Dans l’hémicycle à Strasbourg, mon collègue Elie Hoarau, député réunionnais du Front de Gauche bataille sur le budget européen. Il est teigneux Elie. Il ne se laisse pas faire. Même s’il sait comme moi quelle vaste mauvaise blague est cette discussion puisque le parlement n’a aucun pouvoir d’amendement. Mais le sujet, par contre, est grave. Depuis les accords de libéralisation signés entre l’union européenne qui nous protège d’un côté et, de l’autre, la Colombie et le Pérou, tout un ensemble de bouleversements se dessinent. Côté latino, cet accord est un coin enfoncé dans les institutions régionales qui ont volé en éclats entre ceux qui voulaient signer l’accord et ceux qui ne le voulaient pas pour protéger leurs productions locales. Le socialiste péruvien, Alan Garcia et le proto fasciste colombien Alvaro Uribe ont bien tiré dans le dos de leurs collègues. Ils ont signé l’accord. Mais nous aussi, les Français, nous allons déguster. Car les « régions ultra périphériques » de l’union européenne comme la Guadeloupe et La Martinique sont sacrifiées. Toutes les productions à l’exportation comme la banane se jouent au dumping social. Si mal traités qu’ils soient les paysans antillais sont des nantis par rapport aux malheureux péruviens et colombiens. Les prix de revient sont sans commune mesure. Un idiot m’a dit une fois : « en baissant les prix des marchandises on augmente le pouvoir d’achat des consommateurs sans augmenter le poids des salaires dans les coûts des entreprises !» Intelligent, non ? Problème : cette façon de baisser le prix des marchandises fait qu’il n’y a plus de salaires et donc plus personne pour acheter ! C’est la contradiction de base qui mine le modèle capitaliste de production et d’échange ! On n’aura même pas la consolation de se dire que ça pourrait pousser au développement des cultures locales vivrières. C’est tout le contraire ! Parce que cela aussi sera importé. L’igname, la patate douce, tout cela aussi se joue au dumping social ! Bref, j’arrive ici pour m’entendre jouer la musique ordinaire de « l’Europe qui protège », cette mascarade ! Les Antilles françaises vont bientôt voir se démanteler tout ce qui a été acquis en deux siècles de lutte pour l’égalité. Mais c’était l’égalité avec la métropole qui était en vue. Là, ils vont être mis à égalité avec les misérables du Pérou et de Colombie qui peinent et suent du sang pour ces cultures qui vont ruiner les autres. C’est beau comme de la concurrence libre et non faussée. Dites merci à ceux qui vous ont amené là !
A Strasbourg, on a aussi délibéré sur ce qu’il fallait faire avec les super produits toxiques de la finance que sont les « produits dérivés ». Ces « dérivés », tout le monde en a entendu parler maintenant. Vous savez ce que c’est. L’équivalent financier d’une maladie sexuellement transmissible. Pourtant « L’Europe qui protège » se préoccupe d’organiser leur avenir. Ici à Strasbourg, nous avons donc été régalés d’un rapport du député de droite Langen Werner. On se pince. Non ce n’est pas une mauvaise blague. D’ailleurs ce n’est pas une première. La Commission européenne s'est déjà prononcée sur les actions "en faveur de marchés de produits dérivés efficaces, sûrs et solides". Et pourquoi pas des voleurs aimables, sûrs et sérieux. Cette œuvre surréaliste s’est logée dans deux communications, en juillet et en octobre 2009. Elle a souligné que les produits dérivés sont "utiles à l'économie" puisqu'ils permettent à des agents qui ne sont pas prêts à assumer les risques de certaines activités économiques de les transférer vers d'autres agents économiques prêts à les accepter. Superbe définition euphémisée pour décrire le mode de transmission honteux des mistigris véreux de toutes sortes.
J’explique. Voilà comment ça marche. J’ai des reconnaissances de dette de Pierre Paul et Jacques. Trois nuls, plus ou moins fiables financièrement. Voici la cuisine du dérivé qui commence. Je prends un petit bout de la dette de chacun d’entre eux, je les mélange avec un autre bout de dette plus sexy et hop j’appelle le tout avec un nom exotique, genre « Speedy plus/plus » et je vous les vends. Je prends votre fric et vous vous avez sur les bras mes trois nazes. Peut-être que vous êtes une fine mouche. Vous saviez tout sur mes trois drôles mais ça vous semble quand même un placement valable. Soit vous ne le saviez pas parce que c’est trop compliqué à comprendre et que votre banquier vous dit que « Freddy plus/plus » c’est du bon de chez bon, et que vous le croyez sur parole. Voilà. Ça c’est le principe de base. Découper, mélanger, emballer. Après il y a mille façon d’appliquer cette idée. Jusqu'à la nausée ! C’est naturellement un système promis à mal tourner.
Notre chère Commission Européenne elle-même a fini par s’en rendre compte. Elle constate que les produits dérivés ont particulièrement contribué à la crise financière. Tiens sans blague ! Elle dit pudiquement que cette méthode a « créé des interdépendances de plus en plus fortes entre les acteurs du marché ». Wah ! C’est bien dit. Ça veut dire que tout le monde se retrouve avec des parts de mauvais payeurs dans son portefeuille d’action. Et si un se casse la figure, tout dégringole dans des dizaines d’endroits à la fois. C'est-à-dire partout où les titres pourris ont été mélangés à d’autres dans des emballages qui les dissimulaient. Voilà pourquoi on dit qu’ils sont « toxiques »
Le volume total de ces petites merveilles en circulation dans le monde n’est pas une petite chose, figurez-vous. Ces produits dérivés de « gré à gré », c'est à dire négociés directement entre les tripoteurs du marché et qui ne sont soumis à aucune règle, étaient, fin 2009 de 605 milliers de milliards de dollars selon la Banque des règlements internationaux. Je suis sûr que ce genre de chiffre ne signifie rien pour une écrasante majorité d’êtres humains qui ne peuvent même pas se représenter ce que cela veut dire. Et moi non plus ! La Commission dans sa communication estime qu'il est nécessaire de changer sa conception selon laquelle les instruments dérivés ne nécessitent qu'une réglementation légère. Tel quel ! Elle pense même qu’il faut une législation qui permette la transparence. Ouh ! la ! la ! Et même une législation qui permette aux marchés d'établir correctement le prix des risques. Chers marchés, on avait failli oublier de les encenser un peu au passage, voilà, c’est fait. Wee! Toutes sortes de dispositions ultra techniques sont donc prévues.
Je ne vous les inflige pas. Ce n’est pas mon sujet ici. Je veux juste faire le point pour répondre à la question de savoir si tous ces beaux esprits savent qu’ils sont dans une crise majeure ou s’ils pensent que c’est juste un incident de parcours. Ici la lecture du texte est claire. Ils ne se rendent pas compte. Ils se contentent d’organiser la suite de la fête sans trop bousculer les habitudes. Déjà c’est une drôle d’imprévoyance d’imaginer qu'il peut encore exister des produits dérivés « non normalisés », c'est à dire négociés en toute opacité directement entre deux acteurs qui n’en parlent à personne alors même que de leur bonne santé dépend le sort de dizaine d’autres montages financier. Que veut dire cette différence faite entre les produits dérivés pour les entreprises et ceux pour les banques? Ce n’est pas tout aussi toxique dans les deux cas ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’interdiction pure et simple de certains produits spécialement spéculatifs bien connus. Je pense ici aux fameux contrats d’assurance sur les emprunt d’état qui sont revendus à des gens qui ne sont pas les préteurs et qui n’ont donc comme intérêt que de voir couler le débiteur pour toucher l’assurance et réaliser un profit monstrueux. Pourquoi ne pas restreindre le champ d'intervention des produits dérivés, pour interdire notamment leur utilisation sur les obligations d'Etat ? Bref, pourquoi ne rien faire sur les sujets qui ont occupé l’actualité et dont on nous avait dit que dorénavant tout serait tenu à l’œil. Parce que tout ce que la finance compte d’agent d’influence s’est mobilisé pour faire barrage aux tentations de régulation avec lesquelles les bons esprits ont amusé la galerie ces derniers temps.
Ici, je veux illustrer la clause « d’autorisation préalable » que nous avons retenu dans notre texte « gouverner face aux banques ». Voilà de quoi il s’agit. L’exemple de ces dérivés montre que la planète de la finance a toujours une main d’avance sur les Etats pour trouver de nouvelles combines. Le temps qu’on découvre les produits, le temps qu’on les réglemente, dix catastrophes ont eu lieu. Donc nous proposons de renverser le principe ordinaire qui est : "tout ce qui n’est pas expressément interdit est permis". En matière de finances ce serait, avec nous : "tout ce qui n’est pas expressément permis est interdit". Donc toute nouvelle trouvaille à mettre sur le marché serait soumise à autorisation préalable. Et qui posséderait des titres non autorisés après s’en être procuré ailleurs serait puni.