La manifestation du 30 Septembre pour un référendum sur le traité Merkozy et contre l’austérité a été un immense succès. Je tiens ici tout particulièrement à remercier les camarades de la GUE/NGL et du Parti de la Gauche Européenne d’avoir fait le trajet jusqu’à Paris pour se joindre à la manifestation. 14 personnalités (députés européens, parlementaires nationaux et membre de la direction du PGE) issues de 8 pays différents étaient là. Merci à elles ! Elle sont la preuve que ce combat est un combat pour tous les européens contre l’Europe austéritaire qu’on veut nous imposer.
Nous avons annoncé 80 000 personnes. Mais peut-être y en avait-il davantage. En fait le cortège avait une longueur de 4 km et demi et il s'est écoulé pendant trois heures. L'ordre des délégations n'a pas été tout à fait respecté compte tenu du temps qu'il fallait attendre avant de démarrer. Nombre n'ont pas eu la patience ou la possibilité d’attendre. Ils ont donc quitté la place de la Nation pour rattraper par les trottoirs le cortège qui avançait. Pour autant, en gros, on voyait bien, à travers l'organisation, le contenu de la manifestation. De cette façon on peut dire que ce cortège était en lui-même un message plein de subtilités. Après le carré des féministes venaient les régions et parmi elles les départements. Ensuite les syndicats, pour l’essentiel Sud, des branches syndicales et unions régionales et locales de la CGT, et, bien sûr, la FSU d’une façon très significative. Ces cortèges ont été spécialement examinés de près par les observateurs de la vie syndicale. Leur densité, leur composition, les dirigeants qui ont incorporé leurs rangs, tout avait un sens. Après les syndicats venaient les organisations politiques. Certaines comme le Front de Gauche ou le POI avaient fait le choix d'une double présence dans les cortèges départementaux et en fin de manifestation. Bien sûr, le Front de Gauche était présent partout par ses drapeaux et ceux des organisations qui le composent, absolument partout, dans tous les cortèges, sur les trottoirs et même sur les balcons le long du trajet ! Cet amalgame était décidé de longue main. Notre intention au départ n’était pas d’avoir un cortège distinct. L’idée était de donner à voir une mobilisation populaire globale donc mélangée, sans appropriation particulière du mouvement. La consigne fut d’autant mieux répercutée que les camarades ont compris vite et bien comment le lobby politico-médiatique travaillaient à personnaliser ou à approprier la manifestation au Front de Gauche comme une manière d’envenimer les rapports et de rabougrir la mobilisation. Dans cet objectif, de mon côté j’ai donc décidé de ne donner aucune interview, aucun duplex, en début de manifestation ou en fin de cortège.
Reste que l’ampleur de l’événement doit être bien mesurée. Non seulement pour la satisfaction de l’effort récompensé de milliers de gens dans le pays, faisant toutes sortes de sacrifices pour être là. Mais par le contenu de ce qui s’est passé. N’en sortons pas. Commençons par noter qu'il s'agit de la première manifestation de rue contre un traité européen en France ! Ce fait n’ayant jamais été mentionné dans les commentaires je crois devoir le souligner parce que c’est au plan large de l’histoire un marqueur en France. Dans la presse étrangère, notamment anglo-saxonne et sud-américaine, c’est pourtant le fait qui aura été noté comme marquant. En même temps d’ailleurs que les photos grand angle soulignant l’ampleur du cortège dont aucune n’a été publiée en France à part dans « L’Humanité ». De mon côté c’est ce que j’ai d’abord commencé par dire en début de manifestation : « De ce jour commence l’entrée en action du peuple français contre l’Europe de l’austérité » et j’ai souligné qu’il y avait deux Europe qui se constituaient, face à face : celle des gouvernements et des banquiers et celle de la solidarité sociale contre l’austérité. Et c’est bien ce que je crois à propos de cette manifestation : c’est un commencement.
Et, dès lors, je veux souligner un deuxième fait : c’est la gauche qui organise la première manifestation contre cette Europe. Pas l’extrême-droite nationaliste comme en rêvaient tous ceux qui ont fait la courte échelle à madame Le Pen pour la remettre dans le jeu de cette partie. Ceux-là n’ont pas encore compris que madame Le Pen se tait à dessein. Le but de madame Le Pen est de réorganiser la droite autour d’elle. Pas de servir la soupe aux marioles qui veulent l’instrumentaliser pour leurs propres comédies. Ceux-là vivent encore dans leur petit monde où demain c’est hier qui continue sous le même soleil. Pourtant comme ils en ont rêvé de pouvoir flétrir tous les opposants en les rangeant sous la même bannière nauséabonde. Pschitt ! C’est raté. Donc c’est de gauche que part le signal du rejet de l’Europe libérale et de l’action organisée contre elle. Sans être dupe de l’effacement du Front National dans cette circonstance où nous avons pris la main, marquons le point pour mieux nous en assurer la prise.
Autre fait et non des moindres. La manifestation de ce 30 septembre est un fait sans précédent dans le contexte d'un nouveau gouvernement à direction socialiste. Surtout alors que celui-ci s'installe après 10 années de droite. Le stock d’indulgences est déjà épuisé ! Bien sûr la morgue d’un Jean-Marc Ayrault et l’indolence de François Hollande leur font ignorer la réalité de la rupture que leur comportement aggrave. Mais sur le fond, c’est bien d’une rupture dont il est question si l’on entend la parole venue des rangs des manifestants ainsi qu’en témoignent maints propos entendus et rapportés. Elle fonctionne à proportion de la tentative faite par le couple exécutif pour nier le problème posé par le traité européen, pour en camoufler le sens, pour intimider les opposants à l’intérieur de leurs rangs et à l’extérieur. Elle se répand à mesure que l’on observe les signaux venus du plus haut niveau du PS qui rejoignent nos dires. Successivement Claude Bartolone, Harlem Désir, et même Jean-Christophe Cambadélis ont eux aussi souligné l’absurdité de la règle des 3% de déficit. Dans le même temps Jean-Marc Ayrault devait avouer à la tribune de l’Assemblée qu’il avait menti et que le traité est bien le même que celui signé par Nicolas Sarkozy. Pour les roués et les blasés cet aveu n’est rien. Pour un citoyen ordinaire qui croit à la sincérité des propos publics, même quand il ne les partage pas, c’est consternant.
J'estime donc qu'un nouveau tempo est ainsi donné. Pensez-y bien. La leçon essentielle que nous avons tirée du bilan du passé est que, quelle que soit la qualité du gouvernement de gauche, et à plus forte raison quand il s'agit d'un gouvernement social-libéral comme aujourd'hui, aucune avancée n’est possible sans intervention et implication populaire. Précisons pour être bien complet. Il y a même pire : sans implication populaire la conscience collective de gauche régresse et la résignation en est le prix. En ce sens le succès de la manifestation sur un enjeu politique aussi élevé et complexe que le refus d'un traité européen inaugure une nouvelle saison des consciences dans l'histoire de la gauche. La fin des illusions et des indulgences sur le nouveau pouvoir peut se traduire par une impulsion positive et conquérante et non dans la résignation où le changement de camp. J’observe que le message est reçu en haut lieu où l’on affecte en apparence de nous ignorer. « Le Monde » rapporte cette remarque que je vous livre telle quelle : « En privé, le chef de l’Etat se dit en effet très préoccupé par ce qu’il appelle le fractionnement de la société française. Selon lui la gauche de la gauche est en train de changer de nature : d’aiguillon de la social-démocratie, elle est en passe de se considérer comme une véritable alternative à celle-ci.» Le tableau est campé, en effet.
Je me fais encore une remarque. Le succès de la manifestation a montré une disponibilité et une capacité militante à se mobiliser qui est tout compte fait très large. Mais compte tenu des difficultés que nous avons rencontrées, celles qui tiennent au coût des transports, à la difficulté de propager la consigne dans un délai si bref, au matraquage hostile ou sournois auquel nous avons été soumis, j'en déduis que notre potentiel est bien plus large que ce qui a pu être mis en mouvement ce jour-là. Ce point n’est pas secondaire pour moi, quand il me faut réfléchir à la suite des événements que nous aurons à mettre en mouvement. Bien sûr la forme de la présence du Front de Gauche n’a pas à être toujours la même. Il ne doit pas non plus se substituer à l’existence autonome des partis qui le constituent. Mais surtout il y a une intelligence des situations à avoir. Le mois de la discussion budgétaire concentre l’attention sur les assemblées parlementaires. Nos groupes vont avoir un rôle très particulier et ils vont être très regardés. En effet, « en l’état », comme l’ont déjà dit Pierre Laurent, Christian Picquet et la plupart des dirigeants du Front de Gauche qui se sont exprimés, le budget ne peut recevoir notre appui. Je pense que dans les prochains jours chaque composante du Front de Gauche se sera exprimée. La formule « en l’état » signifie que nous sommes respectueux du débat. Nous partons de l’hypothèse qu’il doit servir à quelque chose. Mais cela ne signifie pas que nous ayons des illusions. J’invite vraiment à ne pas négliger cette étape du débat parlementaire. C’est lui qui va mettre en valeur les arguments contradictoires et les logiques opposées, budget par budget. Car ce temps va être celui où des dizaines de milliers de syndicalistes, de militants associatifs et de personnes qui suivent les séances vont savoir à quoi s’en tenir avec précision. La majorité alternative de gauche va mûrir dans les consciences qui la feront naître à cette occasion. N’oublions pas que notre tâche est d’homogénéiser ces prises de consciences positivement. Nombre de cadres intermédiaires de la gauche n’ont pas encore compris ou admis la nature du budget et de la politique qui est appliquée. C’est à travers le débat budgétaire qu’ils vont comprendre et recevoir le choc. Dans la période il me semble que notre travail est d’expliquer en profondeur et de soutenir de toutes nos forces les luttes car elles sont aujourd’hui le creuset où s’amalgament les conditions de ce que nous appelons de façon un peu jargonnante « l’alternative à gauche ».
J’ai bien observé les freins que notre travail a dû surmonter. On peut dire que jusqu'à la dernière minute tout aura été tenté pour bloquer notre mouvement. Je ne suis pas dupe par exemple de l'extrême personnalisation à laquelle se sont livrés les commentateurs les plus malveillants pour réduire l'événement à une sorte de manifestations de soutien à ma personne. La page deux du « Monde » au sujet de mes prétendus « réseaux » n’a pas d’autre sens. La palme de la perversité comme d'habitude revient à « Libération », que son soutien au Parti socialiste, certes mal vécu par la rédaction, n'empêche pas de pilonner d'une façon constante le Front de Gauche. Evidemment tout commence par situer mon action dans le cadre mental qui obsède le rédacteur lui-même, celui de la névrose habituelle du petit bourgeois par peur du déclassement. J’agis « pour exister », cela va de soi et pas parce que j’ai des raisons rationnelles de le faire. Mais il y a mieux cette fois-ci. C'est ainsi que Lilian Alemagna prétend avoir rencontré des députés socialistes qui se seraient apprêtés à voter non à l'assemblée mais qui ne le feront pas pour ne pas être assimilés à moi ! Tordu mais si typique de « Libé » à notre sujet ! Rigolade ! Évidemment comme toujours dans ce genre de cas ce sont des « anonymes » qui s'expriment. Anonyme est le nom des ragots et des inventions de cette sorte de journalisme. Car pourquoi quelqu'un qui aurait une telle position politique refuserait-il qu'on le nomme ? Quel serait le risque ? Ne jouirait-il pas plutôt à la fois des compliments de Jean-Marc Ayrault et de la compréhension des partisans du « non » un peu mous du genou ? On peut donc parler ici d’une pure invention. J’invite d’ailleurs mes lecteurs à tenir en complète méfiance les journalistes qui ont recours à ces citations de soit-disant « anonymes » qui sont si souvent cités à charge contre nous. Le mal voulu est double : d’une part faire circuler de pures affabulations, d’autre part laisser entendre qu’il y aurait un risque à nous critiquer. Lequel ?
Puis l'ébranlement se fit. La place ne se vidait plus aussi vite qu'elle se remplissait. Ce fut pour moi un tel soulagement de constater que ce serait un immense succès. Pourtant France Info commença par débiter en boucle le chiffre déprimant de 15 000 personnes. Aussitôt jaillirent de leur terrier les haineux professionnels qui, sans être présents sur place, avaient cependant un avis réjoui. Ainsi ce pauvre diable de Jean-Michel Aphatie qui twitta la jubilation aux lèvres : « 15 000 personnes, jours d'échec pour le front de gauche ». Les répliques qui se diffusèrent aussitôt débordaient de l'humour des vainqueurs que nous étions déjà. Bien sûr, sur cette base, le lendemain, je ne pouvais donc pas accepter l'invitation qui m'était faite d'aller au « Grand Journal ». Je m’y serais pourtant rendu volontiers pour commenter cette journée et parler de la situation à Florange comme on me le proposait. Mais j’étais certain que Jean-Michel Aphatie se serait livré à une nouvelle provocation de ce genre. Tant pis. L'ambiance médiatique me suggère cependant une observation. La presse écrite parisienne n'a pas pu se détacher de son rapport polémique traditionnel avec moi. C’est le revers d’une promiscuité subie et sans fin depuis deux ou trois ans et d’un manque de professionnalisme de tous ceux qui créent des relations passionnelles avec moi. Cet effet personnel s’ajoute à l’engagement politique des personnes concernées ou de celle de leur journal. Mais ce n’est pas la seule réalité médiatique de cette circonstance.
Car la presse régionale quotidienne s'est située sur un tout autre terrain, plus factuel. Plutôt dans le registre de la presse internationale. Tous les éditorialistes ont enregistré ce fait qu’il s'agissait d'un événement politique d'un genre nouveau dans de telles circonstances. Tous ont relevé que la résurgence de l'opposition entre le oui et le non à propos du traité européen isolait la nouvelle équipe gouvernementale et les principaux dirigeants socialistes. Cela ne signifie pas que les commentaires aient été d’une quelconque façon en notre faveur ou qu’ils m’aient été personnellement favorables. Au contraire. Mais ce ne fut pas au détriment des faits. Ni de la capacité par leurs lecteurs d’en prendre connaissance.