Ce mardi le Parlement européen a ratifié à une large majorité deux accords de libre-échange conclus en Mai 2010 entre l'Union européenne et l'Amérique centrale (dont le Honduras toujours sous le joug des putschistes) et entre l'Union et la Colombie et le Pérou (cassant au passage la Communauté Andine des Nations – CAN). Les deux accords, contre lesquels nous sommes en campagne notamment avec le réseau Enlanzando Alternativas depuis plusieurs années déjà, ont été signé en Juin dernier. Apprenez que l'UE n'a pas eu de scrupule à signer l'accord UE-Amérique centrale le 28 Juin 2012, date du 3ème anniversaire du coup d'Etat contre le président Manuel Zelaya et ce dans la ville même où ce coup d'Etat a lieu: Tegucigalpa! L'accord avec le Pérou et la Colombie a quant à lui été signé quelques jours à peine après que la Confédération Internationale des Syndicats a dénoncé la Colombie de Monsieur Santos comme le premier pays au monde pour la persécution et le meurtre de syndicaliste!
Le simple fait que de tels accords soient négociés avec pareils gouvernements est une honte. Le contenu de ces accords qui organisent le pillage des ressources de part et d'autre de l'Atlantique et consacre la ruine des peuples des Etats latino-américains concernés l'est tout autant.
Vous trouverez ci-dessous un retour sur le contexte et le contenu de ces accords ainsi que mes interventions en séance à leur propos.
Ces accords sont issus de la stratégie impérialiste euro-latino américaine
- Bref aperçu historique d'une stratégie aujourd'hui remise en cause par les gouvernements progressistes d'Amérique latine et la création de la CELAC.
En 1994, le Conseil européen adopte un premier document prônant le renforcement des relations bi-régionales et invite la Commission européenne à négocier des accords de libre-échange avec le MERCOSUR et avec le Chili
En 1995, dans une communication au Conseil et au Parlement européens, la Commission européenne insiste sur les facteurs favorisant le rapprochement des deux régions (processus d’intégration régionaux ; politiques économiques rigoureuses ; mondialisation ; situation politique plus favorable)
Les 28 et 29 Juin 1999, à Rio de Janeiro, le premier sommet bi-régional des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne, de l’Amérique latine et des Caraïbes (UE-ALC) institutionnalise la stratégie euro-latino américaine : les 47 Etats représentés s’y mettent d’accord pour adopter une stratégie bi-régionale commune concernant « le dialogue politique, le libre-échange et la coopération ».
En 2006, le Parlement européen adopte une résolution proposée par José Ignacio Salafranca visant à la mise en place à l'horizon 2010 zone euro-latino-américaine de partenariat global interrégional, immense zone de libre échange.
"21. a). mise en place d'un accord de partenariat global interrégional à l'horizon 2010, qui apporte une base juridique et une couverture géographique complète aux différents volets du partenariat birégional et qui aie pour objectif ultime la libéralisation bilatérale et préférentielle, progressive et réciproque, des échanges de touts types de biens et services, avec des limitations pour les services commerciaux d'intérêt général, entre les deux régions dans leur ensemble, conformément aux règles de l'OMC;"
En Septembre 2009, La Commission européenne publiait une communication intitulée "L'UE et l'Amérique latine: un partenariat entre acteurs mondiaux" dans laquelle elle encourageait les négociations d'"accords d'association" (accords de libre-échange) avec les sous régions latino américaines mais aussi de "consolider les relations bilatérales" en tirant "pleinement parti des accords d'association déjà conclus (Chili et Mexique), de même que des accords de coopération bilatéraux". Dans sa communication la Commission prônait également le rejet du protectionnisme, la réforme des institutions financières selon l'avis du G20 (c'est-à-dire notamment renforcement du rôle du FMI), la gestion des flux migratoires " les parties assumant leurs propres responsabilité en matière de gestion des flux migratoires".
En Décembre 2009, le Conseil rendait ses conclusions sur les relations entre l'UE et l'Amérique latine insistant pour qu'on "fasse aboutir les négociations en vue d'un accord d'association qui soit équilibré et ambitieux avec l'Amérique centrale", et pour que les "négociations relatives à un accord commercial multipartite" avec "les pays de la CAN" (et non plus avec la CAN car l'Equateur et la Bolivie avaient refusé les projets d'accords de liubre échange) et avec le Mercosur soient "menées à bien".
En Février 2010, l'UE ne parlait plus d'accord d'association avec le Mercosur mais avec "les pays du Mercosur" (le Venezuela devait devenir membre à part entière du Mercosur incessamment sous peu, seule manquait alors la ratification de son adhésion par le Paraguay)
En Mai 2010, au VIème Sommet UE-ALC, les chefs d'Etats et de gouvernement annonçaient la fin des négociations des accords de libre échange entre l’UE et l’Amérique centrale et entre l'UE et la Colombie et le Pérou ainsi que le relancement des négociation d'un accord de libre échange avec le Mercosur.
A la même époque, au Parlement européen, un nouveau rapport Salafranca annonçait que "l'objectif ultime du Partenariat stratégique birégional UE-Amérique latine est la création d'une zone euro-latino-américaine de partenariat global interrégional à l'horizon de 2015"
Mais en Décembre 2011, Les gouvernements latino-américains mettaient un terme à la formation par l'extérieur des intégrations régionales du sous continent en lançant la CELAC. La CELAC devient ainsi l'interlocuteur de l'UE dans les Sommet UE-ALC qui deviennent donc des Sommet UE-CELAC.
Le premier Sommet UE-CELAC aura lieu les 26 et 27 Janvier 2013 à Santiago du Chili.
L'accord de libre échange UE-Amérique centrale: un scandale!
- Des négociations à la faveur d'un putsch
Lors du sommet UE- ALC des 12 et 13 mai 2006 à Viennes, les chefs d’État et de gouvernement de l'UE et de plusieurs pays d'Amérique centrale (et non pas avec tous les pays d'Amérique centrale même ceux unis dans le SICA) ont décidé de lancer des négociations en vue de la conclusion d’un accord d’association entre les deux régions, avec l’établissement d’un accord de libre-échange.
L'objectif fixé est clair: "supprimer les droits de douane élevés, lever les obstacles techniques au commerce, libéraliser les marchés des services, protéger des indications géographiques (IG) de valeur pour l’UE, ouvrir les marchés publics, prévoir des engagements sur la mise en œuvre de normes en matière de travail et d’environnement et proposer des procédures efficaces et rapides pour régler les litiges"
Il sera reprécisé dans le traité: " les parties au présent accord établissent une zone de libre-échange"
En Octobre 2007, les négociations étaient officiellement ouvertes.
Après le coup d'Etat au Honduras en 2009, l'UE ne renonçait pas à négocier avec le gouvernement putchiste du Honduras.
En Janvier 2010, le Panama demandait à intégrer les négociations. L'UE approuvait. Pourtant celui-ci venait d'annoncer son retrait du Parlement Centraméricain
(PARLACEN).
Lors du sommet UE- ALC du 18 mai 2010 à Madrid, les chefs d'Etats et de gouvernement ont annoncé la fin des négociations pour un Accord d’Association entre l’UE et l’Amérique centrale.
Le 28 Juin 2012, l'UE signait l'accord de libre échange avec six Etats d’Amérique centrale (Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua et Panama). La cérémonie de signature s'est déroulée à Tegucigalpa au Honduras le jour anniversaire du coup d'Etat! Le symbole fait froid dans le dos...
Le contenu de l'Accord
L'accord est censément basé sur 3 piliers:
-le dialogue politique ("fondé sur des valeurs, des principes et des objectifs communs, en particulier le respect et la promotion de la démocratie et des droits de l'homme, du développement durable, de la bonne gouvernance et de l'État de droit, avec l'engagement de promouvoir et de protéger ces valeurs et ces principes sur la scène internationale, de manière à contribuer au renforcement du multilatéralisme")
-la coopération dans tous les domaines d'intérêt commun
-et le commerce ("développer et diversifier les relations commerciales birégionales entre les parties dans le respect de l'accord sur l'OMC, ainsi que des objectifs et dispositions spécifiques prévus par la partie IV du présent accord")
- Le dialogue politique: de la poudre aux yeux
-Droits de l'Homme et Démocratie: le cynisme absolu
En préambule de l'Accord, les gouvernements signataires " RÉAFFIRMENT leur respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de la personne humaine inscrits dans la déclaration universelle des droits de l'homme; RAPPELLENT leur attachement aux principes de l'État de droit et de la bonne gouvernance"
Son premier article déclare: " Le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de la personne humaine définis dans la déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que de l'État de droit, sous-tend les politiques intérieures et internationales des deux parties et constitue un aspect essentiel du présent accord"
Quel crédit apporté à de telles déclarations quand elles sont signées notamment par le gouvernement putchiste de Porfirio Lobo?
A noter:
Le Système communautaire de Préférences Généralisées (SPG+) conditionne l’application de préférences commerciales à la ratification et à la mise en œuvre effective de 27 des principaux instruments en matière de droits humains, de droit du travail, de normes environnementales et de principes de gouvernance. Cet Accord d’Association inclue moins de normes que le SPG+ et aucun mécanisme contraignant qui puisse garantir l’application efficace de ces normes.
De plus la clause de droits de l'Homme (article 1) n'est pas soumise au mécanisme de règlement des différends… rien n'est donc prévu pour la faire appliquer!
-Quelle lutte contre le terrorisme?
Le texte appelle les Etats parties à "l'échange d'informations sur les groupes terroristes et leurs réseaux de soutien" et à " l'échange d'expériences dans le domaine de la prévention du terrorisme, ainsi que de la protection et de la lutte contre le terrorisme". Sachant la répression sous ce prétexte existant notamment au Panama et au Guatemala, sans parler évidemment du Honduras on est en droit de s'inquiéter!
Outre un chapitre concernant la coopération au développement et un autre relatif au dialogue politique, l’Accord d’association contient également un accord de libre échange. L’objectif de l’UE est de s’assurer une bonne position concurrentielle vis-à-vis des autres acteurs, comme par exemple les États-Unis, ayant déjà conclu des accords commerciaux avec ces pays.
-Quelle lutte contre les paradis fiscaux?
L'article 22 précise " En vue de renforcer et de développer les activités économiques tout en tenant compte de la nécessité d'élaborer un cadre réglementaire approprié, les parties reconnaissent et s'engagent à appliquer les principes communs et reconnus à l'échelle internationale de bonne gouvernance dans le domaine fiscal."
Quand on connaît le nombre de zones franches existant au Costa Rica? et que dire du Panama et sa zone franche de Colon?
-et les syndicats?
Mis à part une référence au "dialogue sociale", rien sur les syndicats. Malheureusement pas étonnant vu la répression dont ils sont victimes notamment au Honduras, au Guatemala et au Panama…
-et la société civile?
Le texte annonce qu'elle participera à la mise en œuvre de l'accord sans définir toutefois les modalités de cette participation. Evidemment…Car là encore: tout au long des négociations, les propositions et recommandations des différentes organisations et mouvements sociaux ont été niées. Ce qui laisse présager aisément de la suite!
- Coopération: pour soutenir cet accord, pas pour l'intérêt général, bien entendu!
-La chose est entendue dès le premier article: " La coopération vise essentiellement à soutenir la mise en œuvre du présent accord"
-Et en plus la possibilité est évolutive!
" Le fait qu'un domaine ou qu'une activité de coopération n'ait pas été inclus dans le présent accord ne peut être interprété comme un obstacle empêchant les parties de décider, conformément à leurs législations respectives, de coopérer dans ce domaine ou à cette activité"
-A qui cela va-t-il bénéficier?
"Les parties encouragent et facilitent le financement privé et les investissements directs étrangers, notamment par les financements que la Banque européenne d'investissement accorde en Amérique centrale selon ses propres procédures et critères financiers"
Rappel:
La BEI mène une politique aux antipodes de la nécessaire transition écologique : entre 1996 et 2005, elle aurait ainsi investi 26,5 milliards dans la construction d'autoroutes et 16 milliards d'euros pour l'industrie aéronautique (extensions d'aéroports, construction du grand aéroport de Berlin par exemple, et construction ou achat d'avions). Il est par ailleurs très rares que les banques avec lesquelles la BEI collabore investissent les prêts de la BEI dans des projets de développement des énergies renouvelables.
La BEI brille aussi… par son opacité. Un quart de ses investissements sont des " prêts globaux " accordés à des intermédiaires financiers. Ceux-ci prêtent à leur tour à des organismes privés ou publics.
Mais ce n'est pas tout: entre 2004 et 2009, la BEI a prêté 5,66 milliards d'euros aux banques européennes les plus présentes dans des paradis fiscaux : Barclays Bank, la Royal Bank of Scotland, BNP Paribas, la Société Générale et ING.
-et les migrants?
Là encore, si le texte assure un retour dans de bonnes conditions et prétend assurer le non refoulement, il précise surtout: " Dans le cadre de la coopération visant à prévenir et à maîtriser l'immigration allant à l'encontre du cadre juridique du pays de destination, les parties conviennent également de réadmettre sur leur territoire ceux de leurs ressortissants dont le séjour sur le territoire de l'autre partie est contraire au cadre juridique concerné". Bref: il avalise la directive de la honte!
- Politique commerciale: le cœur de l'affaire
-Des objectifs clairs
a) expansion et diversification du commerce des marchandises entre les parties, par la réduction ou la suppression des obstacles tarifaires et non tarifaires aux échanges;
b) facilitation du commerce des marchandises, en appliquant notamment les dispositions convenues en ce qui concerne les douanes et la facilitation des échanges, les normes, les règlements techniques et les procédures d'évaluation de la conformité, ainsi que les mesures sanitaires et phytosanitaires;
c) libéralisation du commerce des services, conformément à l'article V de l'AGCS;
d) promotion de l'intégration économique régionale dans le domaine des procédures douanières, des règlements techniques et des mesures sanitaires et phytosanitaires, afin de faciliter la circulation des marchandises entre les parties et au sein de celles-ci;
e) création d'un environnement propice à l'accroissement des flux d'investissement, amélioration des conditions d'établissement applicables entre les parties, sur la base du principe de non-discrimination, et facilitation des échanges et des investissements entre les parties par la libéralisation des paiements courants et des mouvements de capitaux liés aux investissements directs;
f) ouverture effective, réciproque et progressive des marchés publics des parties;
g) protection adéquate et efficace des droits de propriété intellectuelle, conformément aux obligations internationales en vigueur entre les parties, de manière à assurer l'équilibre entre les droits des titulaires de droits de propriété intellectuelle et l'intérêt public en prenant en considération les divergences existant entre les parties, et promotion des transferts de technologies entre les régions;
h) promotion d'une concurrence libre et non faussée dans les relations économiques et commerciales entre les parties;
i) mise en place d'un mécanisme efficace, équitable et prévisible de règlement des litiges;
j) promotion des échanges et des investissements internationaux entre les parties d'une manière qui contribue à l'objectif de développement durable par un travail en collaboration.
-Le calendrier de l'élimination des barrières douanières.
Ouverture à 91 % du marché européen, pour l'Amérique centrale et ouverture à 48 % du marché centraméricain pour l'UE (puis progressivement libéralisation totale en 3 à 15 ans seuls 4% des produits et services étant préservés).
A noter: l'effort de libéralisation se situe du côté centraméricain et pas européen, car le marché européen est déjà ouvert dans les mêmes proportions aux produits centraméricains via le Système Général de Préférences (SGP)… Les conditions démocratiques et de respect des droits de l'Homme en plus.
-Impossible de revenir en arrière
La clause de statu quo de l'accord interdit l’instauration de nouvelles taxes douanières et la hausse de celles déjà existantes. Une fois éliminées, les taxes ne pourront plus être rétablies.
-aucune garantie contre les subventions européennes aux produits agricoles
Le texte se contente de préciser que " Les parties partagent l'objectif de travailler conjointement dans le cadre de l'OMC pour assurer l'élimination parallèle de toutes les formes de subventions à l'exportation et la mise en place de disciplines à l'égard de l'ensemble des mesures à l'exportation d'effet équivalent"
A qui profite le crime?
-Côté "centraméricain", il assure à Chiquita etc la pérennité de leurs exportations de bananes
-Côté "européen", il bénéficie principalement aux exportateurs dans l'industrie automobile et le secteur de pièces de voiture (jusqu'à 31 millions € de frais de douanes en moins par an), de l'industrie pharmaceutique (près de 8 millions € en moins par an), de la fabrication de produits chimiques (environ 10 millions € par an) et de l'industrie textile et habillement (environ 4 millions € par an).
Le rapport Salafranca: un rapport emblématique de l'impérialisme européen
Le rapport Salafranca est une ode au trai té de libre échange
Pas un mot sur les putschistes du Honduras et leur régime ulltra répressif, pas un mot sur les répressions syndicales au Guatemala et à Panama.
Pire: a le culot de dire que ce traité respecte l'article 21 du Traité de Lisbonne (promotion de la démocratie et des droits de l'Homme dans l'action extérieure de l'UE)
Seul mot sur les droits de l'Homme: "souligne que l'article 1 de l'AA consacre le respect des principes démocratiques, des droits fondamentaux de la personne humaine ainsi que du principe de l'état de droit comme un "élément essentiel" de ce dernier, de sorte qu'une non-observation de ces règles par l'une ou l'autre des parties donnerait lieu à l'adoption de mesures pouvant aller jusqu'à la suspension de l'accord; estime néanmoins que des mécanismes concrets doivent être élaborés afin de garantir le respect de la clause relative aux droits de l'homme contenue dans l'AA"
Pas un mot, bien sûr, sur la CELAC.
Je suis intervenu en séance contre ce texte lors du vote:
"Ce rapport fait l'apologie d'un accord de libre-échange négocié notamment avec un régime putschiste et signé dans la capitale même et le jour anniversaire même du coup d'Etat contre Manuel Zelaya, à Tegucigalpa le 28 Juin. C'est en soi tout un symbole de ce que l'Union européenne est prête à faire pour défendre les intérêts commerciaux de certaines multinationales. La ratification de cet accord ruineux pour les peuples et pour la démocratie par le Parlement européen est fidèle à la tradition de celui-ci. Rappelons que la majorité de cet hémicycle n'a jamais jugé bon de dénoncer ni le coup d'Etat au Honduras ni le coup d'Etat au Paraguay et qui à la veille du soulèvement populaire en Libye se félicitait des négociations de libre échange entre l'UE et la Kadhafi. Je vote contre ce texte qui est une honte."
L'accord de libre échange UE-Pérou et Colombie: une honte!
Des négociations en forme de chantage
Un accord de coopération et de dialogue politique excluant tout accord de libre-échange avait été signé en 2003 entre l'UE et la Communauté Andine des Nations (CAN: Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou). Il n’est jamais entré en vigueur.
Lors du sommet UE- ALC des 12 et 13 mai 2006 à Viennes, les chefs d’État et de gouvernement de l'UE et de la CAN ont décidé de relancer des négociations en vue de la conclusion d'un accord comportant un dialogue politique, des programmes de coopération et un accord commercial.
En Avril 2007, les négociations entre l'UE et la CAN débutaient officiellement.
Le but de l'UE était déjà clair: " supprimer les droits de douane élevés, à lever les obstacles techniques aux échanges, à libéraliser les marchés des services, à protéger des indications géographiques (IG) de valeur pour l’UE, à ouvrir les marchés publics, à prévoir des engagements sur la mise en œuvre de normes en matière de travail et d’environnement et à proposer des procédures efficaces et rapides pour régler les litiges. L’objectif consistant à aller au-delà des engagements de l’OMC et à obtenir des conditions similaires à celles dont bénéficient les autres concurrents dans la région, notamment les États-Unis"
En Juin 2008, la Bolivie et l'Equateur suspendait les négociations refusant toute mise en place d'une zone de libre échange d'ailleurs contraire à leurs Constitutions respectives.
En Janvier 2009, le Conseil européen approuvait la proposition de la Commission européenne de "poursuivre des négociations d’accord commercial avec les pays de la Communauté andine disposés à aller de l’avant", autrement dit de rompre sciemment une intégration régionale pour mieux faire valoir la vision néolibérale de la politique, la coopération et le commerce internationaux qui prévaut à la tête de l'Ue actuellement.
Lors du sommet UE- ALC du 18 mai 2010 à Madrid, les chefs d'Etats et de gouvernement ont annoncé la fin des négociations pour un Accord d’Association entre l’UE et la Colombie et le Pérou.
Le 26 Juin 2012, l'UE signait l'accord de libre échange avec Les gouvernements de la Colombie et du Pérou.
Le contenu de l'accord
Sachez que pour obtenir une version de l'accord, il faut se lever de bonne heure! Sur le site de la Commission européenne, le texte est seulement disponible en anglais et en espagnol! La version espagnole n'est elle même pas une version permettant la moindre recherche ou le moindre copier-coller de son contenu: c'est un scan de la version papier! Notez au passage que la Commission européenne ne se donne plus la peine de traduire une large partie de ses publications!
- Cynisme vis-à-vis de la CAN
L'accord se permet en préambule de se revendiquer de la CAN qu'il casse: "DÉTERMINÉS à renforcer ces liens en se fondant sur les mécanismes existants qui régissent les relations entre l'Union européenne et ses États membres et les pays andins signataires, en particulier l'Accord de dialogue politique et de coopération entre la Communauté européenne et ses États membres, d'une part, et la Communauté andine et ses pays membres, d'autre part" ; " Les parties reconnaissent et réaffirment l'importance des processus respectifs d'intégration régionale entre les États membres de l'Union européenne et entre les pays membres de la Communauté andine en tant que mécanismes permettant d'exploiter de plus grandes opportunités commerciales et de favoriser la bonne intégration de ces pays dans l'économie mondiale"; "Les parties reconnaissent que les progrès relatifs à l'intégration régionale andine seront déterminés par les pays membres de la Communauté andine"
Pire: l'accord contient une clause visant à l'adhésion des autres pays de la CAN (vu comme le seul horizon possible) pour mettre en place une zone de libre échange euro-andine:
" Vu l'aspiration des parties à parvenir à une association entre les deux régions, lorsque tous les pays membres de la Communauté andine seront parties au présent accord, le comité "Commerce" réexaminera les dispositions pertinentes, notamment le présent article et l'article 105, en vue de leur adaptation à la nouvelle situation et du soutien aux processus d'intégration régionale"
Ce n'est rien d'autre que du chantage, cet accord permettant de nuire aux exportations des Etats non parties à l'accord (la Bolivie et l'Equateur) par ailleurs déjà affectés par l'utilisation de la même technique de casse et de concurrence par les Etats-Unis.
- Cynisme vis-à-vis des droits de l'Homme
L'article 1 déclare: " le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l'homme, tels qu'inscrits dans la déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que des principes de l'État de droit, sous-tend les politiques intérieures et internationales des parties. Le respect de ces principes constitue un élément essentiel du présent accord"
Quelle valeur peut-on accorder à une telle déclaration, dépourvue par ailleurs de tout mécanisme contraignant y compris celui de règlement des litiges quand on sait que la Colombie de Monsieur Santos reste l'un des pays où le plus de militants syndicalistes et des droits de l'Homme sont tués quotidiennement? Rappelons que la CIS (Confédération Internationale des Syndicats) a déclaré la Colombie le pays le plus dangereux au monde pour les syndicalistes en Juin dernier!
- Le but est clair
Article 3 :"les parties établissent une zone de libre-échange"
Article 4: détail des objectifs poursuivis:
a)libéraliser progressivement et graduellement le commerce des biens
b) encourager le commerce de marchandises
c) libéraliser progressivement le commerce de services
d) créer un environnement propice à l'augmentation des flux d'investissement et, en particulier, à l'amélioration des conditions d'établissement applicables entre les parties, sur la base du principe de non-discrimination
e) faciliter les échanges et les investissements entre les parties en libéralisant les paiements courants et les mouvements de capitaux liés aux investissements directs
f) ouvrir efficacement et réciproquement les marchés publics des parties
g) protéger adéquatement et efficacement les droits de propriété intellectuelle
h) réaliser des activités économiques, en particulier celles concernant les relations entre les parties, en conformité avec le principe de libre concurrence
i) mettre en place un mécanisme rapide, efficace et prévisible pour le règlement des litiges
j) favoriser les échanges internationaux d'une manière qui contribue à l'objectif de développement durable et travailler à l'intégration et à la prise en compte de cet objectif dans les relations commerciales des parties
k) veiller à ce que la coopération en matière d'assistance technique et le renforcement des capacités commerciales des parties contribuent à la mise en œuvre du présent accord et à l'utilisation optimale des possibilités offertes par celui-ci en conformité avec le cadre juridique et institutionnel existant.
Cherchez la complémentarité des échanges ou le bien-être des populations ou encore le respect contraignant des droits des travailleurs et des normes environnementales…
- Un démantèlement douanier rapide et irréversible
-99 % des exportations de l’UE sont couvertes par l'accord (100 % des produits industriels en 10 ans et 85 % des produits agricoles au bout de 17 ans)
-"Nouveaux accès substantiels" aux marchés de l’UE pour les principales exportations agricoles colombiennes et péruviennes: bananes, sucre et rhum et 100 % de franchise de droit pour leurs produits industriels et produits de la pêche dès l’entrée en vigueur de l’accord.
- L'interdiction de tout protectionnisme même constitutionnel
Article 23: " Aucune partie n'adopte ni ne maintient des interdictions ou des restrictions à l'importation de biens en provenance d'une autre partie ou encore des interdictions ou des restrictions à l'exportation, ou à la vente à l'exportation, de biens à destination d'une autre partie"
Article 27: " Chaque partie s'assure, en particulier, que les entreprises commerciales d'État se conforment, dans leurs achats ou leurs ventes, ou dans l'exercice de tout pouvoir, y compris législatif ou constitutionnel, qu'une partie leur a délégué au niveau central ou au niveau des collectivités locales et régionales, aux engagements pris par chaque partie dans le cadre du présent accord"
- Une clause favorisant le dumping entre l'UE et la Colombie
Article 40:" Sans préjudice de leurs droits dans le cadre de l'accord antidumping et de l'accord sur les subventions en ce qui concerne l'application de droits antidumping et de droits compensatoires, la partie UE et la Colombie jugent souhaitable que le droit appliqué soit inférieur à la marge correspondante de dumping ou de subvention, le cas échéant, si le droit moindre suffit à éliminer le préjudice causé à l'industrie nationale.
Le Contexte actuel en Colombie
Une étude a dénoncé récemment le fait qu'il n'y avait dans l'accord aucune disposition permettant de contrôler les flux financiers la Colombie et le Pérou (les deux plus grands exportateurs de cocaïne pour rappel) alors que de telles dispositions existent dans d'autres accords de libre-échange.
Le président colombien Santos vient de lancer une réforme constitutionnelle permettant de faire juger les crimes de guerre, détentions arbitraires etc par les tribunaux militaires! Le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU a appelé le président à revenir sur cette réforme qui intervient en pleine négociations de pais avec les FARC. La réforme n'en n'est pas moins en cours de validation au Sénat…
Dernières nouvelles de Colombie: La CIDH a dénoncé la semaine dernière l'assassinat du journaliste Guillermo Quiroz dans la ville colombienne de Sincelejo. Il y a deux semaines, un militant écologiste, M. Miguel Pabon Pabon, a été victime d'une disparition forcée.
Le rapport David donne approbation à l'accord.
Je suis intervenu en séance contre ce texte lors du vote:
" Ce rapport valide l'accord de libre-échange négocié avec la Colombie et le Pérou au détriment des autres Etats membres de la CAN, la Bolivie et l'Equateur, et au mépris de tout respect de cette organisation régionale. En plus d'être nuisible pour les peuples colombien, péruvien et européen et pour l'environnement, il constitue une agression contre les peuples boliviens et équatoriens et leurs gouvernements. Je dénonce le fait qu'un tel texte puisse être approuvé alors même que le président Santos met en place une loi garantissant l'impunité à ses militaires que la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU dénonce. en matière de droits de l'Homme, la seule boussole de l'UE reste la garantie de la concurrence libre et non faussée dans l'échange de tous les biens et services. Je vote contre ce texte emblématique de l'agressivité amorale de l'UE."
Vous avez dit bananes?
La banane est le fruit le plus vendu dans le monde. L'Amérique centrale et les pays andins en sont les principaux exportateurs (environ 60%) L'UE est le principal consommateur de bananes: 40% des exportations mondiales sont destinées au marché européen.
La répartition des exportations de banane
Moyenne sur la période 2002 – 2006
Les importations de bananes
Moyenne sur la période 2002-2006
Les productions de bananes pour l'exportation, majoritairement situées en Amérique latine, sont très majoritairement contrôlées par 3 multinationales: Chiquita Brands International (ancienne United Fruit. USA), Dole (ancienne Hawaiian Pineapple Company. USA), Del Monte (ancienne California Corporation. USA). Elles se partagent près de 80% de la production mondiale à elles seules e depuis plus d'un siècle.
Elles détiennent 100% du marché nord-américain (5 millions de tonnes) de la banane, 100% du marché russe (1 million de tonnes) et 80% du marché européen (6 millions de tonnes).
Elles sont régulièrement dénoncées pour les mauvaises conditions de travail et salariales imposées à leurs employés et pour le financement de groupes paramilitaires au service de leurs intérêts. C'est notamment de cas de Chiquita et Dole.
- Ouvrir le marché européen au profit de Chiquita et Dole, première étape: L'accord de Genève (Décembre 2009)
Cet accord permet la baisse progressive des droits de douanes imposés par l'UE aux importations de bananes
Cet accord a été conclu et paraphé par l'UE et le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, l'Équateur, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, le Pérou et le Venezuela en Décembre 2009.
Il permet la baisse progressive des droits de douanes imposés par l'UE aux importations de bananes des pays concernés de 176 euros par tonne aujourd'hui à 114 euros par tonne en 2017.
Les phases prévues sont les suivantes (appliqués rétroactivement pour les baisses prévues à des dates précédant la signature):
- 15 décembre 2009 au 31 décembre 2010 148 euros/tonne métrique
- 1er janvier 2011 143 euros/tonne métrique
- 1er janvier 2012 136 euros/tonne métrique
- 1er janvier 2013 132 euros/tonne métrique
- 1er janvier 2014 127 euros/tonne métrique
- 1er janvier 2015 122 euros/tonne métrique
- 1er janvier 2016 117 euros/tonne métrique
- 1er janvier 2017 114 euros/tonne métrique
En échange de cet abaissement des droits de douanes, les Etats concernés s'engagent à ne pas exiger d'autres abaissements tarifaires.
Pendant ce temps les multinationales comme Chiquita se frottent les mains:
Un représentant de Chiquita pouvait ainsi déclarer dans les colonnes du Wall Street Journal lors de la conclusion des négociations de l'accord de Genève qu'à chaque baisse de 10 euros des droits de douanes européens la multinationale pourrait empocher pas moins de 112 millions de dollars.
Et le pillage orchestré via les accords de libre échange négociés par la Commission européenne continue
- Ouvrir le marché européen au profit de Chiquita et Dole, deuxième étape: les accords de libre échange ratifiés aujourd'hui par le Parlement européen…