oct 09 16

 

Jeudi matin dernier il y avait du sport au parlement européen à Bruxelles. L’orage s’accumulait depuis la veille. Au propre et au figuré. La nuit précédente nous avons eu un « vrai tonnerre de Brest avec des cris de putois », comme le chante Brassens. Mais auparavant dans l’enceinte du parlement il y avait déjà de l’électricité dans l’air. Mercredi, la droite a essayé de faire retirer de l’ordre du jour une motion sur la liberté de la presse en Italie. Mais c’est cette proposition qui a été battue. Les libéraux ont voté avec la gauche. Donc le lendemain matin le débat a eu lieu. J’avais cinq minutes de retard en séance mais je ne suis pas sur d’avoir manqué grand-chose. La commissaire européenne, que je connais bien pour l’avoir fréquentée quand elle s’occupait d’éducation, fait des gammes de bulles de savon sur le thème de la liberté de la presse en général et du droit des Nations à en disposer elles mêmes et selon leur législation. N’était le sujet, ça me ferait bien rire de voir tous ces donneurs de leçons, qui se sont répandus en injures contre Chavez pour le non renouvellement d’une licence de télé voyou, se draper dans leur indignation sélective pour défendre le monopole de Berlusconi. La vérité est quand même que leur abaissement moral me réjouit. Vérité ici, mensonge là. C’est si grossier ! Leurs turlupinades me renforcent dans mon implacable hostilité à leur système, leur comédie, leurs jérémiades sur les droits de l’homme bafoués partout ou leurs armées, leurs hommes d’affaires et leurs griots tendent les pattes impatientes.

BERLUSCONI EST BIEN DEFENDU
En attendant j’ai vu la droite de toute l’Europe, français en tête, en rang serré autour du drapeau de Berlusconi. Une ligne argumentaire simple : le parlement européen n’a pas à s’exprimer sur un sujet qui concerne l’Italie et les italiens. Facile. Mais on se demande alors pourquoi existe l’Europe si elle ne se mêle pas de ce que font ses membres, en ce qui concerne les droits fondamentaux avec lesquels elle se gargarise à longueur d’année. Et pourquoi l’Europe se mêlerait de la liberté de la presse dans des pays lointains si elle n’en dit rien sur son propre sol. De l’autre côté, depuis nos rangs et ceux des sociaux démocrates on plaide que des principes universels sont en cause. Et on en apprend de belles, au fil des interventions sur les méthodes de la bande à Berlusconi. Patrick Le Hyaric par exemple, a fait un point étendu sur les poursuites judiciaires engagées par Berlusconi contre les journaux et journalistes, en Italie et même ailleurs, jusqu’en France. On voit même les libéraux monter en ligne contre la concentration des médias et le système Berlusconi. L’un d’entre eux se fait aussitôt traiter de communiste par un orateur de droite. « Osez dire que vous n’êtes pas communiste» lui lance l’excité ! Tous protestent que la commission ne fait aucune proposition contre la concentration de la presse. La réplique de l’assemblée au néant de la Commission est que personne n’a écouté la réponse de madame la commissaire qui s’est égosillée dans une ambiance de marché aux puces. En fait, il y a des plats qu’on ne goûte pas deux fois. Mon fichu fil de casque de traduction crachouillait affreusement. J’ai donc manqué pas mal de subtilités de cette sorte, j’en suis certain. Mais, souvent, le son de la voix me suffisait. Sans oublier les gestes.

TRAGI COMEDIE
La grosse colère des élus de droite et d’extrême droite italienne avait une délicieuse apparence de tragi-comédie à la Fellini, cinéaste dont je suis très raffolé.. Côté droite, on a beaucoup raillé les indignations de la «gauche caviar». Puis on a cité beaucoup le président de la République italienne comme un refrain. En effet celui-ci a affirmé que le parlement européen n’a pas de compétence sur le sujet. Et puis, comme c’est un ancien communiste, donc c’est censé nous faire mal. Mais on a aussi cité une interview de Cohn Bendit. Pour lui Berlusconi n’est pas un dictateur. Pour lui, c’est tout simplement le centre gauche qui a perdu les élections et rien d’autre. Wee ! Avec de tels amis plus besoin d’ennemis ! Mais ça sent quand même la citation truquée hors contexte. Les italiens sont très excités et crient beaucoup. Parfois on ne comprend pas l’allusion qui est faites par l’un ni pourquoi les autres italiens hurlent. L’un d’entre eux nous crie longuement des injures en répétant le mot cinq ou six fois. Il est tout rouge de colère et somme toute plutôt grassouillet et postillonnant. Sa cravate est radicalement nulle. Mais où diable veut-il ne venir ? Mon casque crachouille une bouillie sonore inaudible. Tant pis le visuel me renseigne suffisamment. Et en plus il siège avec les nationalistes anglais. A un autre moment, je vois que d’autres nationalités sur les bancs de droite s’associent aux hurlements et crient «honte à toi», quand une députée italienne évoque je ne sais quel «massacre» nié par les berlusconiens. Ces gens sont impayables. La violence de leurs réactions sur ce sujet et leur morne indifférence à propos du Honduras est un contraste si violent ! Je parle du Honduras parce que le parlement européen n’a toujours pas condamné le coup d’Etat. Le cardinal pontife suprême de la droite à la commission des affaires étrangères, l’espagnol Salafranca a estimé qu’on «verrait», à propos du coup d’état, le jour « où on parlerait aussi de Cuba ». Jeudi les Etats Unis ont déclaré qu’ils ne reconnaitront pas le résultat des élections au Honduras…Ca ne changera rien ici. Le parlement européen, et ses faces de pierre conservatrices, sont directement branchés sur le secteur des néo-conservateurs étatsuniens. Par conséquent, pour eux, le Honduras est un test de résistance à la vague démocratique en Amérique latine. Les caniches européens sont aux ordres. Et puis ils ont tant à faire ! Aujourd’hui, Salafranca est en train de bramer son opposition contre la persécution de Silvio Berlusconi. Je suis sur que cet énergumène doit se pâmer quand le Dalaï Lama vient faire ses sketchs de théocrate au parlement européen. Hé ! Hé ! Au moins, c’est clair, ici. Les moches n’ont pas peur de la lumière.

VIE MEDIATIQUE ET VIE SOCIALE

Ce débat au parlement européen a donc opposé les partisans du bien et ceux du mal à propos de liberté de la presse et tout ça. Il me parait cependant assez artificiel ! Certes, je partage les critiques sur la concentration des médias comme risque avéré pour la démocratie et la citoyenneté. Ca se comprend facilement. 80 % des informations dont disposent les citoyens viennent des télévisions. Qu’elles soient en même mains et les citoyens ne disposent plus d’aucun moyen de former leur conviction de façon autonome. Mais cette façon de voir est tout à fait formelle. La concentration n’est pas l’unique cause de l’uniformisation de la parole médiatique. Loin de là. Il suffit de voir comment les choses se passent en France pour en avoir idée. Le miracle quotidien qui voit les deux grandes chaines hiérarchiser exactement de la même manière exactement les mêmes sujets doit faire réfléchir. D’ailleurs les partisans de Berlusconi s’amusent de faire des statistiques accablantes pour les imprécateurs : il y a quarante deux chaines de télé et radios et plus de cent journaux en Italie. «Comment expliquez-vous alors qu’il n’y ait qu’une tonalité » raillent-ils. On comprend l’abus que cet argument comporte. Quelle commune mesure entre une chaine nationale et une télé de communauté ? Mais soyons honnête. Comment expliquons-nous l’homogénéisation de la forme et du fond dans nos propres médias ? Quel effet de système est à l’œuvre ? Ensuite, si on veut entrer dans le détail des situations, pourquoi faisons-nous comme si la responsabilité individuelle n’était jamais engagée ? Les journalistes sont-ils des êtres humains ou des créatures d’essence pure et parfaite en contact intime avec la vérité.

 


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