Conseil déclare: "il est de la plus haute importance pour tous les États membres de veiller à maintenir la dette publique à un niveau supportable". Pour cela, une seule solution selon lui  "annoncer et mettre en œuvre des plans d'assainissement crédibles et détaillés, qui requièrent, dans la plupart des cas, des ajustements budgétaires structurels annuels nettement supérieurs à 0,5% du PIB, et qui viendront s'ajouter aux réformes des régimes de retraite, des systèmes de soins de santé et des marchés du travail." Même les biens portants sont des malades qui s’ignorent selon le grand quartier général libéral. Tout le monde doit être saigné, quelle que soit son état, sa maladie ou sa bonne santé !

Vous êtes un Etat membre en situation de déficit "excessif ou connaissant de graves difficultés financières" ? Là c’est parfaitement clair : c’est grave et la main qui soigne est coupante ! La langue pour le dire, elle est toujours aussi pâteuse. Lisez cette merveille de clarté : "En ce qui concerne les États membres faisant l'objet d'une procédure concernant les déficits excessifs, les objectifs à atteindre en matière de déficit et les ajustements structurels devraient être pleinement compatibles avec la correction en temps utile des déficits excessifs et ne pas entraîner de report des ajustements nécessaires." Donc ceux qui feraient les malins du genre encore « cinq minutes docteur » n’ont aucune chance d’attendrir le bourreau. Et pour que la peinture soit nette voici la deuxième couche : "Les États membres qui présentent des déficits budgétaires structurels de très grande ampleur ou un niveau d'endettement public très élevé ou en augmentation rapide devraient anticiper leurs efforts d'assainissement budgétaire. Tel devrait être le cas en particulier des États membres connaissant de graves difficultés financières". Et vous-là qui faites les malins avec des perspectives de croissance qui sont bonnes ? Pas de remise de peine pour vous non plus ! Il faut au contraire en profitez pour accélérer l'assainissement !  C’est écrit avec fermeté : "Si la croissance économique ou les recettes s'avèrent plus élevées que prévu, il convient d'accélérer encore l'assainissement budgétaire."

On doit bien comprendre que tout ceci ne vise pas seulement la façon d’organiser le budget des Etats. Ce n’est pas juste une question de technique budgétaire. L’affaire s’enracine dans les rapports de force entre le capital et le travail pour le partage de la richesse produite. "Les abattements fiscaux, les formules souples de travail et les structures de garde des enfants devraient être conçus de façon à faciliter la participation au marché du travail et à augmenter le nombre d'heures travaillées." Augmenter le nombre d’heures travaillées c’est clair ? Travailler plus. Mais est-ce pour gagner davantage ? Evidemment non. "En vue d'améliorer la compétitivité, les États membres devraient favoriser une évolution du coût de la main d'œuvre qui soit compatible avec la situation économique et l'état du marché du travail au niveau local, les tendances à moyen terme en matière de productivité, ainsi que la nécessité de corriger les déséquilibres actuels." Avec une telle liste, ce n’est pas demain la veille que la paye va augmenter !

Travailler plus longtemps, cela concerne non seulement la semaine de travail mais évidemment la durée au travail sur toute une vie. Revient donc la question des retraites dans ce document du Conseil européen. "L'assainissement budgétaire devrait aller de pair avec des réformes destinées à garantir la viabilité et l'adéquation des systèmes de retraite, notamment en augmentant l'âge effectif du départ à la retraite et en liant plus étroitement l'âge de la retraite et/ou les prestations de retraite à l'évolution de l'espérance de vie, en limitant le recours aux régimes de retraite anticipée qui risquent de réduire l'offre de main-d'œuvre ". Dites merci à « l’Europe qui protège » et nous « permet de sauver notre modèle social ». Et comme si ça ne suffisait pas, évidemment, voici des recommandations en faveur des fonds de pension, tout à fait en phase sans doute avec la défense de ce modèle social, qui sert de refrain aux discours de la droite et des sociaux libéraux Strauss-Kahniens. "Si les régimes publics de retraite continuent de jouer un rôle important, il y a lieu de promouvoir l'épargne privée, et notamment les régimes relevant du deuxième pilier qui pourraient constituer un complément utile en augmentant les revenus des retraités".

Pas une des tartes à la crème qui jalonnent notre chemin de croix libéral ne manquent dans ce texte qui fonctionne comme un manifeste de guerre sociale. Ainsi, une fois de plus l’antienne sur les « rigidités ». Vous savez comme moi ce que ce mot gentillet veut dire sous son masque raisonnable. "Les rigidités qui font obstacle à l'ajustement de la compétitivité doivent être éliminées". De quel genre de rigidité s’agit-il là ? Evidemment de celle qui réglemente le travail humain. Il s’agit du code du travail. "Le Conseil estime qu'il convient, le cas échéant, de faire le point sur les organismes du marché de l'emploi, ainsi que sur la législation relative à la protection de l'emploi, et, au besoin, de les réformer, dans le but de réduire les rigidités du marché du travail et de favoriser la participation à celui-ci". Je suis désolé de vous infliger une prose aussi épaisse et mal rédigée. Mais cela vous permet de mieux comprendre aussi ce que je vous explique d’habitude à propos de ces textes européens qui vous tombent des mains et pour lesquels il faut un effort d’attention double du fait de leur style !

Cette réforme des codes du travail nationaux en vue d’une plus grande flexibilité, ce passage de la gestion budgétaire à la lutte de classe n’a pas de limite. Seules les trouvailles varient pour emballer avec des mots piégés les mauvais coups. Ainsi quand « l’Europe qui protège » prétend vouloir transformer les droits sociaux en "incitations au travail"? Voyez. "En règle générale, les prestations de chômage devraient être revues afin de s'assurer qu'elles fournissent des incitations au travail". Et comment ? Tout le monde devine que ce n’est pas avec tendresse. "Il y a lieu de s'attacher en particulier à accroître l'attrait du travail et à réinsérer les chômeurs sur le marché du travail. Pour réduire les risques d'exclusion à long terme du marché du travail, il convient que les prestations soient étroitement liées aux formations suivies et/ou à la recherche effective d'un emploi". Ce texte vous dit que si vous êtes au chômage depuis longtemps c’est de votre faute et qu’il faut vous surveiller pour savoir si vous vous formez vraiment et si vous cherchez vraiment du boulot, tas de fainéant que vous êtes. Dites merci.

Face à cela nous ne restons pas inertes. Le PGE s'engage pour la lutte contre la précarité. Ce week end se tenait à Porto au Portugal la première réunion du Parti de la gauche européenne dont le parti de gauche, le parti communiste français et la gauche unitaire sont membres et qui est d'ailleurs présidé par l'un des nôtres, Pierre Laurent. Cette rencontre. Pas moins de douze partis membres du PGE étaient présents à cette réunion ainsi que de nombreux représentants des mouvements sociaux et des syndicats portugais. Au cœur des discussions : la question du combat contre la précarité. Beaucoup d'intervenants ont considéré qu'il s'agissait là de la lutte centrale que la gauche européenne devrait mener dans les mois et les années à venir. Au terme des travaux, le PGE a décidé de faire de cette initiative une campagne européenne "pour le travail digne et contre la précarité" comme l'a souligné Miguel Portas, responsable international du Bloco de Esquerda, chargé de conclure la réunion. Francis Wurtz a pour sa part indiqué que le fonds de développement social et de solidarité qu'il souhaite proposer à la Commission européenne serait dédié à la lutte contre la précarité tout comme la campagne de récolte du million de signature nécessaire pour pouvoir faire cette proposition. Ronald Janssen, représentant de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) a, lui,  insisté sur la nécessité de mener une bataille contre "la guerre en quatre faite aux salaires dans l'Union européenne". Les quatre axes étant : le Fonds européen de stabilité financière UE-FMI qui permet la casse sociale en Grèce et en Irlande, le Semestre européen et son pendant pour l'emploi (article 148 du Traité de Lisbonne), le Pacte de compétitivité Sarkozy-Merkel et le paquet de surveillance financière permettant de sanctionner tout déséquilibre budgétaire. Il est vrai que la précarisation des citoyennes et des citoyens est au cœur du projet des eurocrates qui nous gouvernent comme le Parti de Gauche a eu l'occasion de rappeler durant cette réunion publique. En conclusion de la conférence de presse qui clôturait une après-midi de travail particulièrement dense, Marisa Matias, vice-présidente du PGE a lancé deux mots d'ordre pour la campagne à venir: "L'Europe ne se fera pas sans les citoyens" et "Travail et précarité ne doivent plus pouvoir se conjuguer ensemble". Place à la lutte citoyenne contre la précarité au Portugal et dans toute l'Europe donc!


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