jan 13 17

imper1Le jeudi est traditionnellement la journée où les votes sont consacrés aux affaires étrangères et au commerce international au Parlement européen. Ce jeudi, nous avions notamment au programme un accord de libre échange avec l'Iraq (et qu'on ne vienne pas me dire que c'est un accord principalement pour aider à reconstruire l'Etat de droit là-bas, j'ai calculé le nombre de pages consacrées à la démocratie et aux droits de l'homme, 4, et le nombre de celles qui étaient consacrées au libre échange, 62), une dénonciation du protectionnisme des gouvernements progressistes latino-américains et l'"accord intérimaire établissant le cadre d'un accord de partenariat économique entre l'UE et certains des États d'Afrique orientale et australe".

Vous retrouverez des éclaircissements sur l'accord UE-Iraq et sur la résolution sur les relations UE-Mercosur dans les notes que je publie mensuellement sur ce blog. Mais je tenais à vous informer en détail de ce que l'UE impose aux peuples des pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) en général et spécifiquement dans le cas présent aux peuples d'Afrique orientale et australe. Les méthodes et la teneur de cet impérialisme européen à peine déguisé méritent d'être connues. Sachez que le Parlement européen a majoritairement approuvé cet accord.

Où il est question des Accords de Partenariat Economiques (APE)

Les APE sont prévus dans l'accord de Cotonou ("accord de partenariat entre les membres du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part").
Les pays "ACP" ayant ratifié cet accord sont au nombre de 79.

Il s'agit d'accords de libre échange renforcés globaux et oblige notamment à établir 7 zones de libre échange avec 7 grandes régions africaines.
Au moins 80 % des marchés des grandes régions concernées seraient ouverts à l'Europe et le marché européen leur serait ouvert à 100%.

Les pays ACP n’y gagneraient en fait rien car le marché européen leur est déjà ouvert à 97 %.

En revanche, ils perdraient une partie importante de leurs droits de douane ce qui les conduiraient à des crises budgétaires majeures et à une dépendance accrue vis-à-vis de la dette.

Autre inconvénient, l’afflux de produits agricoles européens à bas prix risque de déstabiliser toute l’agriculture vivrière de ces pays. Avec un chômage rural massif à la clef.

La seule alternative serait alors pour ces pays de s’orienter vers des monocultures d’exportation, à l’image du Brésil avec le soja. Mais cela entraînerait des déséquilibres écologiques majeurs et les rendrait encore plus dépendants des fluctuations des marchés mondiaux.

Les pressions exercées par la Commission pour contraindre les pays ACP à signer des APE

imper2Face à la résistance de certains pays, la Commission a préféré contourner les organisations régionales et faire pression sur les Etats les plus faibles ou les plus dépendants pour qu'ils commencent à signer.
Ce forcing a précipité certaines organisations régionales dans la crise, comme par exemple l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) dont le fonctionnement est complètement perturbé par la décision unilatérale de la Côté d'Ivoire de signer un APE intérimaire alors que le reste de l'UEMOA refuse.

La Commission n'a pas hésité non plus à faire du chantage à l'aide au développement et au rétablissement de droits de douanes côté européen pour contraindre des pays à signer.
Par exemple, en Afrique australe l'UE a retiré à l'organisation régionale SADC (Communauté de développement des Etats du Sud de l'Afrique) la gestion de l'aide européenne pour la distribuer individuellement à chaque Etat membre, ce qui a permis de contraindre 7 des 15 Etats membres de la SADC à signer des accords de partenariat intérimaires.

L'UE a même décidé 'exclure les Etats n'ayant pas ratifié un APE du bénéfice des préférences commerciales:
-Le 20 Décembre 2007, l'UE adoptait le règlement (CE) n° 1528/2007. Il fixait les conditions auxquelles un des 79 Etats ACP signataires de l'accord de Cotonou pouvait bénéficier de l'application provisoire et anticipée des préférences commerciales prévues dans les APE (ouverture à 100% du marché de l'UE).
-La condition principale était la ratification et l'application conforme d'un APE. Le règlement stipulait donc que le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, pouvait retirer à une région ou un État le bénéfice de ces préférences commerciales
(4) si la région ou l'État concerné fait part de son intention de ne pas ratifier un APE
(5) si la ratification d'un APE n'est pas intervenue dans un délai raisonnable, de sorte que l'entrée en vigueur de l'accord est indûment retardée
(6) si l'accord est résilié ou si la région ou l'État concerné met fin à ses droits et obligations découlant de l'accord, alors même que celui-ci est en vigueur.

Or à ce jour:

-Ont conclu des négociations, mais n’ont pas signé leurs accords respectifs:
la République du Burundi, l’Union des Comores, la République du Ghana, la République du Kenya, la République de Namibie, la République du Rwanda, la République unie de Tanzanie, la République d’Ouganda et la République de Zambie.

-Ont signé, mais n’ont pas pris les mesures nécessaires en vue de la ratification de leurs accords respectifs:
la République du Botswana, la République du Cameroun, la République de Côte d’Ivoire, la République des Fidji, la République d’Haïti, le Royaume du Lesotho, la République du Mozambique, le Royaume du Swaziland et la République du Zimbabwe

Exemple de réussite des pressions: l'APE UE-Cariforum (dit "APE complet" par opposition aux APE intérimaires)
Les pressions exercées par la Commission lui ont permis d'aboutir fin 2008 à la signature du premier APE complet avec 15 des 16 Etats membres du Cariforum (tous sauf Cuba). Cet accord est présenté comme un laboratoire à transposer dans les autres zones géographiques.

Cet accord va plus loin que les règles actuelles de l'OMC et met en œuvre les thèmes de Singapour bloqués à l'OMC depuis 1996.
Il comprend ainsi notamment:

-la libéralisation du commerce des marchandises et des services (bancaires et financiers, touristiques, mais aussi l'éducation, la santé…)
-l'ouverture du marché Cariforum à l'UE à 60% sur 10ans, 82% sur 15 ans et jusqu'à 90% sur 25 ans avec interdiction d'augmenter à nouveau les barrières douanières ensuite
-la libéralisation des mouvements de capitaux
-des clauses de protection des investissements étrangers
-le respect de la concurrence libre et non faussée
-un soutien financier européen de 165 millions d'euros pour la mise en place de l'APE

Les APE intérimaires, c'est quoi?

Un APE intérimaire c'est

• un accord qui ne porte que sur la libéralisation des marchandises
• qui "est appliqué de façon provisoire en attendant son entrée en vigueur"
• en préambule duquel il est précisé qu'il s'agit de mettre en place une zone de libre échange
• et qui comprend une "clause de rendez-vous pour la poursuite des négociations en vue d'un APE complet"

Qui sont les Etats d'Afrique orientale et australe?

Les d'Afrique orientale et australe sont réunis au sein du Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA) depuis 1984.

imper3Ses membres sont:
-L'Angola
-Le Burundi
-Les Comores
-La République démocratique du Congo
-Djibouti
-L'Égypte
-L'Érythrée
-L'Éthiopie
-Le Kenya
-La Libye
-Madagascar
-Le Malawi
-Maurice
-Le Rwanda
-Les Seychelles
-Le Soudan
-Le Soudan du Sud
-Le Swaziland
-L'Ouganda
-La Zambie
-Le Zimbabwe

L'Union européenne n'est pas parvenue à conclure un APE avec cet ensemble.

Elle en a donc conclu

-avec une partie des Etats dits AfOA (Afrique Orientale et Australe) d'une part (les Seychelles, la Zambie, le Zimbabwe, Maurice les Comores et Madagascar)

-et avec les Etats de la CAE (Communauté d'Afrique de l'Est) d'autre part (Le Burundi, le Kenya, la Tanzanie, le Rwanda et l’Ouganda)

-Les pays de la région AfOA n’ayant pas signé d’accord intérimaire n'ont plus exportent désormais sous le régime tout sauf les armes (TSA) depuis le 1er janvier 2008 grâce à leurs statuts de pays moins avancé (PMA). Il s'agit de Djibouti, l'Érythrée, l’Ethiopie, le Malawi et le Soudan (et désormais le Soudan Sud).

En cela, elle participe à la casse des intégrations régionales africaines déjà difficiles…

Le contenu des Accord intérimaire UE - États d'Afrique orientale et australe

imper4Un "accord intérimaire établissant le cadre d'un APE" a été conclu

-le le 28 novembre 2007 pour les Seychelles, la Zambie et le Zimbabwe
-le 4 décembre 2007 pour Maurice et les Comores
-le 11 décembre 2007 pour Madagascar

Il est entré en vigueur en Mai 2012
C'est la spécificité de ce type d'accord: ils entrent en vigueur sans l'aval des parlementaires…

  • Les objectifs de l'accord intérimaire

a) établir un accord compatible avec l'article XXIV de l'accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994 (ci-après dénommé "GATT de 1994");
b) établir le cadre, la portée et les principes de nouvelles négociations sur le commerce des marchandises, notamment les règles d'origine, les instruments de défense commerciale, la coopération douanière et la facilitation des échanges, les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), les obstacles techniques au commerce et l'agriculture, sur la base des propositions déjà présentées
c) établir le cadre et la portée d'éventuelles négociations sur d'autres questions, notamment le commerce des services, les questions liées aux échanges, telles qu'elles sont identifiées dans l'accord de Cotonou, et tout autre domaine présentant un intérêt pour les deux parties."

  • Le contenu de l'accord

C'est principalement un accord visant à la libre circulation des marchandises: réduction et élimination progressive des droits de douanes via un "calendrier de démantèlement tarifaire" et interdiction des restrictions quantitatives (sauf exceptions). Ces mesures sont définitives. Elles n'interdisent pas les subventions

Il vise en outre
"l'établissement d'une politique et de règles commerciales afin d'aider les États AfOA à participer plus efficacement aux négociations commerciales et à mettre en œuvre, entre autres, les conventions internationales, la législation et les réformes réglementaires liées aux échanges"
-et au développement du secteur privé, principalement à créer un environnement favorable aux investissements

En chiffre:

-Les Seychelles et Maurice vont supprimer plus de 97,5 % des droits de douane qu'ils appliquent aux importations européennes d'ici 2022
-Le Zimbabwe, Madagascar et les Comores vont supprimer 80 % des droits de douane qu'il applique aux importations européennes d'ici 2022

Les biens exclus de l'accord:
-Comores:
le poisson, les boissons, les produits chimiques, les véhicules
-Madagascar: la viande, le poisson, les produits d'origine animale, les légumes, les céréales, les boissons, le plastique et le caoutchouc, les articles en cuir et les fourrures, le papier, les métaux
-Maurice: la viande, les produits comestibles d'origine animale, les graisses, les préparations comestibles et les boissons, les produits chimiques, les articles en plastique et en caoutchouc, les peaux en cuir et les fourrures, le fer, l'acier ainsi que l'électronique de grande consommation
-Seychelles: la viande, les produits de la pêche, les boissons, le tabac, les articles en cuir, le verre, la céramique, les véhicules
-Zimbabwe: les produits d'origine animale, les céréales, les boissons, le papier, le plastique et le caoutchouc, les textiles et l'habillement, les chaussures, le verre et la céramique, l'électronique, les véhicules

Il contient aussi et surtout la fameuse "clause de rendez-vous":
"
Sur la base de l'accord de Cotonou et compte tenu des progrès réalisés dans les négociations d'un APE complet, les parties conviennent de poursuivre les négociations conformément à l'article 3 en vue de conclure un APE complet couvrant les domaines suivants:
a) le régime douanier et la facilitation des échanges;
b) les questions en suspens concernant les échanges et l'accès aux marchés, y compris les règles d'origine et d'autres questions connexes, ainsi que les mesures de défense commerciale, notamment concernant les régions ultrapériphériques;
c) les obstacles techniques au commerce et les mesures sanitaires et phytosanitaires;
d) le commerce de services;
e) les questions liées au commerce, à savoir:
i) la politique de la concurrence,
ii) les investissements et le développement du secteur privé,
iii) le commerce, l'environnement et le développement durable,
iv) les droits de propriété intellectuelle,
v) la transparence dans les marchés publics;
f) l'agriculture;
g) les paiements courants et les mouvements de capitaux;
h) les questions de développement;
i) la coopération et le dialogue sur la bonne gouvernance dans le domaine fiscal et judiciaire;
j) la création d'un mécanisme détaillé de règlement des différends et l'adoption de dispositions institutionnelles;
k) tout autre domaine que les parties jugent nécessaire, y compris les consultations entreprises en vertu de l'article 12 de l'accord de Cotonou."

A noter:
Même la commission économique des Nations Unies pour l'Afrique (UNECA) soutient que les accords de partenariat économique tels que conçus par la Commission européenne sont de nature à détériorer la qualité de vie, à compromettre l'intégration régionale et à entraver les efforts d'industrialisation déployés par les Etats africains
.

Que propose le Conseil?

Il donne approbation à l'accord.

Que propose le rapport Caspary?

Il donne lui aussi son approbation à l'accord.

Je suis intervenu en séance au sujet de ce rapport:

"Ce rapport approuve l'accord intérimaire établissant le cadre d'un accord de partenariat économique entre l'UE et certains des États d'Afrique orientale et australe. Il avalise donc le chantage exercé sur les Etats d'Afrique orientale et australe qui n'ont pas accepté cet accord. Il avalise aussi la "clause de rendez-vous" contraignant les Etats signataires à signer un accord de libre-échange complet avec l'UE dans les années à venir. Je dénonce le pillage organisé des pays de l'Afrique orientale et australe que cet accord organise. Je refuse de cautionner la misère et la dépendance à laquelle il condamne les populations de cette région du monde. L'effondrement de l'Etat malien et ses conséquences devraient être une alerte suffisante. Mais les idéologues aveuglés du marché libre n'en ont cure. Je vote contre."


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