La directive Services, ex-directive Bolkestein, est une directive de libéralisation des services au nom du marché unique et de ses principes d'organisation (liberté d'établissement et de prestation de services et concurrence libre et non faussée). Elle découle tant de l'Accord général sur le Commerce des Services de l'OMC (1994) que de la Stratégie de Lisbonne (2000).
Bien que certains services publics aient finalement été exclus du champ de la directive (services d'intérêt généraux définis par les Etats, santé, protection sociale, sécurité, services sociaux), certains secteurs de service public sont potentiellement concernés notamment l'éducation et la culture: les secteurs privés existant en leur sein. D'autres services publics clés sont concernés par cette directive : poste, énergie, eau, déchets à l'exclusion des transports.
Concrètement cette directive va conduire à limiter l'intervention de l'Etat et les réglementations considérées comme des entraves à la concurrence dans les secteurs concernés : les procédures d'autorisation ou de déclaration imposées à des professionnels vont être allégées voire supprimées.
Par exemple la directive oblige les Etats à faire sauter des clauses d'exclusivité, de spécialisation ou de compétence imposées dans certains domaines (pour être agent de voyage par exemple, mais aussi pour être actionnaire d'une société d'exercice libérale – comme les société d'avocats, de conseils juridiques etc).
Cela va ouvrir de nouveaux secteurs à la financiarisation (aujourd'hui bloquée par les clauses professionnelles) et réduire globalement les exigences imposées aux professionnels et donc les protections des usagers.
En fortifiant les acteurs marchands, cela va aussi accroître la pression pour l'ouverture à la concurrence dans les secteurs en situation de monopole partielle, notamment l'éducation où les opérateurs privés vont pouvoir se renforcer dans le secteur déjà marchand (formation professionnelle notamment).
• Bref historique d'une forfaiture
-Mars 2000. Le Conseil européen demande à la Commission de concevoir une directive visant à supprimer les obstacles à la libre circulation des services et à la liberté d'établissement des prestataires de services.
L'idée qui sous-tend la directive est la vieille rengaine libérale selon laquelle si on encourage l'activité économique transfrontière dans les services tout en dynamisant la concurrence, on améliore l'innovation et la qualité et on fait baisser les prix pour les consommateurs.
> Libre circulation : principe d'élimination des obstacles à la circulation des services au sein du marché intérieur notamment par le biais de simplifications administratives
> Libre établissement : principe de non discrimination nationale à l'établissement d'un prestataire de service européen
-13 Janvier 2004. La Commission adopte la proposition de " directive relative aux services dans le marché intérieur " de Frits Bolkestein (libéral néerlandais), alors commissaire au marché intérieur.
Le texte, tel que proposé par Monsieur Bolkestein, prônait :
-la mise en place de " guichets uniques " auxquels les prestataires pourraient de s'adresser pour toutes les démarches concernant leur activité
-la libéralisation de tous les services
-et le " principe du pays d'origine " avec le nivellement par le bas du droit du travail, déjà mis en danger par les délocalisations, qu'un tel principe supposait.
-16 Février 2006. Le Parlement européen adopte à 394 voix pour, 215 voix contre et 33 abstentions le rapport de Mme Evelyne GEBHARDT (SD) sur la directive relative aux services dans le marché intérieur.
Ce rapport revient sur plusieurs des propositions de la Commission, notamment en ce qui concerne le " principe du pays d'origine " et le champ d'application de la directive sur les services d'intérêt général.
La directive services après le vote du Parlement européen, c'est donc:
Une injonction libérale à la concurrence entre services
-Dès le deuxième paragraphe de l'exposé des motifs, le ton est donné : " Il est impératif d'avoir un marché des services concurrentiel pour favoriser la croissance économique et la création d'emplois dans l'Union européenne ", et de répéter le credo libéral selon lequel un marché des services où règne la concurrence libre et non faussée " offrirait un plus grand choix et de meilleurs services, à des prix plus bas, aux consommateurs ".
-Le but ultime poursuivi par l'UE européenne est quant à lui rappelé au quatrième paragraphe de ce même exposé des motifs : " faire de l'Union européenne l'économie fondée sur la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici 2010 ", et d'insister sur " l'amélioration quantitative et qualitative de l'emploi " que cela supposerait.
Un petit pas en arrière suite à la levée de bouclier contre le " principe du pays d'origine " mais aucune garantie réelle
-La directive reformulée apporte en divers endroits des semblants de garantie quant au droit du travail. L'emploi du conditionnel y est toujours la règle. On nous assure ainsi au paragraphe 81 de l'exposé des motifs que " les dispositions de la présente directive ne devraient pas faire obstacle à l'application par un État membre de règles en matière de conditions d'emploi ".
Mais on s'empresse aussitôt de nous spécifier que ces règles devront " ne pas être discriminatoires " et " respecter les autres dispositions communautaires applicables "
Un champ d'application potentiellement très large :
D'après son article 2, la directive s'applique en effet aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre.
L'article 4 définit la notion de " service " comme toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération. Quant au " prestataire ", il s'agit de toute personne physique ressortissante d'un État membre, ou toute personne morale visée à l'article 48 du traité et établie dans un État membre, qui offre ou fournit un service.
Des dérogations partielles pour les services publics :
Exemples de services exclus du champ d'application de la directive selon ce rapport :
les services d'intérêt général tels que définis par les États membres ; les services sociaux; les soins de santé; les agences de travail intérimaire ; les services de sécurité ; tous les services de transports; les services ayant trait à la banque, au crédit, à l'assurance, aux retraites professionnelles ou individuelles, aux investissements et aux paiements
Cependant, voyez plutôt ces exemples de service maintenus dans le champ d'application de la directive selon ce rapport:
-services postaux, la distribution d'électricité, de gaz, d'eau, le traitement des déchets
NB : Ces services sont couverts par la directive mais la règle de la libre prestation de services ne s'y applique pas (seule celle du libre établissement s'applique… la belle affaire…).
-les services liés à l'éducation, les services culturels y compris les services des sociétés de gestion collective des droits de propriété intellectuelle ; services de loisir, centres sportifs et parcs d'attraction.
Quant à la notion de " raisons impérieuses d'intérêt général "
(Notion développée à plusieurs reprises dans le texte pour permettre d'éventuelles limites à la libéralisation)
On nous explique au paragraphe 40 de l'exposé des motifs qu'elle " est susceptible d'évoluer encore ".
Pour rappel:
-A l'époque, le PPE avait 268 députés, la ALDE 88, le PSE (devenu SD depuis) 200, les Verts 42 et la GUE/NGL 41…
-Sans surprise le PPE a voté pour
-Le PSE avait massivement contribué à l'adoption de cette directive libérale :
137 eurodéputés PSE ont voté pour, dont le président du PSE Poul Nyrup Rasmussen et le président du groupe Martin Schulz.
Seuls les députés PSE français avaient voté contre, à l'exception notable de Michel Rocard qui avait voté pour.
-Les députés Verts/ALE ont voté contre
-Les libéraux de la ALDE ont voté pour (y compris Marielle de Sarnez).
-Le 4 Avril 2006. La Commission rend une proposition de directive modifiée dans laquelle elle inclut les modifications votées par le Parlement européen ainsi que la nécessité de la mise en place d'un " système électronique opérationnel permettant aux autorités d'échanger des informations directement et efficacement " et d'un " mécanisme d'alerte " en cas de " risque pour la santé ou la sécurité des personnes ".
-Le 24 Juillet 2006. Le Conseil approuve la proposition modifiée de la Commission sans y apporter de modifications notables.
-Le 15 Novembre 2006. Le Parlement européen adopte à la majorité en deuxième lecture la proposition de la Commission avalisée par le Conseil (" position commune " dans le jargon européen). Il n'avait alors plus aucune possibilité d'amendements.
-Le 28 Décembre 2006. La directive entrait en vigueur.