oct 12 23

Ce mardi, le Parlement européen était appelé à se prononcer sur le protocole additionnel à l'accord de libre échange existant entre l'Union européenne et Israël. Le vote s'est déroulé sous haute tension. En effet, mon groupe de la GUE/NGL, le groupe des Verts/ALE et le groupe des Sociaux Démocrates (SD) avaient clairement annoncé qu'ils voteraient contre ce protocole. La droite voulait au contraire voter pour, à l'exception de la ALDE où les positions étaient divisées. Difficile de savoir ce qui allait sortir de l'hémicycle dans ces conditions. Dans la commission parlementaire du commerce international, le rapport de force a été favorable à la droite.

Avant le vote, Véronique de Keyser (SD) et Daniel Cohn Bendit (Verts/ALE) ont proposé le retour en commission parlementaire pour vice juridique. Mais cette proposition a été rejetée.

Le Parlement européen a donc voté pour ce texte par 379 voix pour.

Les résultats des votes nominaux sont tombés.

Pas un seul eurodéputé du Front de Gauche, du Parti Socialiste ou d'Europe Ecologie – Les Verts n'a voté pour ce protocole.
Tous ont voté contre à l'exception de Karim Zeribi qui s'est abstenu.

Je vous propose un bref retour explicatif sur l'accord de libre échange et le protocole sur lequel il s'agissait ici pour le Parlement européen de se prononcer.

L'accord de libre échange UE-Israël date de novembre 1995

L'accord euro-méditerranéen d'association UE-Israël est entré en vigueur le 20 novembre 1995 dans le cadre du processus de Barcelone.

Ses buts affichés sont:
- "fournir un cadre approprié au dialogue politique, permettant l'instauration de relations politiques étroites entreles parties"
-"promouvoir, grâce à l'expansion, entre autres, des
échanges de biens et de services, à la libéralisation réciproque du droit d'établissement, à la poursuite de la libéralisation progressive des marchés publics, à la libre circulation des capitaux et à l'intensification de la coopération scientifique et technologique, le développement harmonieux des relations économiques entre la Communauté et Israël et donc de favoriser, dans la Communauté et en Israël, le progrès de l'activité économique, l'amélioration des conditions de vie et de travail ainsi qu'une hausse de la productivité et la stabilité financière"
-"encourager la coopération régionale afin de consolider la
coexistence pacifique ainsi que la stabilité politique et économique"
-"promouvoir la coopération dans d'autres domaines d'int
érêt mutuel"

Son article 2 stipule que "les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques, qui inspire leurs politiques internes et internationales et qui constitue un élément essentiel du présent accord".

Il est regrettable qu'Israël ne l'ai jamais appliqué, notamment en ce qui concerne les produits issus des colonies.

A noter: cet accord ne parle à aucun moment de la Palestine ou des palestiniens. Il n'y a donc rien d'autre que cet article 2 pour garantir que les produits des colonies ne seront pas concernés par cet accord de libre échange. Rappelons que l'UE condamne la colonisation.

Le protocole additionnel renforce cet accord

L'article 47 de l'accord UE-Israël prévoit la possibilité de conclure des accords sur la reconnaissance mutuelle dans le domaine de l'évaluation de la conformité.

La conférence de Palerme du 7 juillet 2003 a mis sur pied un plan d'action pour la libre circulation des produits industriels, visant à la mise en œuvre de ces fameux accords en matière d'évaluation de la conformité.

Ces accords dits "ACAA" (Agreement on Conformity Assessment and Acceptance of industrial products)  facilite l’accès au marché intérieur de l'UE au commerce des produits industriels des secteurs préalablement alignés sur les normes européennes en éliminant tous les obstacles techniques.

Deux dispositifs sont prévus:
-l’un pour la reconnaissance mutuelle des produits sur la base de l’acquis communautaire qui a été transposé par le pays partenaire
-l’autre pour l’acceptation mutuelle des produits industriels non soumis à une réglementation commune (ceux qui sont concernés par l'accord de libre échange de base)

Le plan d'action de Palerme pour aboutir à un ACAA comprend deux phases :
1. Choix des secteurs industriels prioritaires couverts par l'ACAA.
2. Préparation et mise en œuvre par chacun des pays, d'un programme d'action pour la préparation de l'ACAA couvrant les deux axes suivants
-harmonisation de la législation cadre régissant la normalisation et l'évaluation de la conformité  pour les secteurs concernés
-mise à niveau de l'infrastructure qualité correspondante (organismes de normalisation, d'accréditation, d'évaluation de la conformité, de métrologie et de surveillance du marché)

Les secteurs prioritaires pour Israël:
Un seul secteur a été choisi: les produits pharmaceutiques.

C'est dans ce cadre que la Commission européenne a négocié en 2009 un Le protocole à l'accord d'association sur l'évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels que le Conseil  a approuvé en Juillet 2012.

Ce protocole additionnel pose plusieurs problèmes

  1. L'industrie pharmaceutique c'est-à-dire?

Le choix n'a pas été fait au hasard. Les laboratoires TEVA Pharmaceuticals Industrie Lmt, un des leadeurs mondiaux des médicaments génériques, sont un des fleurons de l’industrie israélienne. Son apport est décisif. Mais dans les informations fournies par TEVA sur ses différents fournisseurs, aucune distinction n’est jamais faite entre Israël et les territoires palestiniens occupés. Pourtant c'est une question clef pour la transparence et la légalité des accords.

  1. Une intégration renforcée et anti démocratique au marché européen:

Cet accord marque une première entrée d'Israël dans le marché unique européen. C'est un premier pas similaire à ceux franchis par les Etats candidats à l'adhésion à l'UE.

Du point de vue juridique et démocratique il pose problème. en effet, bien que cet accord porte sur le seul secteur pharmaceutique, son article 7 et son article 13 permettent au Comité de gestion de l'accord ou à la personne juridique que celui-ci désignera d'ouvrir le marché unique à d'autre secteurs israélien,  sans nécessité d'obtenir l'approbation Parlement européen!

Article 7. Extension du champ d’application
Si Israël adopte et met en œuvre dans son droit interne de nouvelles dispositions alignées sur le droit communautaire applicable, les parties peuvent modifier les annexes ou en ajouter d’autres, selon la procédure prévue à l’article 13.

Article 13. Gestion de l'accord
1. La responsabilité du bon fonctionnement du présent accord incombe au Comité. Celui-ci est notamment habilité à prendre des décisions concernant:
a) la modification et le retrait d'annexes,
b) l’ajout d'annexes
2. Le Comité peut déléguer les responsabilités ci-dessus définies en vertu du présent accord.
3. Le Comité décide de la date d'entrée en vigueur de toute modification des annexes"

Autrement dit, toute la suite de la vie commune de l'UE avec les gouvernements d'Israël se décidera en petit comité hors de tout contrôle.

  1. La question palestinienne et les droits de l'Homme absents

- Aucun mécanisme contraignant ne permet de garantir que les produits des colonies seront exclus du champ d’application de cet accord.
- L'attachement au libre échange et l'appartenance à l'OMC sont rappelés, pas l'attachement aux droits de l'Homme et à l'ONU
- Les deux parties ainsi "leur attachement mutuel aux principes de libre circulation des marchandises et d’amélioration de la qualité des produits, de manière à garantir la santé et la sécurité de leurs citoyens et la protection de l’environnement, notamment par le biais d’une assistance technique et d’autres formes de coopération,"
- Elles rappellent aussi "leur qualité de parties contractantes à l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce et, en particulier, des droits et obligations qui leur incombent en vertu de l’accord sur les obstacles techniques au commerce de l’Organisation mondiale du commerce"

- On fera remarquer de plus que dans ce registre, l'état de guerre conduit au contraire des belles déclarations sur la libre circulation des médicaments. En effet, les médicaments destinés à la Bande de Gaza sont très fréquemment bloqués. Les hôpitaux ne peuvent pas y fonctionner normalement (manque de fournitures, coupures d'électricités etc). Quant aux hôpitaux de Jérusalem Est, la construction du mur rend leur fonctionnement et leur accès difficile.

-Quel signal donné au gouvernement d'Israël?

L'UE fait valoir à longueur de textes que les droits de l’homme sont au cœur de ses relations commerciales et qu'elle est respectueuse du droit international.

Or précisément, quel signal donne-t-elle en la matière dans cet accord? En effet rien n'est demandé au gouvernement actuel d'Israël à propos du respect des décisions interdisant par exemple l'extension des colonies et  le blocus de Gaza.

Le vote de ce texte dans le contexte électoral actuel peut être analysé comme un coup de pouce aux sortants ce qui est peu respectueux de ses opposants.

J'ai voté contre ce texte que je dénonce.
Voici mon intervention en séance:

Ce rapport propose de franchir un premier pas vers l'intégration complète d'Israël au marché unique européen. Sous prétexte de libéraliser complètement les échanges pharmaceutiques entre l'UE et Israël, le protocole que ce texte avalise permet en fait d'intégrer sans approbation parlementaire préalable ou postérieure de nouveaux produits et services dans cet accord de libre échange total. Je m'oppose à ce protocole pour le renforcement du libre échange qu'il permet. Mais aussi pour le signal politique qu'il envoie. Alors même que le gouvernement israélien continue sa politique de colonisation agressive et maintien le blocus de Gaza en dépit du droit international, ce protocole renforce ses relations commerciales avec l'UE sans demander aucune garantie sur la provenance des produits échanger. En ratifiant ce protocole l'UE enverrait un message dangereux pour le respect du droit international. Je vote contre ce texte


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