Le débat sur le PNR européen, soit Passenger Name Record, programme d'échange d'informations sur les passagers aériens, est de retour sur le devant de la scène.
Ce programme prévoit que les compagnies aériennes devront collecter des informations sur les passagers de vols extra- et intra-européens. Ces données concernent l’identité du passager, son numéro de téléphone, son adresse de courriel, la manière dont il a payé son billet, le numéro de celui-ci, le numéro de siège, ses bagages, son éventuel programme de fidélité ou « voyageur fréquent ». Collectées par les transporteurs, ces données sont transmises au pays concerné, puis partagées avec les autres États membres, voire avec des pays tiers. Les données seront conservées pendant 6 mois, puis masquées au bout de ce délai, et effacées après 5 années. Dans l’intervalle, elles seront accessibles sous le contrôle d’une autorité judiciaire nationale, à des conditions, nous assure la Commission, « très strictes et limitées ».
Néanmoins, malgré ces maigres garanties, ce sytême porte atteinte à la protection des données, c'est à dire droit à la protection de la vie privée et aux données personnelles de tous les voyageurs, tel que défini dans la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne. À l'article 7 : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications », et à l'article 8 : « Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant. Ces données doivent être traitées loyalement à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d'un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d'accéder aux données collectées la concernant et d'en obtenir la rectification. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d'une autorité indépendante ». C'est d'ailleurs l'argument employé par la Cour de justice européenne en 2006 pour l'invalidation de l'accord PNR-UE-USA en date de 2004. C'est aussi l'argument employé à par les socio-démocrates à l'époque, pas si lointaine, où ils rejetaient le PNR européen. En effet le 24 avril 2013, un communiqué du groupe S&D du Parlement européen se réjouissait du rejet du projet de PNR européen par la commission LIBE du Parlement, par la voix de sa vice-présidente, l'euro-député Sylvie Guillaume, qui déclarait : « Dans sa forme actuelle, la proposition PNR n'assure pas pleinement la protection des données personnelles selon la définition de l’article 8 de la Charte de l’UE, et elle n’assure pas un équilibre approprié entre sécurité et droits fondamentaux. Ce vote constitue donc un tir de sommation envoyé par le Groupe S&D aux forces politiques rétives au compromis qui tentent d’imposer leur approche aux dépens des droits des citoyens. Nos préoccupations se sont exprimées à travers le grand nombre d’amendements déposés, et elles doivent être prises en considération. Mal habituée aux défaites politiques lourdes, la droite a intenté au résultat final un procès profondément outrancier. Nos citoyens n’ont absolument rien à gagner aux débats stériles fondés sur des accusations fausses qui ne contribuent en rien à la recherche d’une solution à cette question complexe ». Mais, dès février 2015, tout ceci est oublié et Bernard Cazeneuve (Ministre de l'Intérieur français) plaide pour la mise en place d'un PNR européen : « Nous avons besoin du PNR pour établir la traçabilité des terroristes qui circulent dans l’espace Shengen".
Mais quelle sera l'utilité réelle de ce système ?
Le socle du fonctionnement d'un tel programme repose sur la bonne mise en oeuvre de ces échanges de données. Or on sait que dans l'UE actuelle les systèmes d'échanges automatiques de données ne fonctionnent pas toujours. Ainsi, dans le domaine fiscal, la directive 2011/16/UE du Conseil relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, applicable dès 2013 n'a pas été mise en place, si bien que l'Italie, après avoir envoyé ses données fiscales à l'UE, s'est étonnée de ne pas recevoir en retour les informations des autres pays membres et a cessé de fournir des information dès un an après l'entrée en vigueur de la directive. On peut donc légitimement douter de la faisabilité d'un nouveau système d'échange d'informations.
Mais, surtout, à supposer que les échanges de donnés soient opérationnels, encore faudrait il qu'ils servent à quelque chose. Et là encore, l'UE a tout faux. Le G29, (Groupe européen des autorités de protection des données, ou groupe des CNIL européennes) a constaté dans le cadre du PNR nord-américain, « qu'il n’a jamais été prouvé de façon concluante que la quantité considérable de données passagers collectée est véritablement nécessaire à la lutte contre le terrorisme et la grande criminalité ». De plus, en mars 2014 lors de son audition devant la commission LIBE du Parlement européen, Edward Snowden affirmait à son tour « qu'aucun gouvernement occidental n'a pu établir de preuves tangibles démontrant que de tels programmes sont nécessaires ». En s 'appuyant pour cela sur des enquêtes de la Privacy and Civil Liberties Oversight Board (institution états-unienne) qui montrent également que ces programmes n'ont « jamais arrêté une seule attaque terroriste imminente et n'ont aucune base légale ». Enfin, ce programme ne concerne que le transport aérien alors que la plupart des déplacements en Europe se font par la route ou le train. Les évènements récents nous le confirment : sur les trois auteurs des attaques de janvier 2015, seul l'un d'entre eux a effectué un voyage à l'étranger par avion plusieurs années auparavant. Tandis qu'aucun des assaillants de novembre, à Paris et à Saint-Denis, n'ont pris l'avion pour revenir sur le sol français.
Aussi, tout en soulignant le prix du projet (évalué à 500 millions d'euros) le contrôleur européen de la protection des données, le magistrat italien Giovanni Buttarelli, s'interroge sur l'utilité de ce programme. D'autant plus que ce projet s'ajoutera aux sept bases de données déjà existantes et n'aura donc qu'une utilité marginale au niveau des enquêtes de terrorisme. Mais ce projet brasse du vent et c'est là son principal avantage pour le gouvernement de M. Valls. Pendant que le débat reprend au Parlement européen, on peut croire, un instant, que le gouvernement agit pour notre sécurité.