Qui sera le ministre du Commerce extérieur ? Cette bataille de domaine d’autorité entre Arnaud Montebourg et Laurent Fabius a duré toute la journée de jeudi. Manuel Valls a finalement choisi. C’est Laurent Fabius, le ministre des Affaires Etrangères, qui s’occupera aussi du Commerce extérieur, et non le ministre de l’Economie. Le message serait-il : les diplomates français deviennent officiellement des représentants de commerce au profit des multinationales françaises ? C’est plus grave. Le commerce est un élément de la stratégie géopolitique du pays. C’est une confirmation. Mais dans le contexte, cela doit aggraver nos craintes au sujet du projet de Grand Marché Transatlantique entre l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique. Depuis plus de cinq ans, je dénonce ce projet d’accord de libre-échange transatlantique comme la volonté de construire une « OTAN de l’économie ». C’est-à-dire d’inféoder toujours plus l’Union européenne et la France aux intérêts économiques des Etats-Unis d’Amérique comme nos intérêts militaires leur sont inféodés par le biais de l’OTAN. Le rattachement du Commerce extérieur aux Affaires étrangères n’est pas neutre dans ce contexte. Il montre l’objectif politique d’un tel accord de libre-échange au-delà de son contenu strictement économique.
Cet aveu rend encore plus insupportable l’opacité qui entoure ce projet de Grand Marché Transatlantique. On se souvient que le 11 février dernier, aux Etats-Unis, François Hollande avait exprimé sa volonté d’« aller vite » sur ce projet pour éviter « une accumulation de peurs, de menaces, de crispations ». Michel Sapin a confirmé que le gouvernement a peur du peuple. Jeudi 3 avril, le nouveau ministre des Finances était interrogé par un auditeur dans la matinale de France Inter au sujet du Grand Marché Transatlantique. Plus précisément, l’auditeur demandait si un projet d’une telle ampleur ne méritait pas un référendum. C’est une exigence que le Parti de Gauche a exprimé dès le mois de mai 2013, avant même l’ouverture des négociations entre la Commission européenne et les Etats-Unis d’Amérique. La réponse de Michel Sapin a été stupéfiante de mépris pour le peuple. Après avoir rappelé que « c'est un des fondements de l'Europe que d'être un grand marché », Michel Sapin a affirmé, sans argument que « le référendum n'est pas la bonne réponse démocratique a une question comme celle-ci ». Pourquoi ? Vous ne le saurez pas. Ou plutôt, on le comprend à la suite de la réponse de Michel Sapin. Pour Michel Sapin, « Cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas y avoir débat. Il doit y avoir débat sur tous les sujets difficiles, parce que les Français doivent pouvoir comprendre ce qui se passe. Trop souvent, et depuis trop longtemps, il ne comprennent plus les enjeux, ils ne comprennent donc plus les réponses qui sont apportées ». Michel Sapin ne veut pas de référendum sur le Grand Marché Transatlantique parce qu’il considère que le peuple est trop bête pour comprendre ?
Pendant ce temps, ce projet continue d’avancer dans les salons de l’oligarchie. Ainsi se tiendra, jeudi 10 avril prochain, à Paris, une rencontre entre dirigeants de l’Union européenne et représentants patronaux européens et états-uniens. Cette rencontre est organisée par les journaux Washington Post et The European Voice. Elle bénéficie du soutien total de la Chambre de commerce états-unienne en Europe (American Chamber of Commerce to the European Union). Il y aura du beau monde ! La journée sera introduite par le Commissaire européen chargé de la négociation avec les Etats-Unis, Karel de Gucht, en personne. Elle sera conclue par la ministre suédoise du Commerce. Entre les deux, les participants étudieront comment « harmoniser les réglementations » pour « stimuler la compétitivité et créer une situation de concurrence équitable pour les entreprises de part et d’autre de l’Atlantique, en réduisant les coûts de mise en conformité et les fardeaux administratifs », selon les mots du programme de la journée. C’est ce dont discuteront Wolfgang Bernhard, membre de la direction du constructeur automobile allemand Daimler et Nani Beccalli-Falco, PDG de la filiale européenne de l’entreprise états-unienne General Electric.
Tout est au menu de la journée : la santé, les biotechnologies ou encore le numérique. Sur ce sujet, c’est le PDG de Google pour l’Europe de l’Est et du Sud, l’Afrique et le Moyen-Orient qui s’exprimera. De passage à Paris, il ne parlera sans doute pas de la fraude fiscale dont Google s’est rendu coupable en France pour une somme évaluée autour d’un milliard d’euros. Peut-être évoquera-t-il le sujet au détour d’un couloir avec le Secrétaire-général du ministère des Affaires Etrangères français, dont la présence est aussi annoncée ? A moins qu’il n’évoque les montages financiers d’évasion fiscale avec un autre intervenant de la journée comme Simon Cooper ? C’est le Directeur exécutif de la banque HSBC Global Commercial Banking, filiale du groupe HSBC cité dans plusieurs affaires d’évasion fiscale en Suisse, notamment au profit de près de 3 000 Français.
Le clou du spectacle pourrait bien avoir lieu vers 16h15. C’est l’heure à laquelle est prévue la table ronde sur l’ « Energie et les matières premières dans le marché transatlantique ». L’ambition est affirmée dès le programme de la journée : « nous analyserons dans cette session les impacts du TTIP (le nom officiel du GMT) sur l’énergie et les matières premières. Plus précisément, nous verrons si un accord pourrait faciliter les exportations de gaz naturel liquéfié vers l’Union Européenne, et si l’UE bénéficierait ainsi de la révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis ». Pour discuter de cela, les deux orateurs sont de très haut niveau. On trouve ainsi Heinz Haller, vice-président exécutif de The Dow Chemical Company, multinationale états-unienne de la pétrochimie. Et Christophe de Margerie, PDG de Total !
Pour assister à ce rassemblement de grands patrons, il faut débourser 1 788 euros par personne. Ceux qui se sont inscrits avant le 14 mars ont eu droit à une ristourne de 200 euros. Même pas de quoi se payer une nuit dans l’hôtel où se tiendra la journée. Le prix d’une nuit dans une chambre de base à l’hôtel Shangri La est de 800 euros ! Et la plus grande suite se loue pour 25 000 euros la nuit. Soit 22 fois le Smic pour une nuit d’hôtel ! Un rassemblement est prévu devant ce repaire d’oligarques le jeudi 10 avril à 16h. Il est convoqué par le collectif national unitaire contre le Grand Marché Transatlantique. Il sera l’occasion de dénoncer les dangers d’un tel accord. Et le déni de démocratie que représentent l’opacité de la négociation et le refus d’un référendum exprimé par Michel Sapin. En tous cas une chose est claire : la bataille contre le GMT doit s’accélérer avec le gouvernement de Valls !