Ce dimanche 4 octobre, auront lieu au Portugal les élections législatives. Repérons-nous, car ce sera un épisode politique qui va compter lui aussi sur le vieux continent. La nouvelle assemblée sera élue à la proportionnelle par circonscription régionales. Le Premier ministre est actuellement Pedro Passos Coello. Il s’agit d’un gouvernement de droite depuis 2011. Le parti au pouvoir se nomme « social-démocrate » mais c’est une survivance de la période qui a suivi la chute de la dictature de Salazar où plus personne n’osait se dire ouvertement de droite au Portugal. Cette droite est donnée favorite alors même qu’elle était tenue pour perdante il y a encore peu. Le Parti Socialiste portugais arrive en seconde position alors qu’il était donné gagnant. Mais l’écart avec la droite reste serré. Évidemment, le PS concentre sa campagne sur le « vote utile ».
Ça sonne aussi creux qu’ici. « Utile à quoi ? ».
Car c’est bien le PS qui a appelé la Troïka et appliqué les premières mesures d’austérité en 2010-2011. Depuis cette date, la droite a poursuivi sur la ligne européenne ordo-libérale. Et le PS ne propose aucune rupture avec cette politique, cela va de soi. Le bilan est pourtant terrible. La richesse produite (à supposer que ce soit un vrai repère pour nous comme ça l’est pour les productivistes) est toujours inférieure à 2009, après 3 ans de récession entre 2011 et 2013. Il y a 300 000 chômeurs supplémentaires et 40% de chômage chez les jeunes. Si bien que 500 000 Portugais se sont exilés en 5 ans. Et dans la population qui reste sur place, il y a 20% de pauvres.
Le Portugal est souvent présenté comme « le bon élève de la Troïka », au motif qu’il n’est plus soumis aux « plans d’aide ». On sait qu’un « plan d’aide » est une saignée de privatisations et de coupes claires dans les dépenses publiques pour pouvoir emprunter « sur le marché directement ». Les griots de la « seule politique possible » s’en gargarisent. Vu de près il en va tout autrement. La petite respiration retrouvée dans l’asphyxie ne tient nullement à la politique de la Troïka mais à son contraire. La timide « reprise » de 2014-15 coïncide avec l’assouplissement de l’ordo libéralisme, c’est-à-dire que si elle a lieu c’est parce qu’une atténuation de la politique d'austérité a eu lieu, de peur de faire craquer la corde qui tient le pendu. Dit en langage FMI : « l'ajustement budgétaire a ralenti ». Et dans le même temps, ce fut une baisse de l’euro provoquée par la BCE contre le dogme de l’euro fort. Et c’est aussi à l’intervention de la BCE qu’est due la baisse des taux d’intérêts sur les marchés financiers auprès desquels le Portugal peut désormais « s’approvisionner directement ». Bref, c’est en réunissant les conditions contraires exigées par le catéchisme libéral que la situation s’est rendue légèrement moins cruelle. Mais attention à la propagande : le Bla Bla sur la « reprise portugaise » ne doit pas faire perdre de vue qu’il s’agit de très peu de choses. Car au rythme actuel, en 2020, le PIB du Portugal sera seulement revenu au niveau de 2009 ! Sur le long terme l’économie portugaise est défigurée par la médecine qui lui a été appliquée. Le modèle allemand a fait son œuvre. Elle repose désormais sur les exportations : elles représentent 40% du PIB contre 27% avant la crise. Autrement dit, au premier retournement de tendance mondiale, patatras, le Portugal retourne à l’âge de la pierre. Et justement, mauvaise nouvelle, l’OMC (organisation mondiale du commerce) annonce que le commerce international va reculer pour la quatrième année consécutive. Le niveau s’aligne sur le taux de croissance mondial. Adieu la divine période où le commerce mondial progressait deux fois plus vite que la production parce que le grand déménagement des marchandises carburait à mort.
La « reprise » est donc fondamentalement non durable. Car l’export qui la porte repose sur le dumping social, c’est-à-dire la baisse du coût du travail et celle de l’euro, deux paramètres qui sont promis à de fortes fluctuations sociales et politiques. En tous cas, on ne voit pas que le maniement d’une monnaie et la régression sociale améliorent le niveau de qualité ou de performance des marchandises échangées. La production portugaise ne vaut donc pas davantage qu’au début de la crise. Sa valeur d’usage est la même et sa valeur d’échange est manipulée. En attendant, les salaires ont baissé de 6% entre 2010 et 2013 et ce n’est donc pas la consommation populaire qui va prendre le relai de l’atonie de l’export. Et en toute hypothèse, la dette publique reste aussi insoutenable que celle des grecs et de tout l’arc méditerranéen. Selon le FMI : « Le poids de la dette publique et privée va probablement réduire les perspectives de croissance à moyen terme ». C’est dit. Car comme d’habitude la dette publique a augmenté avec l’austérité et les autres merveilles de la cure infligée pour la faire réduire. Elle est passée de 84% du PIB en 2009 à 130% en 2014. Un « détail » que les commentateurs enthousiastes du « bon élève portugais » oublient de mentionner. En tous cas, en 2015, le remboursement de la dette a absorbé près de 5% de la production du pays. Les banques adorent ! Surtout qu’elles ne sont pas très flambardes. La bulle de la dette privée et celle des banques menacent. Les chiffres devraient faire mourir de peur « les marchés », si tatillons quand il s’agit des dettes de l’État. La dette privée a un peu reculé mais elle représente toujours 237% du PIB ! Quant aux banques privées, ça sent la fuite de gaz à plusieurs milliers de kilomètres. En 2014 l’État portugais a déjà a sauvé la Banco Espirito Santo en lui offrant de la part des Portugais, à qui personne n’a rien demandé, pour 5 milliards d’euros. Et à cette heure, les créances douteuses des banques portugaises atteignent encore 12% du total de ce que les banques marquent dans leur bilan comme des actifs. Selon le FMI, cette part « grandit », menaçant le système financier portugais alors que l’endettement public rend impossible une injection massive de capitaux. Bientôt la fin, bien sûr. Comme en Grèce, comme partout. La dette portugaise ne sera pas payée et ses banques s’effondreront le moment venu.
Et nous ? Où sommes-nous dans cette élection ? L’espace culturel de l’autre gauche est occupé par deux blocs. Le premier est constitué par l’alliance des Verts et du Parti Communiste, le second est une coalition plus hétéroclite mais bien vivace : « le Bloco ». Le total des voix recueillies est impressionnant puisqu’il tourne autour des 15%. Mais, bien sûr, nous sommes divisés. Dans ces conditions nous ne sommes pas ressentis comme une alternative réelle et donc pas comme une alternance possible. Nous catalysons une certaine colère ample, sans entrainer la société. Cette division permet au PS de jouer à fond la carte du vote utile puisqu’à l’évidence nous ne sommes pas en état de créer une majorité pour gouverner. Mais le discrédit du PS est suffisant, semble-t-il, pour rendre ce chantage bien moins opérant que ne le croyaient ses initiateurs. Je suis du plus près que je peux l’évolution de mes camarades portugais. Au Parlement européen, je siège juste sur la même rangée que les communistes portugais qui sont plutôt francophones et je ne cache pas que nous votons très souvent de même, sauf sur les questions de pêche. Et depuis toujours, le dialogue est bon avec le Bloco dont les élus sont devenus des amis personnels avec qui je parle en toute franchise et décontraction. Sur l’Europe, les points de vue se rapprochent après l’épisode grec. Certes le PCP, allié depuis longtemps aux Verts au sein de la « Coalition démocratique unitaire » a une ligne très dure contre l’UE. Et d’ailleurs il n’est pas membre du Parti de la Gauche Européenne. Et à présent, le Bloco a revu sa position sur l’Euro après la signature de Tsipras. Le Bloco ne critique pas Tsipras, mais il adopte une position quasi-identique à celle du PG. Fernando Rosas, cofondateur du Bloco : « Premièrement, on ne peut pas mener de politique anti-austérité dans le cadre de l’euro. Deuxièmement, l’eurozone est une sorte de dictature qui n’admet pas les choix démocratiques des pays européens. Nous voulons donc renégocier la dette et, le cas échéant, nous serions prêts à sortir de l’euro. On ne fera pas l’erreur d’Alexis Tsipras qui est allé aux négociations sans plan B. Mais nous ne voulons pas critiquer publiquement Syriza. Notre position officielle est que nous devons être prêts à sortir de l’euro si les négociations sur la dette n’aboutissent pas. »
Enfin pour faire sourire mes lecteurs, l’autre gauche portugaise n’a pas les pudeurs de gazelle de certains secteurs de notre gauche en France. Ici on la traiterait de « populiste ». Il y a deux ans, le PCP placardait des affiches en 4×8 mètres : « assez des voleurs et des menteurs – démission du gouvernement » ! Et en début d’année, le Bloco accusait le Premier ministre d’être « plus allemand qu’Angela Merkel » dans son obsession du déficit budgétaire !