Cette séance de vote au Parlement européen était folle. Soixante-sept rapports examinés en deux heures, certains sans amendements, d’autres en comportant des dizaines. La veille, c’était l’inverse : une petite séance à sept rapports ! On ne peut imaginer débat plus mal organisé. Pourtant, le président vient de se faire pointer du doigt pour avoir un cabinet pléthorique fort de 35 personnes ! On se demande à quoi elles travaillent ! Dans la masse des textes de ce jour-là, des piles de « décharges » données pour la gestion de toutes sortes de directions, sous-directions, et agences de toute sorte. Une sorte de reconnaissance de bonne gestion honnête. Un quitus. Le pouvoir de décharge budgétaire du Parlement devrait donc lui permettre de faire respecter par l'ensemble des institutions et agences européennes les engagements budgétaires pris. Il n’en est rien. La Commission comme le Conseil ne tiennent quasiment aucun compte des votes du Parlement, y compris quand il refuse la décharge, ce qui est pourtant une décision très grave. C'est un symptôme de l'impuissance démocratique du Parlement dans l'UE. Le résultat ne se fait pas attendre. Faute de contrôle parlementaire, l’exécutif use et abuse de tout.
Ainsi, le budget 2013 a été exécuté de manière particulièrement chaotique. En effet, cette année-là, la Commission et le Conseil ont réussi à mettre en réserve et reporter 1 milliard d'excédents. Des excédents ! Un grand bravo peut-être ? Sûrement pas. Car dans le même temps, l'UE avait accumulé… 20 milliards d'impayés. N’importe où ailleurs, on dirait de cette situation qu’il y a une dette de 19 milliards sur le dos de ceux qui attendent qu’on les paye ! On examinait donc le rapport de la députée allemande désormais bien connue des Français depuis qu’elle nous a agressés sur l’antenne de France 2. Son rapport propose de donner quitus à la Commission et à six « agences exécutives ». Une farce. Car la Cour des comptes n'a pas été en mesure de délivrer une déclaration d'assurance positive quant à la légalité et à la régularité des paiements sous-jacents aux comptes ! Une paille ! Et ce n’est pas un fait nouveau. Lisez bien : c’est la vingtième fois consécutive que cette Cour n’est pas parvenue à exercer ce contrôle. N’est-il pas incroyable que de telles méthodes soient mises en œuvre par ceux-là mêmes qui font la leçon à toutes les nations ? J’ai considéré que la légalité comme la régularité de cette exécution budgétaire étaient en cause et j’ai voté contre. Mon vote a le sens suivant : « vous avez le bonjour des Grecs » !
Ici règne la pagaille, l’incurie, et tous les vices reprochés aux Grecs par les faces de pierre libérales qui lèvent pourtant la main en cadence pour approuver les pires gabegies. Voyez. Voici un rapport qui se félicite des 21 avis spéciaux que la Cour des comptes publie pour éclairer un peu l’opacité du budget confié à la Commission européenne. Mais il ne tire aucune conclusion de ce que le rapport dont il se félicite dénonce. Et ce n’est pas rien. En effet, pour 2013, la Cour des comptes a relevé d’innombrables irrégularités, tant dans la gestion de la Commission que par les États. On y apprend par exemple que le système d'information Schengen 2 a été développé sans même que « les principaux responsables du projet ne connaissaient ni les spécifications techniques ni les besoins des utilisateurs lorsque le projet a démarré ». Un tel amateurisme de la part de la Commission est consternant. Aucune suite ! Imaginez que cela se constate en Grèce ou en France, quels mots trouveraient les bons esprits ? Voilà qui ne dérange pas le député français du PS Gilles Pargneaux dont le rapport propose de donner quitus pour l’exécution du budget général du Parlement lui-même pour 2013. Pourtant, il relève de nombreuses irrégularités. Ainsi le secrétaire général a refusé de répondre à toute une série de questions sur l'exécution du budget, posées par les députés. Tel quel ! Quitus ! De plus, le nouveau logo du Parlement a été choisi dans une procédure opaque dont nous ne connaissons même pas le coût. Quitus ! Le rapport s'étonne aussi du déficit des buvettes et restaurant du Parlement qui ont pourtant augmenté leurs prix et dont la fréquentation a augmenté de 150%. Quitus ! Enfin, dans sa logique de chasse aveugle et bornée aux surcoûts, ce rapport relaie les arguments anglo-saxons contre le siège du Parlement à Strasbourg. Quitus !
On donne quitus à tout et n’importe quoi. Ainsi quand arrive le plus incroyable : le rapport de Ryszard Czarnecki donnant quitus à la cour de comptes sur sa propre gestion à elle ! Accrochez-vous, c’est savoureux. En effet la certification de ces comptes est confiée à un cabinet privé de la City, étroitement lié au monde de la finance et à ses intérêts. Ce cabinet est directement mis en cause dans l'affaire Luxleaks en tant que principal artisan du système de dissimulation fiscale à grande échelle du Luxembourg. Faut-il être rassuré quand après cela le groupe précise sur son site internet qu'il a « l'intégrité » pour valeur et participe « à la lutte contre la corruption et la délinquance financière » dans le cadre de sa « responsabilité sociétale ». Comment peut-on confier la certification des comptes à une entreprise qui a été liée aux pratiques que tout le monde a condamné comme une fraude ? Et cela pour certifier les comptes de l’organe de contrôle des comptes européens. Telle est « l’Europe qui protège » !