Il y a eu des élections en Belgique et les séparatistes flamands les ont gagnées. Comme l’a dit leur dirigeant, il s’agit d’un processus « d’évaporation » de la Belgique. Cet homme fait le gentil. Il a gagné mais il propose aux autres de prendre le poste de premier ministre. On se demande pourquoi. Les socialistes se disent prêts à gouverner avec ces flamands séparatistes très très à droite. Rien ne peux plus surprendre de leur part ! En Slovaquie, ils ont gouverné avec l’extrême droite. En Israël aussi !
J’ai déjà dit ici même ce que je pensais de cette affaire de Belgique. Evidemment il faut inscrire notre action dans le cadre d’un respect intransigeant des frontières. Il ne peut pas y avoir d’exception à cette règle. Pas à cause des Belges mais à cause des Allemands, des Hongrois et de quelques autres qui ne se sont jamais vraiment accommodés de certaines frontières. Inutile de créer des précédents. Mais que se passe-il si les Flamands font « s’évaporer » la Belgique ? C’est cela qui peut nous concerner. Les Flamands ont déjà bien rassemblé en un tout cohérent les institutions loufoques de ce royaume de circonstance. Je dis de circonstance parce que je n’oublie jamais que ce royaume fut inventé par les Anglais pour tenir les Français à distance des ports trop proches de leur île. Bref, pendant ce temps les Wallons, se sont dispersés. Leurs chefs sont infestés d’hyper fédéralisme micro local à la sauce des balivernes bien connues sur ce thème. Cinq ou six niveaux d’institutions se superposent, suintant comme un puits de pétrole dans le golfe du Mexique un clientélisme infect. Le reste suit : école, mutuelles, assurances, hôpitaux tout est réparti entre soi et communautarisé à mort et de pallier en étage remonte dans la main des partis politiques, nouvelles tribus qui s’entretiennent à coup d’allégeances clientélaires davantage que de n’importe quoi d’autre qui ait seulement l’apparence d’une idéologie. On a compris que je suis un « rattachiste », comme on dit. Si les Flamands s’en vont, si la Belgique « s’évapore », alors que les Wallons viennent avec nous. Ce serait la conclusion d’une pente prise il y a des siècles et maintenue sans désemparer dans les sentiments populaires des Wallons comme des Français. Mais ces sentiments affectueux ne me font pas perdre de vue ce qui est l’essentiel à ce moment précis.
La balkanisation à laquelle pousse le modèle européen commence donc en Belgique. Pour moi ce n’est pas un cas isolé ni une exception en Europe. La dynamique interne à l’union européenne pousse à cet émiettement des Etats nations qui n’est que la forme territoriale de la concurrence généralisée. Le bon échelon subsidiaire pour ce modèle, c’est la grosse région, le land, la province d’ancien régime. Naturellement la résistance du matériau national est d’autant plus faible que la nation est récente ou que son unité est fragile historiquement. Dans la liste des fragilités il y avait en premier lieu les états multinationaux. Du type Tchécoslovaquie. La partition a été quasi immédiate. Vient la Belgique. A venir ensuite, l’Italie, créé en 1860 et tenaillée par le séparatisme de la Ligue du nord, l’Espagne, déjà profondément clivée par les autonomies de Catalogne, Pays basque et ainsi de suite, puis aussi le Royaume pas si uni que ça des Anglais, des Ecossais et ainsi de suite. Ce qui se passe en Belgique est un symptôme de la régression européenne. Pas une singularité. Ou bien on peut dire que c’est la forme singulière d’un processus général. Il est invariant d’échelle. Dans la logique du « plus de marché, moins d’Etat », la concurrence des territoires est la règle, dans les nations et entre elles. Ne vous moquez donc pas de l’affaire belge, suivez là comme on surveille un thermomètre.
La question du fractionnement des Etats est devenue universelle, d’ailleurs. Sous les coups de boutoirs de la concurrence généralisée, dès qu’un avantage en nature se constate quelque part « le territoire » affiche une volonté d’autonomisation croissante pour bénéficier seul de l’avantage. Vous avez remarqué ? Je mets des guillemets à « territoire » ! C’est naturellement parce que je parle de la population qui s’y trouve et davantage encore de l’invention par ses élites d’une identité « territoriale » spécifique. Il y en a toujours une disponible en remontant s’il le faut jusqu’aux branches si différentes des arbres dans lesquels se perchaient nos ancêtres simiesques ! Le mot « territoire » est devenu une euphémisation des vocables identitaires et ethnicistes. Ceux-là sentent trop le maurassien qui sommeille dans chaque apologiste des « territoires » et autre « terre qui ne ment pas ». Pour cette raison même ceux-là sont aussi d’ardents européistes fanatiques du principe augustinien de « subsidiarité » que la démocratie chrétienne a réussi à faire passer du droit canon de l’église à la novlangue européenne sans que personne ne s’en rende compte. Bien sûr, la « concurrence des territoires » est le vecteur délicieux d’une naturalisation, en quelque sorte, de la concurrence libre et non faussée.
Mais c’est aussi une stratégie de contrôle lourdement pratiquée par l’empire nord-américain pour balkaniser ceux qu’il affronte. Il y a toujours un kosovar de service pour faire office de tireur dans le dos. En Amérique latine, la CIA souffle sur les braises et nourrit les portefeuilles des plus extravagants indépendantismes micro locaux. C’est une caractéristique universelle. Du Tibet à la Bolivie, l’empire défend de malheureuses minorités opprimées qui ont pour commune caractéristique d’être tout à fait conformes à la théorie du « choc des civilisations », d’être donc des champions du « nous et eux » que décrit Samuel Huntington, et surtout de menacer de l’intérieur un ennemi de l’empire.