La venue du pape devant le Parlement européen, la piquante lettre que je lui ai adressé, ont donné lieu à la mise en scène habituelle.
D’un côté une caricature de mon propos pour faire correspondre à l’image convenue du « bouffeur de curés » sans finesse, doublé de la nouvelle perversité médiatique : (« oui mais vous saviez bien que vous alliez provoquer ce genre de réaction »). Il est vrai que demander à des journalistes de savoir ce qu’est la « théologie de la libération » et la lutte contre elle des jésuite et de la papauté, s’intéresser aux 20 disparus français d’Argentine dont trois religieux et faire le bilan des hiérarques religieux dans cette circonstances, sans parler du reste, c’est beaucoup demander ! Quant à défendre la laïcité chez les importants dans cette circonstance : autant essayer de faire boire des ânes qui n’ont pas soif ! Au contraire, partout prévaut désormais l’habituelle papolâtrie nunuche qui est la règle depuis Jean-Paul II. Elle est désormais agrémentée de la fine remarque que « ce pape n’est pas comme les autres » au motif qu’il condamne le capitalisme et défend les pauvres ! Les éblouis d’aujourd’hui sont surtout des ignorants qui n’ont jamais lus ni encyclique ni discours papaux. Car les deux papes précédents faisaient pourtant de même que ce pape-ci. « N’est-ce pas un pape de gauche ? » s’amusent les brutes médiatiques pour se distraire à nos dépends avec ces questions/affirmations qui sont devenues leur habitude. Comme si c’était le sujet du débat !
Un pape n’est ni de droite ni de gauche. Il incarne le dogme car c’est sa foi. Au demeurant, la laïcité n’est pas mise en cause par le caractère d’un homme, ni même par ses idées, mais par la pratique qu’il engage. Un chef religieux, quel que soit son culte, même s’il est personnellement de gauche, ne trouvera jamais grâce à nos yeux dans une institution politique. Autrefois, cette façon de voir était largement dominante à gauche. Et les minorités religieuses en France défendaient aussi cette règle avec ardeur. À présent, il faut bien admettre que la situation est considérablement dégradée. Côté PS l’effondrement est complet. Pas une voix au PS pour dire quoi que ce soit, ni à Paris ni à Strasbourg. Au contraire c’est le député PS belge Tarabella qui s’investit publiquement d’une mission de surveillance de mes activités contre les excès du « laïcisme ». Le « laïcisme » ! Cette expression est une signature. C’est le vocabulaire de l’extrême droite depuis toujours sur le sujet. On en est là.
Le pape a donc pu dire sans craindre d’être démenti qu’il s’adressait à nous députés « à partir de ma vocation de pasteur » pour adresser « à tous les citoyens européens un message d’espérance et d’encouragement ». Et même nous dire sans blêmir que « c’est l’oubli de Dieu, et non pas sa glorification, qui engendre la violence ». Tranquille ! Pour lui, au centre de « l’ambitieux projet politique européen, il y avait la confiance en l’homme, non pas tant comme citoyen, ni comme sujet économique, mais en l’homme comme personne dotée d’une dignité transcendante ». Naturellement, ces élans-là ne peuvent lui être reprochés. Il agit conformément à ce qu’il est : le chef d’une communauté religieuse. Le reproche va à ceux qui lui ont demandé de venir là faire un prêche. De même on ne saurait honnêtement condamner son discours du premier au dernier mot parce que c’est un chef religieux qui les prononce. C’est plutôt l’hypocrisie de ceux qui l’applaudissent qui doit être pointée et montrée du doigt.
En effet, voir la droite et l’extrême droite applaudir était parfois surréaliste. On sait quelles politiques économiques ces gens votent sans état d’âme. Alors comment qualifier les acclamations qu’ils ont faites au propos papal suivant : « Quelle dignité est possible, sans un cadre juridique clair, qui limite le domaine de la force et qui fasse prévaloir la loi sur la tyrannie du pouvoir ? Quelle dignité peut jamais avoir un homme ou une femme qui fait l’objet de toute sorte de discriminations ? Quelle dignité pourra jamais avoir une personne qui n’a pas de nourriture ou le minimum nécessaire pour vivre et, pire encore, qui n’a pas le travail qui l’oint de dignité ? Promouvoir la dignité de la personne signifie reconnaître qu’elle possède des droits inaliénables dont elle ne peut être privée au gré de certains, et encore moins au bénéfice d’intérêts économiques ». C’est quasi du Robespierre dans le texte. Et quand, après avoir refusé de distribuer gratuitement les excédents alimentaires de l’Europe droite et extrême-droite applaudissent le pape qui leur dit : « On ne peut tolérer que des millions de personnes dans le monde meurent de faim, tandis que des tonnes de denrées alimentaires sont jetées chaque jour de nos tables ». Et comment qualifier l’hypocrisie de cette droite et extrême droite applaudissant ces mots « De même, il est nécessaire d’affronter ensemble la question migratoire. On ne peut tolérer que la Mer Méditerranéenne devienne un grand cimetière ! » Tout ceci était donc bien dans ce Parlement, et à cause de ceux qui y siègent, une comédie insoutenable.
J’ajoute que les applaudissements de la gauche officielle ne valaient pas mieux. Les mêmes qui ont supporté sans broncher une apologie de « la famille unie, féconde et indissoluble » qui, dans le contexte, sentait fort la condamnation du mariage pour tous. Ils sont aussi restés muets quand la contraception, l’avortement et le droit de mourir dans la dignité ont été condamnés. Comme en attestent ces phrases bien applaudies dans l’hémicycle « lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades, des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin, ou des enfants tués avant de naître ». Par conséquent si le pape était dans son rôle et son discours utile au croyant et amical pour les autres, le plus choquant restera l’hypocrisie de ceux qui l’ont invité écouté et applaudi en sachant que les propos tenus ne les engageraient à rien d’autres qu’à se déjuger eux-mêmes chacun sous le point de vue central de leur doctrine.