par Helmut Scholz, Miloslav Ransdorf, Jean-Luc Mélenchon, Jiří Maštálka, Kateřina Konečná, Younous Omarjee, Sofia Sakorafa, Dimitrios Papadimoulis au nom du groupe GUE/NGL
Le Parlement européen,
– vu le rapport du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme sur la situation en matière de droits de l'homme en Ukraine, daté du 15 juin 2014;
– vu l'article 123, paragraphe 2, de son règlement,
A. considérant que les conflits politiques et militaires font rage en Ukraine depuis février 2014, date à laquelle le président a été démis de ses fonctions après des mois de troubles politiques;
B. considérant que dans plusieurs villes de l'est de l'Ukraine, après la destitution du président Viktor Yanukovych le 21 février 2014, la population des régions du sud-est de l'Ukraine a manifesté contre le nouveau gouvernement; considérant qu'à la mi-mars, des groupes armés, se désignant initialement comme des "forces d'autodéfense", ont saisi et occupé des bâtiments administratifs dans plusieurs villes, notamment Donetsk et Luhansk; considérant que leurs revendications allaient de la fédéralisation de l'Ukraine à la séparation des régions qu'ils occupent du reste de l'Ukraine, en passant par le rattachement à la Russie;
C.considérant qu'à la mi-avril, le ministère de l'Intérieur et du Service de sécurité du nouveau gouvernement ukrainien a lancé des opérations militaires, que le gouvernement a qualifiées d' "opération antiterroriste", d'abord dans la région de Donetsk, puis dans celle de Luhansk; considérant que les opérations militaires du gouvernement ukrainien se sont intensifiées après les élections présidentielles anticipées, ce qui va à l'encontre des promesses faites pendant la campagne électorale par le nouveau président Porochenko, qui disait vouloir désamorcer le conflit;
D. considérant que le cessez-le-feu de dix jours a fréquemment été enfreint par les deux parties et n'a jamais atteint un point susceptible de mettre fin aux violences; considérant que le président Porochenko a décidé, le 30 juin 2014, de relancer les attaques militaires sur les régions du sud-est de l'Ukraine;
E.considérant que, de plus en plus, les zones résidentielles, les hôpitaux et les infrastructures municipales, dont les centrales électriques, les stations d'épuration et les écoles, sont la cible des opérations militaires de l'armée ukrainienne, de la Garde nationale et d'autres forces armées; considérant que, selon le rapport du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme du 15 juin 2014, 356 personnes – dont 257 civils, y compris 14 enfants – ont été tuées depuis le début de l'opération militaire du gouvernement ukrainien dans les régions orientales de Donetsk et de Luhansk; considérant que les villes assiégées manquent de nourriture, d'eau et de médicaments; considérant que certains éléments semblent indiquer que des mines terrestres et des bombes au phosphore ont été utilisées; considérant que, d'après les données fournies par les Nations unies, environ 160 000 réfugiés ont fui les zones de combat; considérant que, selon ces mêmes Nations unies, l'État est loin d'avoir les moyens nécessaires pour protéger les personnes déplacées à l'intérieur du pays;
F. considérant que la poursuite du conflit en Ukraine est principalement due à des problèmes non résolus à l'intérieur même du pays; considérant que les relations entre l'État ukrainien et la société sont très peu développées; considérant que la politique ukrainienne est dominée par des oligarques, et que des négociants en pétrole et en gaz ont été nommés ministres, gouverneurs ou directeurs des grandes institutions du pays; considérant que les principales institutions démocratiques et de l'État – le Parlement et les pouvoirs judiciaire et exécutif du gouvernement – n'exercent pas de façon adéquate leur rôle fondamental de représentation, de défense et de gestion des intérêts de la société ukrainienne; considérant que la corruption est généralisée; considérant que, d'après un rapport récent de l'OCDE, les disparités interrégionales sont importantes selon les normes de l'organisation et qu'elles continuent de s'accroître; considérant que l'indice de développement humain a reculé dans la majorité des régions ukrainiennes entre 2000 et 2010; considérant que les gouvernements infranationaux ont tendance à dépendre fortement des transferts de l'État, dont ils jugent la répartition imprévisible et pour le moins opaque; considérant que les gouvernements et parlements ont alimenté la méfiance et la haine qui prévalent entre les différentes catégories de la société ukrainienne en adoptant des décisions discutables sur les questions de langue, d'histoire et de relations internationales; considérant qu'aucun de ces problèmes n'a été résolu par les récents changements politiques;
G. considérant que le niveau de représentation des partis nationalistes et xénophobes d'extrême droite au sein du nouveau gouvernement ukrainien est extrêmement préoccupant; considérant que le nouveau gouvernement ne parvient pas à contrôler le parti nationaliste notoire "Secteur droit"; considérant que le parti communiste d'Ukraine, qui a présenté un programme visant à préserver l'unité du pays tout en protégeant les droits de tous ces citoyens, subit une violente répression et que le parti a récemment été traduit en justice en vue d'en obtenir l'interdiction officielle;
H. considérant que l'Ukraine, l'Occident et la Russie se livrent actuellement à une véritable guerre de propagande, qui complique très fortement l'obtention d'informations objectives sur la situation en Ukraine; considérant que six journalistes ont été tués et que beaucoup d'autres ont été détenus, agressés et harcelés; considérant que les médias qui critiquent le gouvernement, tels que Multimedia Invest Group, sont victimes de discrimination;
I. considérant que, selon le récent rapport des Nations unies, le taux de pauvreté en Ukraine s'élevait au début de l'année 2014 à environ 25 % de la population, soit 11 millions de personnes dont les conditions de vie sont inférieures aux normes sociales locales; considérant que les revendications socioéconomiques du mouvement Maïdan ont laissé la place au programme néolibéral du nouveau gouvernement, qui applique les conditions du prêt du Fonds monétaire international, à savoir la réduction de subventions essentielles dans le domaine de l'énergie, des coupes budgétaires dans le secteur public et les retraites de la fonction publique, ainsi que d'importantes réductions budgétaires dans le domaine de la sécurité sociale, lesquelles ont de graves conséquences pour les catégories les plus vulnérables de la société ukrainienne; considérant que le conflit militaire actuel ne fait qu'aggraver la situation; considérant que les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 8,2 % par rapport à 2013, ce qui plonge dans une situation de crise socioéconomique de nombreux ménages en Ukraine;
J. considérant qu'en mai 2014, les prix du gaz en Ukraine ont augmenté de 50 % pour les ménages et de 40 % pour les entreprises de chauffage urbain, et que d'autres augmentations sont prévues jusqu'à 2018; considérant que, plutôt que de négocier des solutions aux problèmes que connaît l'application des accords conclus entre la Russie et l'Ukraine, les deux parties exacerbent le différend sur le gaz et alimentent ainsi les craintes et les réactions émotionnelles de la population ukrainienne;
K. considérant que les États-Unis, les États membres de l'Union européenne, l'OTAN et la Russie contribuent au conflit en apportant un soutien politique et matériel – y compris militaire – aux deux parties au conflit;
L. considérant que la réponse des États-Unis à la crise ukrainienne a été d'adopter, à concurrence d'un milliard de dollars, un programme de nouveaux exercices militaires terrestres, maritimes et aériens en Europe de l'Est; considérant que le nouveau président Porochenko a signé un "accord de coopération militaire entre les États-Unis et l'Ukraine" qui a permis une participation étroite de conseillers américains aux opérations militaires du gouvernement ukrainien ainsi qu'à la modernisation et à la reconstruction des forces armées et de l'ensemble du secteur de la sécurité;
M. considérant que l'OTAN, en augmentant le nombre de manœuvres militaires dans les pays d'Europe de l'Est, utilise la crise en Ukraine pour assurer son propre retour en force dans le cadre d'un nouvel affrontement avec la Russie et qu'elle examinera, lors de son sommet de septembre 2014, de nouvelles stratégies militaires et de nouveaux déploiements en Europe de l'Est, ce qui va à l'encontre de l'Acte fondateur OTAN-Russie de 1997 dans lequel l'OTAN s'est engagée à ne pas recourir à "un stationnement permanent supplémentaire d'importantes forces de combat" en Europe de l'Est;
N. considérant que l'Union européenne refuse toujours de voir la réalité de la situation en Ukraine et soutient le gouvernement du pays sans émettre la moindre critique; considérant que l'Union poursuit sa politique de sanctions contre la Russie; considérant que l'Accord d'association UE-Ukraine, qui inclut un accord de libre-échange approfondi et complet, a été signé malgré les inquiétudes et la résistance d'une grande partie de la population ukrainienne; considérant que la Commission a approuvé plusieurs mesures concrètes de soutien à court et à moyen terme à l'Ukraine;
1. se dit profondément préoccupé par la reprise du conflit militaire dans l'est de l'Ukraine; demande instamment au président Porochenko de mettre fin à l'action militaire; prie urgemment toutes les parties de convenir d'une reprise immédiate du cessez-le-feu et de travailler à mettre définitivement un terme à la violence par un processus politique et diplomatique;
2. souligne que la profonde crise politique que connaît actuellement l'Ukraine ne peut être résolue par les armes, mais par un débat national approfondi sur les réformes économiques, politiques et constitutionnelles dont a besoin le pays, ainsi que sur son orientation géopolitique;
3. demande à la Russie, à l'Union européenne et aux États-Unis de ne plus alimenter le conflit en apportant un soutien politique et matériel – y compris militaire – aux parties au conflit, de commencer à contribuer à la création d'un nouveau pacte social entre les différentes catégories de population du pays qui reconnaisse que la diversité ukrainienne constitue un élément fortement positif de l'identité nationale, et d'œuvrer en faveur de l'intégrité territoriale et de la souveraineté du pays;
4. appelle à un embargo sur les armes envers toutes les parties au conflit, ainsi qu'au retrait de l'Ukraine de tous les conseillers militaires et autres personnels militaires étrangers;
5. demande à toutes les parties prenantes de s'abstenir d'avoir recours à des messages d'intolérance ou à des expressions susceptibles d'inciter à la haine, à la violence, à l'hostilité, à la discrimination ou à la radicalisation;
6. soutient le renforcement du rôle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) dans la résolution de la crise ukrainienne; demande que soit mise en œuvre la "feuille de route" élaborée par la présidence suisse, qui constitue une bonne base pour une sortie politique de la crise;
7. adresse ses profondes condoléances aux familles des civils victimes du conflit; condamne la grave violation du droit humanitaire international qu'ont commise les deux parties dans les zones de conflit; demande que tous les cas de violation des droits de l'homme fassent l'objet d'une enquête indépendante et que les personnes responsables soient traduites en justice;
8. se dit très préoccupé par l'aggravation de la crise humanitaire dans les zones de conflit; exhorte toutes les parties au conflit à faciliter l'accès des organisations internationales aux zones touchées par les opérations de sécurité afin de permettre à celles-ci d'évaluer les besoins réels de la population et d'y répondre;
9. demande une enquête indépendante et approfondie de toutes les violations des droits de l'homme, notamment les crimes de guerre, les cas liés aux actes de violence qui ont eu lieu à Odessa le 2 mai 2014 et les cas liés aux manifestations de la place Maïdan, ainsi qu'une enquête sur les responsables d'injustices; insiste sur le fait que ce processus doit être mené de façon à instaurer de la confiance dans l'enquête et le procès, permettant ainsi aux communautés concernées d'en accepter pleinement les conclusions;
10. exprime sa profonde préoccupation face aux conséquences des politiques qui ont été décidées par le nouveau gouvernement à la suite des conditions fixées par le Fonds monétaire international (FMI) et l'Union européenne; déplore que l'on fasse payer la population de l'Ukraine pour la politique erronée des gouvernements précédents plutôt que d'imposer les oligarques ukrainiens;
11. exprime sa profonde préoccupation face à la politique de sécurité énergétique instable de l'Ukraine et à ses conséquences pour les citoyens; demande à la Russie et à l'Ukraine de reprendre une coopération constructive dans les domaines économique et énergétique afin de faire en sorte que les prix de l'énergie soient abordables pour tous, et de s'abstenir d'utiliser l'énergie et le commerce comme instrument politique;
12. prie instamment les personnalités politiques ukrainiennes et internationales de faire preuve de retenue et de s'abstenir de faire des déclarations susceptibles d'exacerber davantage le conflit; se dit très préoccupé par la guerre de propagande à laquelle se livrent toutes les parties; invite celles-ci à mettre en place les conditions dont ont besoin les journaux et autres médias pour exercer leur travail, indispensable pour une évaluation objective de la situation dans toute l'Ukraine;
13. exprime sa profonde préoccupation face au rôle politique des nationalistes d'extrême droite et des forces xénophobes dans la politique ukrainienne; condamne les attaques perpétrées contre le parti communiste, ainsi que les tentatives visant à l'interdire;
14. se dit extrêmement préoccupé par l'intensification de l'affrontement politique entre l'OTAN et la Russie et du danger de voir une nouvelle course aux armements; avertit que l'incapacité à ouvrir un dialogue axé sur des résultats pourrait avoir des conséquences dangereuses pour la paix et la sécurité en Europe et dans le monde;
15. observe qu'une politique consistant à scinder la politique de voisinage oriental du renforcement des relations entre l'Union et la Russie a abouti à un échec; insiste sur la nécessité de repenser la politique de voisinage oriental afin de développer une coopération régionale n'excluant aucun pays; invite la Russie à participer activement à ce processus et à démontrer sa volonté de contribuer à des politiques de bon voisinage;
16. se félicite de l'ouverture du dialogue entre l'Union européenne, l'Ukraine et la Russie sur des mesures visant à éviter toute répercussion négative de l'accord d'association UE-Ukraine sur la coopération entre l'Ukraine et la Russie et l'union douanière;
17. charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil et à la Commission, ainsi qu'au parlement et au gouvernement de l'Ukraine et aux Assemblées parlementaires de l'OSCE et du Conseil de l'Europe.