Article d'Arnaud Leparmentier paru dans Le Monde du 12 juin 2013

Mélenchon, ce bon eurodéputé

Mélenchon, ce bon eurodéputéNous avions soigneusement préparé notre pichenette, celle qui devait déstabiliser Jean-Luc Mélenchon, en lui reprochant, dimanche 9 juin sur France Inter, de n'être guère assidu au Parlement européen. "Les chiffres sont faux", répond le leader du Front de gauche, avant de mettre en cause notre Européen préféré : "J'ai un collègue jaloux qui s'appelle Daniel Cohn-Bendit qui raconte des conneries sur moi à longueur de journée." Nous voilà empêtré dans une querelle de chiffres, tandis que Mélenchon assure: "Je suis un bon et efficace député européen. Il n'y a que moi qui fais des campagnes permanentes pour expliquer ce qu'il se passe au niveau européen."

Réflexion faite, Mélenchon n'a pas tort. Sans relâche, il combat l'Europe, peste contre l'austérité, dénonce les ravages de l'euro, fustige la Banque centrale européenne. LE député européen, c'est lui. Peu importe qu'il ne fiche rien de très sérieux au Parlement de Strasbourg : à un an des élections européennes, le héraut du Front de gauche a compris que le débat n'avait pas lieu à l'intérieur de l'Hémicycle – "ce Parlement n'est pas un Parlement, tout le monde le sait" – ou dans les conciliabules bruxellois avec la Commission et le Conseil. Non, la confrontation européenne a lieu sur les estrades, entre les tribuns et les populations désarçonnées par l'échec que l'on espère provisoire de l'Union européenne. L'Europe politique, pour l'instant, c'est Mélenchon qui la fait et espère bien la défaire.

Pour la première fois, les élections européennes pourraient ne pas servir d'exutoire contre les gouvernements en place mais contre l'Europe elle-même. En France, Mélenchon compte faire son one-man-show, tandis que Marine Le Pen espère que le Front national sortira du scrutin avec le titre de premier parti de France.

Pour les optimistes, voici un combat qui permettra peut-être de faire sortir les électeurs de leur apathie (57 % d'abstention en 2009). En réalité, il y a danger pour nos amis europhiles, qui partent à l'élection la fleur au fusil. Tel l'eurodéputé UMP Alain Lamassoure, ils voient dans l'élection l'occasion de "politiser" l'Europe et de la rapprocher des citoyens. Ils s'appuient sur une demi-phrase du traité de Lisbonne (2007), appliqué pour la première fois, qui dispose que les chefs d'Etat et de gouvernement proposeront un nom pour présider la Commission "en tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées". Les eurodéputés se sont empressés de lire trop vite les textes. Ils en concluent qu'ils vont inverser le rapport de force et imposer leur choix.

Ainsi, chaque grand parti compte faire la course en désignant par avance son champion. L'affaire est bien partie, du côté des sociaux-démocrates, qui ont pour candidat autodésigné l'actuel président du Parlement, l'Allemand Martin Schulz. Du côté des conservateurs, la chancelière Angela Merkel a bien tenté de pousser le premier ministre polonais, Donald Tusk, mais celui-ci ne veut pas sortir du bois sans garantie de succès. Du coup, le commissaire français Michel Barnier, vétéran des affaires européennes, s'y verrait bien et pourrait porter les couleurs conservatrices. Le match Schulz-Barnier, voilà un duel d'initiés qui va réconcilier les citoyens avec l'Europe, mettre à terre les antieuropéens de tous poils et intimider les gouvernements. "Si les partis politiques s'organisent, le Conseil européen sera comme la reine d'Angleterre et n'aura de choix que de désigner le chef du parti arrivé en tête", se réjouit Lamassoure.

Le grand mythe de la politisation

Ce joyeux scénario commet une première impasse, celle où les électeurs ne voteraient pas comme attendu. "C'est du cinéma, reconnaît Cohn-Bendit. Aucun parti n'aura la majorité absolue." Lamassoure en déduit pudiquement : "Dans ce cas, le Conseil européen reprend la main et devient comme le président de la République italienne, qui nomme qui il veut." Seconde impasse, les élections allemandes. Nul ne croit outre-Rhin à une victoire de la gauche, qui permettrait de renouer avec les mirages de l'Europe rose. Soit Merkel remporte le scrutin du 22 septembre, et elle mettra sans doute son veto à la nomination de M. Schulz à la Commission. Soit elle forme une grande coalition avec les sociaux-démocrates, et l'accord de gouvernement précise que M. Schulz portera les couleurs germaniques. Le scrutin de mai 2014, soudain, se transformera en une affaire allemande.

Cette hypothétique politisation, qui permettrait à l'Europe de jouer à la nation, poserait de nombreux problèmes : imagine-t-on une Commission d'un bord politique imposer des économies au premier ministre d'un pays d'une autre couleur ? Nous avons eu un avant-goût des dangers d'une Commission politisée, en observant, au début des années 2000, les bisbilles entre le président du conseil italien Silvio Berlusconi et son compatriote, le président de la Commission Romano Prodi (centre gauche). On attend avec impatience les combats Merkel-Schulz ou Barnier-Hollande.

Ce grand mythe de la politisation est un cache-sexe pour les socialistes français, qui font mine de gommer leurs divisions en prétendant faire front contre l'Europe de droite de Merkel. Depuis un an, ils emmènent avec eux les gouvernements du Sud : celui de l'Italien Mario Monti (droite libérale), de l'Espagnol Mariano Rajoy (vraie droite), du Grec Antonis Samaras (droite aussi), du Portugais Pedro Passos Coelho (droite, même s'il s'appelle social-démocrate). On en rit encore : les socialistes français confondent l'axe gauche-droite avec l'axe Nord-Sud.

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