Comme je l'ai dénoncé à plusieurs reprises ici, depuis juillet 2013, la Commission européenne a engagé des négociations avec les États-Unis d’Amérique afin de créer un grand marché libéralisé dans le plus grand secret.
Cette semaine se déroule le troisième et dernier cycle de négociations de cette année sur ce Grand Marché Transatlantique (GMT). Les négociations se poursuivent donc alors que les citoyens et les élus n’en connaissent pas les détails, et que les révélations sur l'espionnage à grande échelle des autorités européennes et des citoyens par les services de l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA) n’ont cessé de se multiplier.
Cette semaine à Washington, messes-basses dans le dos des Européens
Le troisième cycle de négociations sur le GMT doit clore la phase initiale d'estimation des positions respectives des deux côtés de l’Atlantique. Puis, la Commission et les États-Unis devront commencer à parvenir à des accords sectoriels.
Ils espèrent profiter de l'élan insufflé par l'obtention de l’accord néolibéral de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) le 7 décembre à Bali.
Comme il est de mise dans ces accords multilatéraux, les négociations ont d’abord pour but d’écarter les sujets épineux, notamment les services, l'énergie et les matières premières. S’ils parviennent à une règlementation commune dans l’un de ces champs, elle se fera évidemment sur la base du plus petit dénominateur commun. Sachant que c’est déjà la politique de l’Union, cela présage du pire. Car dans tous ces domaines, les USA ont des réglementations beaucoup moins contraignantes sur le plan écologique et social.
Sur la question des services, les Nord-Américains sont favorables à une « liste positive » ; seuls les services explicitement indiqués sont concernés par l'accord, alors que la Commission européenne préfèrerait s’appuyer sur la version en cours à l’OMC dans laquelle le mot « service » est laissé à une interprétation large, couvrant ainsi tous les domaines de la vie. Dans ce contexte, il n’y aurait pas de garantie que « l’exception culturelle française » soit couverte par l’accord. Sur les services, la Commission Barroso, soutenue par la droite et les sociaux-démocrates, défend donc dans le dos des peuples une position encore plus libérale que celle des USA.
Les Nord-Américains ont quant à eux l’intention de détruire le Règlement européen REACH sur l’utilisation de produits chimiques dans l’industrie. Sur les gaz de schiste, la Commission se dit sans cesse être à la pointe avec des valeurs environnementales exigeantes, mais entend bien profiter de ces gaz américains exploités dans des conditions particulièrement désastreuses. De plus, de quelles garanties disposeront les quelques pays européens l’interdisant, lorsque les grandes entreprises voudront demain exploiter nos roches ?
Le négociateur Etats-unien Dan Mullaney continue aussi de rechercher « le plus haut niveau de protection » pour les investisseurs, ce qui signifie que les Nord-américains vont vouloir mettre en place un « organisme de règlement des différends » entre États et entreprises, comme dans les autres traités de ce genre, où des tribunaux privés internationaux cassent les droits du travail, environnementaux et sociaux existant dans les États, le tout en leur faisant payer de lourdes amendes.
Précédentes négociations, la Commission plus complaisante avec la finance que les USA
Le précédent deuxième cycle de négociations, à Bruxelles, s’est effectué avec plus d’un mois de retard. Les États-Unis étaient plongés dans leur crise budgétaire (shutdown), empêchant l’armada de négociateurs de Barack Obama d’acheter leurs billets d’avion.
Les discussions ont finalement pu avoir lieu, notamment sur les services financiers, pour « renforcer la stabilité financière ». Entre l’UE et les États-Unis, ces "services"représentent 60 % des activités bancaires mondiales. Les investissements croisés en actions et obligations se chiffrent en milliers de milliards d'euros. Mais, outre Atlantique, la loi Dodd-Frank sur la régulation financière a été obtenue après de longues tergiversations entre Démocrates et Républicains, et est plus restrictive que ce qui existe en UE. Il n’y a bien que l’Union européenne pour croire encore aux bénéfices du libéralisme forcené. Elle fait donc traîner la prise de décision, arguant qu’il ne faut pas prendre de décision "à la dernière minute", et demande en tout état de cause des « consultations mutuelles à l'avance en cas de toutes nouvelles mesures financières qui peuvent affecter considérablement la fourniture de services financiers » et un « examen conjoint des règles existantes pour déterminer si elles créent des obstacles non nécessaires au commerce ». Et la très libérale Commission de craindre : « Sans ce cadre, dans quelques années, quand la crise sera du domaine du passé, il y a un risque que la réglementation financière pourrait à nouveau être dominée par des considérations principalement nationales, ce qui une fois de plus mènera à une divergence de réglementation et ouvrira la porte à l'instabilité financière ». La Commission se permet de juger de l’action des États avec une arrogance sans nom.
Le droit du travail aux oubliettes
Si, sur certains points, la Commission sait ce qu’elle veut, sur d’autres, elle n’a pas le début du commencement d’une volonté, notamment sur le droit du travail. Concernant la ratification des conventions de l'Organisation International du travail, dont une bonne partie ne sont pas signés par les États-Unis, « la Commission n'a pas encore de stratégie définie sur ce point »1.
Pendant ce temps, la Commission organise sa propagande
Le 22 novembre dernier, la Commission a organisée une réunion informelle afin d'expliquer aux Commissaires comment parler positivement du GMT. Certains documents concernant cette rencontre ont été transmis au Parlement européen et dévoilent sa mauvaise foi. L’objectif est de « faire en sorte que le grand public dans chacun des États membres de l'UE ait une compréhension générale de ce GMT », « c’est-à-dire d’une initiative qui vise à délivrer une croissance et des emplois ». Cet argument, marronnier de la Commission dans tous ses traités de libre-échange, se base sur un rapport soi-disant indépendant et hautement critiqué parmi les économistes. Concernant « l'anxiété autour de l'impact potentiel sur le modèle social européen », la Commission précise « le processus doit également être suffisamment transparent pour réduire les craintes et éviter une multiplication des doutes avant que l’accord soit conclu ». Quand il s’agit des accords sur l’agriculture des artichauts de plus de 20 cm, la transparence totale est de mise ; quand le dossier est éminemment politique, la transparence est faite au compte-goutte, et seulement dans l'intérêt de la Commission. Voilà un beau principe politique.
Parmi les bonnes résolutions pour l’année 2014 devra donc figurer une lutte acharnée contre ce GMT dont les négociations risquent de durer encore deux ans. La Commission joue la carte du temps. Sachons leur montrer que les peuples n’oublient pas. Les prochaines négociations devraient se dérouler en mars 2014.