ACTA, (de l'anglais : Anti-Counterfeiting Trade Agreement) est un traité multilatéral sur les droits de propriété intellectuelle. En français le traité s'appelle "ACAC" (Accord commercial anti-contrefaçon)
Son but affiché : lutter contre la prolifération des marchandises contrefaites et marchandises pirates et contre les actes portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle sur le web.
Les buts ajoutés par la bande par les Etats-Unis, suivis des autres partenaires dont l’Union européenne: étendre le règne du néolibéralisme dans le domaine virtuel. Renforcer les possédants de brevets, essentiellement des grandes compagnies américaines et européennes, des grands laboratoires pharmaceutiques, au détriment de l’innovation, des libertés, de la santé publique, du développement.
ACTA a été négocié dans la plus grande opacité à partir de 2007 par: l'Australie, Corée du Sud, Nouvelle-Zélande, Mexique, Jordanie, Maroc, Singapour, Etats-Unis, Union européenne, Suisse, Japon, Emirats Arabes unis et Canada, soit tous des pays du club de riches que constitue l’OCDE, et un pauvre (Maroc) pour tenter de sauver les apparences.
Il a été négocié en dehors du cadre légal en la matière, l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) des Nations Unies. Or: il va inévitablement s'imposer à tous les Etats avec lesquels les Etats qui l'auront ratifié commercent.
Ceux qui ont signé/ Ceux qui n'ont pas signé:
Ont signé: en Octobre 2011, le Canada, l'Australie, le Japon, le Maroc, la Nouvelle Zélande, la Corée du Sud, Singapour et les États-Unis. Le 26 Janvier 2012. 22 pays européens et la Commission européenne le signent également
N'ont pas signé: l’Allemagne, Chypre, l’Estonie, les Pays-Bas et la Slovaquie n'ont pas accepté de signer, suite à l’indignation populaire.)
Processus de ratification et entrée en vigueur au niveau de l'UE : un vote du Parlement européen en plénière est obligatoire pour permettre la ratification du traité par l'UE, ou pour le rejeter. Aucun amendement du texte n’est possible.
A noter: Face aux manifestations grandissantes, certains pays qui ont signé ACTA (la Pologne, la Bulgarie, la Roumanie, la Lettonie et la République Tchèque) ont décidé de geler le processus de ratification de l’accord à leur niveau.
D'aucun estime donc que le traité est mort… Pas si sûr: il sera certes très déforcé si l’UE le rejette, mais le traité entrera en vigueur dès que 6 Etats signataires l'auront ratifié. Ilrestera ensuite ouvert à son adoption par les Etats membres de l'OMC.
Les problèmes que pose ACTA sont multiples :
1. Cet accord privatise la création du droit international au profit de ses membres:
Il crée un cadre juridique et des organes spécifiques nouveaux, en dehors du cadre onusien. Un Comité de l'ACTA est ainsi créé par le traité (article 36)
Ce Comité:
- pourra en outre créer des comités ad hoc et des groupes de travail.
- formulera des recommandations sur la mise en œuvre de l'accord
- sera chargé de proposer des développements de cet accord
- pourra prendre des mesures non précisées dans l'accord et dont il décidera lui-même (elles ne seront donc pas prises en compte dans les délibérations des parlements ou les débats populaires en cas de référendum)
- rien n'est dit sur sa composition sauf que chaque Etat doit y être représenté (par qui?)
- travaillera exclusivement en anglais
C'est donc une négation du cadre onusien: les Etats membres de cet accord développeront leur droit dans ce cadre et non en négociation au sein de l'OMPI. Il s'agit de forcer les Etats non parties à adopter le droit qui deviendra la référence dans les échanges commerciaux.
2. Un texte au service des seuls "détenteurs de droits":
Les mesures de prévention bafouent la présomption d'innocence (article 12)
Les autorités judiciaires peuvent saisir les marchandises et tout élément de preuves sans entendre le contrevenant présumé sur demande du "détenteur du droit"
Les sanctions au bon vouloir du "détenteur du droit" (auteur, compagnie etc)
Les autorités judiciaires ou "le détenteur du droit" peuvent choisir de demander au contrevenant soit le versement de "dommages et intérêts adéquats", soit de dommages et intérêts préétablis (article 9)
3. La protection des données personnelles mise à mal
Les données transmises directement aux "détenteurs des droits" et non aux seules autorités judiciaires
- Par une "autorité compétente" (article 22)
Les autorités compétentes peuvent fournir au "détenteur de droit" (auteur, compagnie etc) " les renseignements sur les marchandises, notamment, mais sans s'y limiter, la description des marchandises et leur quantité, le nom et l'adresse de l'expéditeur, de l'importateur, de l'exportateur ou du destinataire et, si ces renseignements sont connus, le pays d'origine des marchandises, ainsi que le nom et l'adresse du fabricant des marchandises"
- Directement par les fournisseurs de services en ligne (article 27):
Le texte permet aux "autorité compétentes" de l'Etat d'" ordonner à un fournisseur de services en ligne de divulguer rapidement au détenteur du droit (auteur, compagnie etc) des renseignements suffisants pour lui permettre d'identifier un abonné dont il est allégué (et donc pas certain) que le compte aurait été utilisé en vue de porter atteinte à des droits"
—– Les fournisseurs de services doivent donc fliquer les internautes de façon à transmettre les données
—– Les données sont transmises à des personnes physiques ou morales qui peuvent ensuite faire ce que bon leur semble des données personnelles (l'étendues des données à transmettre n'est pas limitée)
A noter: les "fournisseurs de services en ligne", ce ne sont pas seulement les fournisseurs d'accès internet mais tous ceux qui permettent de fournir un contenu : WordPress, Wikipédia, Twitter, YouTube, Google, Facebook etc…
- Les "autorités compétentes" Etats parties à l'accord échangent aussi entre elles les données personnelles (articles 29 et 34):
Art. 29. Il est précisé qu'elles peuvent " échanger des renseignements avec les autorités compétentes d'autres Parties au sujet du respect des droits de propriété intellectuelle à la frontière, y compris des renseignements pertinents permettant de mieux déceler et cibler, à des fins d'inspection, les envois que l'on soupçonne de contenir des marchandises qui portent atteinte à des droits".
Art. 34. Il y est indiqué, après mention de renseignements techniques et législatifs, que les Etats s'efforcent de se transmettre "d'autres renseignements selon les modalités mutuellement convenues entre les parties"
- Les "fournisseurs de services en ligne" encouragés à se transmettre les données personnelles? (article 27)
"Chaque Partie s’efforce de promouvoir, au sein des milieux d’affaires, des efforts de coopération destinés à contrer les atteintes portées aux marques de fabrique ou de commerce et au droit d’auteur ou à des droits connexes".Il est noté que tout cela doit se faire "toute en respectant les principes fondamentaux comme la liberté d’expression, les procédures équitables et le respect de la vie privée" mais le paragraphe n'en est pas moins douteux.
4. Les médicaments génériques sont potentiellement concernés
Le cas des médicaments génériques n'est pas précisé dans le traité. Les multinationales pharmaceutiques peuvent donc sans problème se servir du flou qui entoure les médicaments génériques pour demander leur saisie.
C'est d'autant plus simple pour elles que
-la saisie des marchandises se font à la demande du "détenteur de droit" qui peuvent donc décider d'entraver la circulation des génériques (article 17)
-certains médicaments génériques (notamment en provenance d'Inde) ne sont pas reconnus dans des Etats parties à l'ACTA… Les détenteurs de brevet peuvent donc les dénoncer et être entendus auquel cas les médicaments non seulement ne seront pas remis après saisie mais pourront être détruits! (article 20)
5. L’interdiction potentielle de la copie privée
Le texte prévoit des sanctions contre"la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont mises en œuvre par les auteurs, les artistes interprètes ou exécutants ou les producteurs de phonogrammes"
Il demande aux Etats une protection contre " l’offre au public par voie de commercialisation d’un dispositif ou d’un produit, y compris des logiciels, ou encore d’un service comme moyen de contourner une mesure technique efficace" et " la fabrication, l’importation ou la distribution d’un dispositif ou d’un produit, y compris des logiciels, ou la prestation d’un service qui :i) est conçu ou produit principalement en vue de contourner une
mesure technique efficace; ou ii) n’a aucune application importante du point de vue commercial si ce n’est la neutralisation d’une mesure technique efficace."
L'article est long et difficile à démêler. Mais
-la possibilité de copier un phonogramme même à usage strictement personnel est potentiellement mise en danger ici.
-les fabricants (des Etats parties aux traités et des autres Etats) de logiciels et autres permettant de passer outre les mesures techniques de protection des phonogrammes sont directement visés
La bataille au Parlement européen
Cela n’a pas été une mince affaire que d’obtenir que le Parlement européen vote avant l’été son approbation ou son rejet de ce traité.
Face à la mobilisation populaire et aux prises de position des groupes GUE/NGL, Verts/ALE, SD et ALDE, la Commission a compris qu’un rejet d’ACTA par le Parlement européen était probable. C’est pourquoi elle a décidé, à l’instigation du commissaire Karel De Gucht, de consulter la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) pour vérifier si le traité était conforme ou non aux règles européennes.
En soi, le procédé n’a rien d’illégal. Il est normal et courant de demander une vérification de conformité à la CJUE. Mon groupe, la GUE/NGL, a déjà fait appel à cette procédure concernant, par exemple, les accords PNR. La Commission et la majorité du Parlement européen lui ont d’ailleurs refusé cette possibilité. Parce que la mobilisation citoyenne n’était pas assez forte et que leur vote pouvait passer inaperçu ? Sans doute… Notez par ailleurs que les jugements de la CJUE zsont rarement favorables à l’intérêt des citoyens européens, celle-ci se spécialisant dans une interprétation très néolibérale du droit européen.
L’idée de la Commission ici était tout autre. Il s’agissait de retarder le vote de ratification du Parlement européen pour que la mobilisation s’essouffle. Elle n’avait d’ailleurs la Commission pas consulté la Cour de Justice avant de signer elle-même l’accord. Elle connaissait pourtant les objections des citoyens européens. Pour parvenir à ses fins, la Commission a donc fait pression pour que le Parlement européen s’associe à cette consultation de la CJUE, seul moyen de retarder le vote de ratification.
Mais à l’instigation de mon groupe, la GUE/NGL, la commission parlementaire du commerce international a refusé de se joindre à cette requête. Le 27 Mars dernier, elle a ainsi majoritairement décidé de maintenir le calendrier prévu. La Commission a alors tenté une dernière pression en émettant le 3 Avril un communiqué appelant le Parlement européen à attendre la décision de la Cour avant de se prononcer sur l’accord. La commission parlementaire du commerce international a refusé.
Le 21 Juin la commission parlementaire du commerce international votait pour une résolution de rejet d’ACTA par 19 voix pour et 12 voix contre.
La droite chrétienne (PPE) a bien tenté une fois encore de faire reporter le vote mais la majorité des députés européens n’a pas cédé.
Ce mercredi 4 Juillet, le Parlement européen a donc rejeté par 478 voix contre et 39 voix pour seulement le traité ACTA.
Je me félicite de ce vote.
Il est l’aboutissement d’un long combat pour mon groupe de la GUE/NGL dont la cheville ouvrière aura été notre camarade Paul-Emile Dupret, membre du staff du groupe.
Ce vote n’aurait pas été possible sans la très grande mobilisation citoyenne à laquelle le Front de Gauche et tous les partis membres de la GUE/NGL se sont joints.
Aujourd’hui nous pouvons tous être satisfaits.
Je vous invite néanmoins toutes et tous à la vigilance : la Commission est la spécialiste pour faire repasser par des voies déguisées les textes qui ont dans un premiers temps été rejetés. Surveillons-la donc et surveillons les parlements nationaux qui peuvent encore ratifier cet accord.