Le Parlement européen à la loupe
Le Parlement européen n'est pas un Parlement
Un Parlement c'est :
1) Un lieu de débat
Ce n’est pas le cas du Parlement européen :
- Les temps de parole sont très limités (une minute contre 5 minutes en moyenne à l'Assemblée Nationale française), en théorie (la pratique est moindre) les députés disposent au maximum de 30 minutes de temps de parole annuel en plénière.
- Les délais de traductions n'étant pas toujours respectés, les députés sont amenés à se prononcer sur des rapports indisponible dans leur langue (en anglais uniquement) ce qui limite d'autant leurs possibilités de débats ou d'amendements.
- Les débats sont déconnectés des votes. Aussi, l'hémicycle est invariablement vide lors des débats et se remplit uniquement pour voter à la chaîne à « l'heure des votes ».
- Le Parlement européen, c’est le règne de l'informel via les trilogues, c’est à dire les discussions informelles entre des membres de la Commission, du Parlement, et du Conseil, afin d'aboutir à un compromis négocié en coulisses qui transforme l'assemblée plénière en chambre d'enregistrement.
2) Un lieu de représentation des citoyens
Elle est à géométrie variable au Parlement européen ; seul organe élu dans les institutions de l'UE, la représentation des citoyens européens y est pourtant inégale :
- Les délégations nationales sont déséquilibrées. Le nombre de députés par pays n'est pas fonction du poids démographique de sa population mais suit le principe de « la proportionnalité dégressive », c'est à dire le résultat d'un marchandage inter-gouvernemental prenant en compte le poids subjectif du pays, en veillant à assurer une représentation minimale des États les moins peuplés. Ainsi, au prorata démographique, l'Allemagne a plus de députés que la France, tandis que Malte a huit fois plus d'élus par habitant que la moyenne des 28.
- Le traité sur l'Union Européenne prévoit que « les membres du Parlement sont élus au suffrage universel, libre et direct pour un mandat de 5 ans ». Au delà de ces dispositions communes, les règles électorales sont spécifiques aux États.
- Le seuil minimal de voix pour obtenir un siège diffère selon pays (3% en Grèce, 5% en France, aucun seuil pour d'autres).
- La taille et le nombre de circonscriptions électorales varient d'une circonscription unique pour la majorité des États à un découpage en circonscriptions (France, Belgique) qui a pour effet de lisser les conséquences de la proportionnelle au profit des partis dominants.
- Le degré de liberté dans le choix des candidats varie également entre des listes bloquées (France), des votes préférentiels (Suède) ou des votes transférables (Irlande)
- Par respect pour les traditions nationales le vote a même lieu à des jours différents (jeudi, vendredi, samedi ou dimanche) !
Les faux pouvoirs du Parlement européen
Théoriquement, le Parlement européen dispose de 5 pouvoirs :
1) Pouvoir de délibération
2) Pouvoir législatif
3) Pouvoir budgétaire
4) Pouvoir de nomination
5) Pouvoir de contrôle
⁃ Les résolutions (22% des textes votés lors de la législature 2009-2014). Elles peuvent être proposées par une commission, 40 députés ou un groupe politique. Même si la Commission est censée en tenir compte (sans obligation de sa part), les résolutions sont non législatives et donc sans portée juridique. Ce sont au plus des prises de position du Parlement qui restent sans conséquence. De plus, au moment du vote, le texte final est le plus souvent un texte de compromis résultant de négociations informelles entre les différents groupes politiques, permettant ainsi au Parlement de trouver un accord et de voter des résolutions… vidées de leurs substance.
⁃ Les déclarations écrites. Non mentionnées dans l'accord-cadre régissant les relations entre le Parlement et la Commission, les déclarations écrites sont déposées par un à cinq députés, dans le but de récolter un maximum de signatures. Si la majorité du Parlement est atteinte, la déclaration est transmise aux institutions visées… sans assurance de réponse.
⁃ Les rapports « d'initiative » (23 % des textes soumis au Parlement). Ils n'ont aucune valeur législative. Ils sont établis par une commission parlementaire compétente, avec l'autorisation de la conférence des présidents. Il s'agit pour le Parlement de demander à la Commission de soumettre une proposition législative appropriée. Il peut en même temps fixer un délai pour la présentation de cette proposition. Mais la Commission a toute latitude pour accepter ou refuser de la reprendre…
A noter : 70% des textes votés en 2009-2014 n'avaient pas de portée législative
Les députés n'ont pas le pouvoir d'initiative législative ! Les textes à portée législative qui lui sont soumis proviennent de la Commission et les pouvoirs du Parlement à leur sujet sont limités :
Dans la procédure législative ordinaire :
- En première lecture : les députés ont toute latitude pour amender, approuver ou rejeter le texte.
- En deuxième lecture : le rejet se fait à la majorité absolue des membres composant le Parlement (384 membres sur 766).
- En troisième lecture : pas d'amendement possible à ce stade.
Dans la procédure d'approbation : les députés ne peuvent pas déposer d'amendements.
Dans la procédure de consultation : les députés peuvent amender, approuver ou rejeter le texte mais le Conseil n'est pas tenu de suivre l'avis du Parlement.
Rédaction de rapport : les députés peuvent s'impliquer dans la rédaction d'un rapport sous réserve que les coordinateurs de la commission saisie sur le fond leur en attribuent.
Règles d'attribution des rapports
Les rapports sont attribués aux députés en commission parlementaire selon le nombre de points dont disposent leur groupe. Ces points sont fonction de l’importance numérique du groupe considéré. De ce fait, les députés des groupes numériquement importants ont plus de rapports. En moyenne 0,4 rapport par député PPE ou S&D (les deux plus grands groupes du Parlement) contre 0,2 pour les députés ALDE sur la législature 2004-2009.
De plus, 3 règles d'attribution sont utilisées selon les commissions :
- Simple : tous les rapports valent le même nombre de points.
- Hiérarchisée : la valeur (en points) des rapports varie selon leur importance politique.
- Par un système d'enchère entre les groupes.
Par exemple, dans la Commission des Affaires étrangères (AFET), le groupe de la GUE s'est vu attribuer 1 seul rapport sur la législature 2009-2014. Il n'a pas été jusqu'au vote en plénière faute de consensus à son sujet.
Projet de budget :
Le projet de budget est à l'initiative de la Commission, qui le transmet au Conseil et au Parlement. Le budget n'est adopté que si le Parlement ne s'y oppose pas (majorité qualifiée), c'est à dire qu'il l'approuve (majorité simple) ou qu'il ne rend pas d'avis.
Cadre financier pluriannuel :
Le Parlement n'est pas associé à la définition du cadre financier pluriannuel (CFP). Il est juste amené à le valider via la procédure d'approbation. Aucune des exigences budgétaires formulées par le Parlement dans ses cinq résolutions sur le sujet depuis 2011 n'a été satisfaite. Ainsi, le budget n'a pas bougé d'un centime, malgré la résolution de juillet 2013 dans laquelle le Parlement affirmait que « le volume total du prochain CFP, tel qu'il a été décidé par le Conseil européen, reste en-deçà des objectifs politiques de l'Union européenne et de la nécessité d'assurer le succès de la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020 » et que « ce niveau de ressources n'est pas suffisant pour doter l'Union européenne des moyens nécessaires pour se rétablir de la crise actuelle d'une manière coordonnée et en ressortir renforcée »
Budgets rectificatifs :
En septembre 2013, le Parlement a été amené à voter sur différents projets de budgets rectificatifs. Une rallonge de 11,2 milliards dans le budget 2013 de l’UE a donc été octroyée. Cette rallonge est censée couvrir l’ensemble des paiements en retard sur la programmation budgétaire 2007-2013. Mais, ces retards s'élevant à plus de 16 milliards d’euros, le budget rectificatif n'y suffira pas. Pourtant, dans la même session, le Parlement a validé la proposition du Conseil d’affecter au budget 2013 un excédent de plus d’un milliard d’euros résultant de l’exécution du budget 2012. Il est absurde que l’Union ait dégagé un tel excédent budgétaire en 2012, alors même qu'il reste des impayés… Le Parlement ne peut que constater les errements budgétaires de la Commission et du Conseil.
Le Parlement ne dispose d'aucun contrôle sur les recettes du budget, c'est à dire aucune autonomie financière réelle !
Commission :
- Le président de la Commission est proposé par le Conseil européen, qui tient compte des résultats des élections au Parlement européen. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité qualifiée. Dans les faits, l'accord technique entre le PPE et le S&D assure l’élection du candidat proposé en échange d'un soutien pour la présidence du Parlement.
- Le Haut représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, qui est vice-président de la Commission, est nommé par le Conseil européen.
- Le président, le Haut représentant de l'Union pour les Affaires étrangères et les autres membres de la Commission sont soumis, en tant que collège, à un vote d’approbation du Parlement européen. Ce vote en tant que collège empêche toute participation du Parlement au choix des commissaires, malgré les procédures d'audition individuelle mises en place. C'est ce qui a permis le « choix » de Catherine Ashton comme Haute représentante de l'Union pour les Affaires étrangères alors que, dans le même temps, elle était fortement attaquée sur ses compétences par les députés l'ayant auditionnée.
Cour des comptes :
Le Parlement procède à un vote à la majorité simple sur les membres de la Cour des comptes proposés par le Conseil. Mais l'avis du Parlement est purement consultatif : libre au Conseil de ne pas en tenir compte… ce qui a été le cas lors de votes négatifs du Parlement !
Banque Centrale Européenne :
Le Parlement procède à un vote à la majorité simple sur les membres du directoire de la Banque Centrale Européenne sur recommandation du Conseil. Là encore, l'avis du Parlement est purement consultatif et la décision finale revient aux chefs de gouvernements des États membres.
Médiateur européen :
Le Médiateur européen a pour tâche de renforcer les droits des citoyens européens en leur servant d’intermédiaire avec les autorités européennes. Il est ainsi habilité à recevoir les plaintes contre la mauvaise administration des institutions, organes ou organismes de l’Union. Ses capacités et ses pouvoirs restent cependant bien maigres face au coup de force permanent de la Commission européenne contre les peuples. Il est élu par le Parlement à la majorité simple, représentant ainsi une goutte d’eau démocratique dans l’océan européen de l’opacité et de l’oligarchie.
1.Contrôle aux fins d'information :
Questions écrites et orales :
Les députés peuvent questionner la Commission, qui s'est engagée à répondre dans un délais de six semaines (trois pour les questions prioritaires). Dans les faits, les délais sont plus longs et certaines questions restent sans réponses.
Rapports transmis par les autres institutions :
Initialement, seul le rapport annuel de la Commission était transmis au Parlement. Aujourd'hui, nous constatons une inflation du nombre de rapports transmis au Parlement : rapport de la Cour des Comptes, rapport de la présidence du Conseil, rapport annuel du Conseil européen sur les avancées de l'UE… La multiplication des rapports et le manque de moyens empêche le Parlement d'analyser ces rapports, diminuant d'autant son contrôle réel.
Pétitions :
La possibilité de soumettre une pétition au Parlement européen existe depuis 1953. La pratique s'est régulièrement accrue pour devenir un vecteur classique de contact entre le Parlement et les électeurs. 1655 pétitions ont été reçues en 2010. Si la commission des pétitions dispose d'une grande liberté sur les suites à donner aux pétitions reçues (élaboration de rapports, saisie des commissions compétentes sur le fond, auditions, missions d'information), dans les faits, les conséquences se limitent souvent à une communication du Parlement sur le sujet.
Commissions temporaires et commissions d'enquête :
- Le Parlement peut créer des commissions temporaires (d’une durée d’un an) sur des sujets spécifiques (par exemple, en 2006 : le réchauffement climatique). Si elles permettent d'approfondir les connaissances du Parlement sur un sujet, elles n'ont que peu de conséquences, aboutissant au mieux à la rédaction de rapport d'initiative.
- Les commissions d'enquête (par exemple sur la « vache folle » en 1996) sont obligatoirement conclues par un rapport qui donne lieu au vote d'une résolution (prise de position sans conséquences législative) en session plénière.
2.Contrôle aux fins de sanctions :
La décharge budgétaire :
La décharge est le contrôle final du budget pour une année donnée. Après l'audit et la finalisation des comptes annuels, il revient au Conseil d'émettre une recommandation et au Parlement de décider de donner ou non décharge à la Commission pour l'exécution du budget de l'Union pour l'exercice écoulé. La décharge constitue donc le volet politique du contrôle externe de l’exécution budgétaire. La Commission exécute le budget sous le contrôle « théorique » du Conseil et du Parlement. Le Parlement vote la décharge budgétaire, qui valide les comptes de l'année précédente. Le Parlement a refusé de voter cette décharge pour les budgets 2009, 2010 et 2011. En effet de nombreuses zones d'ombres demeuraient dans les budgets présentés. Le Parlement réclame encore en vain que les rapports annuels d'activité contiennent un tableau d'ensemble de toutes les ressources humaines, ventilées par catégorie, grade, sexe, nationalité et formation professionnelle… Les quelques attributions budgétaires du Parlement étant régulièrement piétinées par le Conseil et la Commission, les refus de décharges n'ont été suivis d'aucun effet.
La motion de censure :
Les traités accordent au Parlement le droit de censurer la Commission en tant que collège (à la majorité des deux tiers des votes exprimés et à la majorité des membres qui composent le Parlement). Elle est peu utilisée (12 fois depuis 1972) et aucune motion n'a jamais atteint la majorité requise. La censure reste donc une arme dissuasive difficile à utiliser, et à laquelle le Parlement a peu d’intérêt, n'ayant aucune influence sur le choix des nouveaux commissaires.