fév 11 20
Résumé de séance au Parlement européen

Révolutions arabes, libre échange et écologie

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La propagation du virus de la démocratie se poursuit en Libye, au Yémen et même à Bahreïn. C’est jubilatoire. On attend Qatar, histoire de voir si Plantu va renvoyer son chèque comme un enseignant renvoie ses palmes académiques ! De façon tout à fait significative, les Etats-Unis d’Amérique se positionnent dans cette situation comme une  poule devant un couteau. Ils ne savent que faire et tout le monde voit bien que ces grands amis de la liberté ne sont guère enchantés par cette situation. Elle met à nu tous les mensonges qui ont servis de prétexte aux guerres du golfe et à l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan. Comme je me suis déjà bien exprimé sur ce sujet j’en reste là sur ce point. Mais je ne lâche pas l’occasion de faire un rappel. Mesurons une fois de plus l’ampleur du système de l’indignation à géométrie variable du parlement européen et des prétendues hautes autorités morales de l’Union Européenne qui n’ont pas soufflé mot, il y a un mois, alors même que les évènements de Tunisie battaient leur plein, sur les éventuels problèmes de droits de l’homme qui se posent en Libye, alors même que tous ces gens votaient un accord de libre-échange ! Et ne cessons jamais de rappeler que s’il y a trois prix Sakharov à Cuba qui est à 10 000 kilomètres, il n’y en a pas un dans ces pays limitrophes de l’Europe !  On sait donc que les membres du jury ne prenaient pas leurs vacances en famille à Cuba, pas vrai ! Fidel ne sait pas acheter les gens. Pire : il n’essaie même pas.
 
Je poursuis la réflexion à propos des révolutions tunisienne et égyptienne. Je traite du sujet par petites touches depuis plusieurs billets déjà, vous l’avez vu je crois bien. Pendant mon séjour à Strasbourg j’ai eu l’occasion de plusieurs discussions avec des camarades du groupe GUE qui réfléchissent et veulent en penser davantage tout comme moi. Ce sont des discussions à bâtons rompus, où l’on ne met en jeu que des intuitions.  Par exemple avec Patrick Le Hyaric, le directeur de l’Humanité. Lui  s’intéresse à la dimension sociale de ce mouvement. Comme le quotidien et l’hebdomadaire ont beaucoup produit sur le sujet, la discussion est bien ancrée dans les faits. D’un argument à l’autre mon tableau se précise. J’ai déjà montré ce que j’avais appris du caractère « citoyen » de ces révolutions. Je disais dans ma précédente note qu’il fallait voir aussi comment s’organisait l’articulation avec le mouvement social ouvrier. Avec Le Hyarric c’était le sujet de notre discussion. Lui voit une importance première à cet aspect du déroulement révolutionnaire. Je livre mes conclusions personnelles sur ce point. La question sociale déclenche la révolution citoyenne qui en est la forme élargie, le mode opératoire de masse en quelque sorte. Et la revendication de droits universels et de démocratie se présente comme la façon d’organiser le règlement des problèmes sociaux. Une fois que la révolution s’est renforcée par une victoire dans le domaine démocratique, elle fait retour sur ses tâches sociales initiales. Alors l’unanimité des débuts sur les objectifs démocratiques est mise en cause. C’est le moment des classes et de leur façon de se projeter dans l’avenir. S’il n’y a pas de parti, ni de porte-parole identifié pour assumer cette deuxième phase de la révolution, la révolution elle-même peut être confisquée. Cela ne veut pas dire qu’elle sera « seulement démocratique » sans s’élargir à des tâches sociales plus amples. Non. Les acquis de la phase démocratique elle-même peuvent être remis en cause pour contrer le front social qui cherche à se constituer sur ses propres objectifs. C’est pourquoi je  ne crois pas que madame Alliot-Marie ait fait une erreur de langage en disant qu’elle voulait aider le gouvernement tunisien à se « reconduire », avant de se reprendre et de dire « à se reconstruire ». Pour elle c’est la même chose en effet. Comme pour les Etats-Unis. Ils se méfient de la révolution démocratique parce qu’ils se méfient de la révolution sociale pourrait-on dire.

Madame Eva Joly présentait ce mardi un rapport concernant la modification de l'accord entre l'Union européenne et l'Afrique du Sud. Un accord sur le commerce, le développement et la coopération. En abrégé : ADC. Pour bien comprendre la situation de vote, il faut savoir que : qui vote pour le rapport adopte du même coup l’accord dont il traite. Du coup le rapport, de madame Joly était en fait une recommandation demandant aux députés européens d'adopter la modification de l'accord. Et donc l’accord lui-même. Vu ? Le Parlement pouvait soit adopter soit rejeter cette recommandation. Et du coup, en le faisant, il acceptait ou rejetait l'accord tel que modifié. La majorité du parlement a suivi Madame Joly de façon écrasante: 521 voix pour. Je sais bien que des propositions appréciables étaient faites par les additifs inclus. Il n’en reste pas moins que voter ce rapport c’est accepter l'Accord de Partenariat Economique que la Commission européenne cherche à conclure avec l'Afrique du Sud. C'est donc cela qu'il faut examiner.

Vous ne le savez peut-être pas : un APE (accord de partenariat économique) c'est un accord entre l'Union européenne et une grande région du monde. Le contenu comporte toujours un volet commun quel que soit le coin du monde. Vous devinez lequel. Qu’est ce qui est universellement vrai et bon ? Notre chère « concurrence libre et non faussée ». Bien sûr ! C’est pourquoi cet accord avec l’Afrique du sud comporte le volet habituel d’injonctions libérales : la suppression progressive des droits de douanes à l'importation et l'interdiction de toute augmentation, rétablissement ou création de ces droits ; l'interdiction de tout quotas d'importation ou d'exportation ; la mise en place à terme d'une zone de libre échange complète, services compris. Ce qu’il y a de spécialement pervers dans le comportement de l’Union Européenne, c’est qu’elle oblige ainsi ses partenaires à importer le libéralisme. Et que, pour y arriver elle n’hésite pas à faire tout ce qu’elle peut pour démanteler les accords d’union ou de coopération qui peuvent exister localement entre pays voisins. Au cas particulier, l’Union a du contourner l’existence de l’Union douanière  d'Afrique australe (la Sacu !). Voici comment elle s’y est prise. Ce scénario est toujours le même, où que passe notre chère Europe bienfaisante et pleine de grands principes. Elle arrive et négocie, en tête à tête, avec chacun des pays qui compose l’union douanière locale pour les forcer à céder, un après l’autre. Oui mais, voilà: si le Botswana, le Lesotho et le Swaziland ont fini par céder aux pressions, l'Afrique du Sud et la Namibie, eux refusent toujours de signer. Voilà pourquoi, pour les cruels eurocrates de la Commission, il était urgent d'inscrire dans l'Accord de Coopération et de développement entre l’union européenne et l’Afrique du Sud que les négociations commerciales sont toutes suspendues à la conclusion d'un de ces maudits accords  de partenariat économique global.

Comment quelqu'un comme Madame Joly a-t-il pu en arriver à la conclusion qu'il fallait approuver un tel chantage? Retenez votre souffle: la phrase d'explication fait dix lignes! " Votre rapporteure suggère, au vu de ce qui précède, que la commission du développement recommande au Parlement d'approuver la conclusion de l'accord et souhaite que les nouvelles dispositions de l'accord liées au développement ainsi que les nouvelles coopérations qu'il prévoit soient pleinement appliquées et fassent l'objet, dans la phase de mise en œuvre de l'accord, d'un suivi attentif à la lumière de l'article 208 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, c'est-à-dire dans le respect des objectifs de l'Union en termes de coopération au développement, objectifs dont l'Union doit tenir compte dans la mise en œuvre de toutes ses politiques susceptibles d'affecter les pays en développement, le principal de ces objectifs étant la réduction et, à terme, l'éradication de la pauvreté." On se demande bien comment, en signant un accord qui oblige à ouvrir toutes grandes les frontières, l'Afrique du Sud pourrait « éradiquer » la pauvreté. Madame Joly ne s'est visiblement pas posé la question au moment de nous appeler à voter « pour » avec elle. J’ai donc voté contre. Mais mon voisin communiste portugais s’est abstenu, faisant valoir que « malgré tout » il s’agit de l’Afrique du sud ! Et je lui ai dit que pour moi c’était une raison supplémentaire de voter « contre » par fidèle affection pour ce pays.

Ces Verts ont d’étranges idées ces temps ci. J’avais lu ce papier de Gérald Andrieu dans « Marianne 2 » à propos de José Bové signant une déclaration écrite avec un grave extrême nationaliste bulgare du parti ATAKA. Je n’avais pas été étonné de constater que ce concierge de Quatremer n’en avait soufflé mot car je sais que ses indignations sont à géométrie variable. N’avait-il pas déjà tu soigneusement la spectaculaire embrassade du président du groupe de la droite européenne, l’UMP français Joseph Dauhl avec le « néo-populiste » hongrois Victor Orban qui persécute la liberté de la presse et des citoyens de son pays? Cette fois-ci je découvre que vient au vote un texte que signent Europe écologie avec la droite, les nationalistes les libéraux et les sociaux-démocrates à propos de la « stratégie pour 2020 » de cette chère « Europe qui nous protège ». Il s’agit d’une de ces verbeuses « résolution » avec lesquelles ce parlement perd son temps puisqu’elles n’ont aucune valeur législative. Cette « stratégie Europe 2020 » c’est le titre du document qui prend la suite de la fumeuse  « stratégie de Lisbonne 2000 », de pitoyable mémoire, que Lionel Jospin fit l’erreur de signer aux côtés de Jacques Chirac. Ce nouveau document est juste une surenchère dans les orientations du précédent texte. Son objectif est seulement d’imposer davantage d’austérité et l’approfondissement du contrôle de l'Union sur les Etats membres. En effet « la stratégie de Lisbonne » a été un échec. Aucun des objectifs fixés n’a été atteint en matière de déploiement de la supposée « économie de l’intelligence » et autres sornettes de cet acabit qui faisaient tout le chic verbeux du document. Avec « Europe 2020 » recommencent les phrases creuses sur la croissance "intelligente, durable et inclusive" et « l’économie sociale de marché durable". Mais je sais lire la nov-langue européenne. Une phrase peut vouloir dire le contraire de ce qu’elle annonce. C’est le cas ici. Le texte se donne des airs de combattre les difficultés. Mais en le faisant il avalise la situation insupportable qu’il dénonce. Ainsi quand il affirme vouloir remonter le taux d'emploi à « au moins 75 % ». Merci pour le taux de chômage à 25 %. Ou lorsqu’il « réaffirme les objectifs de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique » inférieurs aux prescriptions admises par le GIEC ! Ou encore quand il propose de « réduire le taux de pauvreté de 25 % » ce qui laisse quand même 75 % de ce dernier et sans jamais dire pour autant comment les premiers 20 millions de personnes seraient arrachés à la pauvreté ! On voit le genre de document. Bien dans le style hypocrite de la maison.
Peu importe, en fait, pour ceux qui l’ont écrit ce que dit et promet ce document. Ce qui compte c’est que s’imposent les moyens proposés pour arriver à ses objectifs. Il s’agit de renforcer le contrôle de l'Union Européenne sur les Etats membres, au mépris de la souveraineté populaire. Ainsi quand il est affirmé que « les Etats membres adoptent des objectifs nationaux » avant de préciser qu’ils « sont validés par la Commission ». Le « semestre européen », ce processus de vérification préalable des budgets nationaux par la Commission est la concrétisation de cette formule. Ou bien,  quand la « la stratégie Europe 2020 » pose comme préalable à toute croissance une réduction des déficits. On trouve là l’origine de l'obligation des plans d'austérité.

Que propose la résolution commune d’Europe Ecologie, de la droite, des nationalistes et des socialistes ? De belles et bonnes choses, nobles et dignes. Bien sûr. Mais dans le fouillis des bonnes intentions, la droite a inscrit ses mantras fondamentaux et les autres ont signé. Et d’abord un acte d’allégeance. C’est ainsi que la résolution commence en "considérant que la stratégie Europe 2020 devrait aider l'Europe à sortir renforcée de la crise". Dans un style néo brejnévien enthousiaste, elle n’hésite pas à enfoncer le clou hardiment : « les mesures prévues par la stratégie "Europe 2020" sont d'une importance capitale pour la concrétisation des espoirs que nourrissent les citoyens européens". Hurrah ! Et après cela on trouve encore pire. Ainsi quand il est asséné que "l'examen annuel de la croissance et le cadre du semestre européen sont des outils essentiels à une meilleure coordination des politiques économiques". La croissance et le contrôle a priori des budgets nationaux par les grands prêtres du libéralisme comme modèle pour des écolos et des socialistes ! Bigre ! Mais que dire ensuite quand on lit qu’ils souhaitent ensemble "réaliser le marché intérieur de l'énergie, améliorer la sécurité des approvisionnements et atteindre nos objectifs en matière d'énergie et de climat", parmi lesquels le marché carbone, qui n’est pas cité. Le plus nul, si c’est possible, c’est l’aval donné à l’impérialisme maintenant ordinaire de l’Union européenne. Le texte claironne en effet vouloir "la mise en place d'une stratégie européenne efficace dans le secteur des matières premières, afin d'améliorer leur accessibilité et l'utilisation efficace de l'énergie et des ressources, tout en garantissant l'approvisionnement en matières premières essentielles à travers le développement d'accords de libre-échange et de partenariats stratégiques". Fermez le ban. En une phrase l’écologie politique et le socialisme ont mis les pouces.
Cette façon de rédiger et de voter des textes entre chiens et chats, eau et feu, est le moyen par lequel est produit une sorte de « doxa européenne » partagée et énoncée ensuite comme évidente, sur le style « nous savons tous que » ou bien « nous le disons tous ».

Le détail de la séance


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