Depuis plusieurs jours «les marchés financiers défient les Etats» selon le titre du journal "les Echos". En effet. Pour l’instant, la Grèce, l’Espagne et le Portugal sont sous le feu. Cet assaut peut tourner au désastre général. Ou au désastre localisé. Mais il y aura désastre. Désastre social à coup sûr si les remèdes de cheval que les libéraux de la Commission et les autres chiens gardes demandent aux grecs sont appliqués. Peut-être alors ce pays, ou bien l’Espagne, ou bien le Portugal sera le premier à entrer dans le scénario latino-américain du bug qui déclenche l’avalanche. Notons qu’il s’agit de trois gouvernements sociaux-démocrates. Les trois sont mis en demeure de faire subir une saignée à leur peuple. Comme cela s’est passé au Venezuela, en Argentine, en Bolivie et autres contrées tellement exotiques. Examinons un point de détail à présent. Qui sont ces « marchés ». Les banques. Un point c’est tout. C’est elles qui exigent des taux insupportables. Les banques, hier sauvées par les Etats viennent aujourd’hui les assaillir. Les banques, sauvées par les contribuables viennent les saigner ! En Europe la situation est particulièrement croquignolesque. Car les banques ont été renflouées par les Etats et gorgées par la Banque centrale elle-même. Voyons.
MAMIE LA BANQUE
La BCE a multiplié les initiatives pour refinancer les banques dans des conditions extrêmement avantageuses, sans imposer de contreparties pour limiter la spéculation et les risques. On voit la reconnaissance ! Ces facilités ont artificiellement gorgé les marchés financiers de liquidités. La BCE a ainsi fourni pour plus de 800 milliards de liquidités en 2009 contre 450 milliards en 2007. Combien de ces milliards sont devenues des munitions qui sont aujourd’hui tirées contre les Etats ? Résultat, le bilan de la BCE s’est envolé grâce aux volumes des prêts consentis et des actifs pris en pension. Ce bilan c’était 1 200 milliards d’actifs en 2007 et 1 500 milliards en 2008. En 2009 il dépasse les 2000 milliards et se maintient autour de 1800 milliards début 2010. Cette somme c’est 16 % du PIB de la zone euro. Et La Grèce ? 3% de la zone euro ! Compris ?
DES CADEAUX ENCORE ET ENCORE
Voyons le détail de ces bontés faites aux banques. Je commence par le plus technique et je finis par le plus croustillant et le plus honteux. La BCE a accepté depuis octobre 2008, de recevoir des actifs de plus en plus risqués en garanties des prêts qu’elle fait aux banques. Ca s’appelle les opérations de prises en pensions. Elle accepte désormais les actifs notés BBB-, alors qu’elle n’acceptait pas de garanties en dessous de A- jusqu’alors. Courrez pour obtenir de déposer votre voiture d’occasion en garantie d’emprunts ! Ce n’est pas tout. La BCE a offert aux banques des nouvelles possibilités de financement « non conventionnelles ». On va retrouver les Grecs au bout de ce fusil là. La BCE a élargi ses offres de financement des banques au-delà du court terme qui est pourtant l’essentiel de sa mission de refinancement. Elle a ouvert des lignes illimitées et à taux fixe, à 3 mois, à 6 mois et même à 1 an. Le tout aux conditions de refinancement de court terme : 1 % ! Une aubaine pour les banques qui ont ainsi pu reprendre à plein régime leurs jeux sur les marchés financiers. Ces prêts longs ont en effet obtenu un énorme succès : 1 120 banques bénéficiaires, plus de 600 milliards pour les 3 adjudications successives de juin, septembre et décembre 2009. Dont 442 milliards rien que pour celle de juin, la plus importante opération de refinancement jamais effectuée par la BCE en une seule fois ! Et comme quand on aime on ne compte pas, elle a accepté d’acheter aux banques des titres de dettes pour 60 milliards, pour soutenir leurs émissions obligataires sur les marchés. Vous aussi éditez des titres et proposez-les à votre banque ! Une fois qu’elle vous aura acheté ça courez avec vos sous les mettre en garantie d’emprunt pour une somme multipliée par dix. C’est ça qu’on fait les banques. Mais pas vous, bien sûr.
LES BOULES
Et maintenant le cœur de l’affaire. Celle qui met les boules par terre comme on le dit si efficacement ! La BCE a baissé ses taux directeurs à un niveau très très bas. Elle a ainsi rendue les liquidités quasi gratuites pour les banques. Ainsi le taux principal (dit Refi) est passé de 4,25 % à l’été 2008 à 1 % depuis mai 2009. Il est inchangé à 1 % en janvier 2010. Qui ne rêverait d’un taux à 1% pour faire ses achats ! Rêve ! Car du côté des banques, les taux d’intérêt aux particuliers ont certes baissé mais sans commune mesure. Elles encaissent évidemment l’essentiel de la différence. Et c’est beaucoup, beaucoup d’argent. Alors que les banques françaises se refinancent à 1 % contre 4,25 % à l’été 2008, voyons comment ont évolué les taux qu’elles pratiquent, selon la Banque de France. Taux moyen sur découverts ménages : passé de 11 % à l’été 2008 à 10 % fin 2009 ! Dans l’intervalle la banque a bénéficié de trois points et demi d’économie. Total : elle vous en prend deux et demi de plus ! Voyons le taux moyen des crédits aux ménages. Ils passent de 6 % à l’été 2008 à 5 % fin 2009. Même calcul simple. Il y a pire. Les taux de crédit « revolving » subis par les ménages modestes. Ils sont à 18 % ! Premier facteur de surendettement ! Christine Lagarde a refusé toute suppression de cette sorte de crédit revolving proposée par amendement à l’Assemblée nationale. Pourtant le surendettement des ménages a progressé de 17 % en 2009. Lagarde veut maintenir le crédit revolving, car selon elle c’est un moteur décisif de la consommation : « 40 % des achats par correspondance à la Redoute ou aux Trois Suisses se font par crédit revolving. Ce sont des milliers d’emplois à la clef ».
Et les entreprises ?
Ces chères entreprises et leurs emplois au nom desquels sont infligés tous les tourments, que sont elles réellement devenues ? Taux moyen des crédits aux entreprises : passé de 5,5 % à l’été 2008 à 3 % fin 2009. Là où la banque mangeait un point et demi, elle en mange deux à présent. Sympath, non ? Pour autant le zèle n’a guère été de mise. Fin 2008, les banques françaises s’étaient engagées de manière informelle avec le gouvernement à permettre une progression des crédits entre 3 et 4 % en 2009. Nicolas Sarkozy avait fait de beaux mouvements de mentons ! Résultat ? Source Banque de France : l'encours du crédit a baissé de 0,9 % pour les entreprises en 2009 (moins 14 % pour les seuls crédits de trésorerie). Voila les faits. L’encours du crédit aux entreprises a atteint en décembre 2009 son plus bas niveau depuis mai 2005. Les banques françaises ont donc utilisé les aides publiques pour investir sur les marchés financiers plutôt que pour financer l’économie. Les grecs disent merci. Et, en vue d’une nouvelle réunion à Bercy le 10 février 2010, les banques ont déjà prévenu qu’elles refuseraient pour 2010 tout nouvel engagement chiffré avec le gouvernement. Pour ce qu'elles ont fait du précédent "engagement!" Pendant ce temps l’incroyable monsieur Trichet déclare : « nous n’accepterons pas qu’il y ait des restrictions au niveau de l’offre de crédit ». Sur ! C’est Sarkozy qui va déguster si jamais tonton Trichet se rend compte de ce qui se passe en France !