oct 12 24

J'ai découvert les conclusions du Sommet européen à mon retour à Paris après le voyage que j’ai effectué en tant que député européen en Argentine et en Uruguay. C'est donc avec un peu de retard que j'écris cette note.

Un Sommet européen d’Octobre sur fond de manifestations contre l'austérité.

Des dizaines de milliers de grecs manifestaient dans les rues jeudi, premier jour du Sommet, pour réclamer le départ de ses bourreaux, les « hommes en noir de la Troïka (Commission européenne, BCE, FMI) et de leurs exécutants, le gouvernement de Samaras et des sociaux-démocrates. Ils n'ont pas été les seuls à manifester ces derniers jours. Les espagnols et les portugais qui ont massivement manifesté le weekend dernier au son des « caceroladas » à l’appel des indignés en demandant la fin de l’austérité, la démission de leurs gouvernements et en appelant à une journée européenne de mobilisation contre l’austérité le 14 Novembre. La Confédération européenne des syndicats (CES) a d'ailleurs annoncé la veille du Sommet qu’elle soutenait cette journée d’action. Et au Royaume Uni une grande manifestation sous le slogan "l'austérité ça ne marche pas" est prévue samedi prochain, juste après le Sommet. De quoi alerté les chefs d'Etat et de gouvernement qui se réunissaient à Bruxelles…

Le Sommet s'est pourtant déroulé comme tous les autres.

Observons qu’Angela Merkel, François Hollande et Mario Monti ont débuté ce Sommet par une réunion tripartite. Une façon d’asseoir l’Europe à plusieurs vitesses qu’ils construisent. Tous trois sont en effet les représentants des trois principales économies de l’Europe. Via le Mécanisme Européen de Stabilité, ils se sont octroyé un droit de veto (tantôt avec l’Italie tantôt sans l’Italie) sur les plans d’austérité que la Troïka imposera ou non aux Etats les plus mis en difficultés. Avec cette rencontre préliminaire, les trois gouvernants assoient leur volonté de domination des autres Etats. Ils construisent une Europe inverse à celle de la solidarité et de l’égalité souveraine des Etats que nous défendons. François Hollande ne dit d’ailleurs pas autre chose quand il se rallie à la doctrine de la CDU : « Qui paie doit contrôler, qui paie doit sanctionner. »

Les travaux préparatoires au Sommet méritent d'être regardés de près.

Le président du Conseil Monsieur Van Rompuy a présenté le 12 Octobre un rapport intermédiaire intitulé « Vers une véritable Union Economique et Monétaire ». Ce rapport formait la base d’une large partie des négociations qui ont eu lieu lors de ce sommet. Il fait suite au rapport du même nom qu’il avait présenté en Juin dernier et dont j’avais dénoncé le contenu et précède un autre rapport, final celui-ci, qui sera présenté en Décembre prochain. Que trouve-t-on dans ce rapport qui dit avoir pris compte des remarques des gouvernements obtenues lors de réunions bilatérales dont nul n’a eu vent à part les initiés?

Premier point : la surveillance bancaire 

Le texte avoue que la surveillance bancaire organisée en Juillet 2010 avec la mise en place du Système Européen de Surveillance Financière (SESF) et de son Autorité Bancaire Européenne (ABE) et son Comité européen du risque systémique (Le CERS qui travaille avec le FMI) est un échec complet. Il propose donc de l’approfondir en un mécanisme de surveillance unique (MSU) sous l'égide de la Banque centrale européenne. Si le CERS et l’ABE n’avait « que » un pouvoir d’injonction, le MSU aura lui un pouvoir de décision quoiqu’il soit géré par un organe non élu. Un semblant de démocratie est prévu avec la simple « obligation pour la nouvelle autorité de surveillance unique de rendre des comptes comme il se doit, y compris au Parlement européen ». A noter par ailleurs que l’idée que Mécanisme Européen de Stabilité (MES) puisse être le filet de sécurité de ce système en recapitalisant les banques reste d’actualité. Les Etats membres de la zone euro financeraient donc la recapitalisation des banques via ce mécanisme initialement prévu pour prêter aux Etats sous conditions de la troïka. Les conditionnalités, envisagées dans le texte, ne sont pas précisées. Reste à savoir si elles concerneront les Etats ou les banques ce qui n’est pas un point de détail !
En tout état de cause la logique est claire : le pouvoir décisionnel sur les banques revient à la BCE et pas aux Etats. Tout doit être fait pour renflouer les banques européennes et favoriser la concurrence entre elles (le texte le précise). Et parallèlement à cela on organise le remboursement prioritaire de la dette via un « cadre budgétaire intégré ». C’est le point suivant.

Deuxième point : le cadre budgétaire intégré

Le texte demande d’abord l’adoption rapide du fameux « two-pack » qui donne à la Commission le droit d’amender publiquement les projets de budget des Etats et de considérer tout non-respect de ses amendements comme un facteur aggravant au moment de décider ou non un pays sous le coup d'une procédure pour déficit excessif (ce qui suppose désormais des sanctions automatiques).
Il envisage ensuite, malgré le refus allemand, à mettre en place « des éléments de partage des risques budgétaires »au niveau européen, admettant au passage que le Mécanisme Européen de Stabilité est de peu de secours pour faire face à un choc affectant la zone euro (il a pourtant été conçu pour cela officiellement) et que « les mécanismes d'ajustement économique moins efficaces dans la Zone Euro que dans d'autres unions monétaires », la faute, selon le rapport à la «faible mobilité de la main-d’œuvre au niveau transnational et aux entraves structurelles à la flexibilité des prix ». Bref. Les dits « éléments » ne sont pas précisés même si les eurobonds et un « fonds d’amortissement des dettes souveraines » sont clairement envisagés. On sait juste qu’ils ne devront pas constituer des « transferts permanents entre les pays» et ne pas affecter les « mesures visant à remédier aux déficiences structurelles », comprenez les libéralisations, pas plus que « compromettre le respect des règles budgétaires et de la discipline budgétaire dans chacun des États membres ».

Troisième point : le cadre de politique économique intégré

Il est ici envisagé de fournir « un soutien aux efforts de réforme prenant la forme d'incitations financières limitées, temporaires, flexibles et ciblées » aux Etats menant à bien des libéralisations qu’il aurait négociées avec la Commission européenne. Comprenez bien : on prête, avec des taux d’intérêt, quand il s’agit de rembourser la dette d’un Etat aux marchés financiers mais on met en place des incitations financières quand il s’agit de libéraliser. On tient donc les deux bouts pour casser l’Etat social.
Par ailleurs, on continue d’organiser « un cadre de politique économique intégré, comprenant une coordination ex ante des grands plans de réforme de la politique économique », sous l’œil vigilant de la Commission européenne qui peut à tout instant brandir la menace de la sanction, et le tour est joué ! Libéralisations, privatisations et austérité pour l’Etat à tous les étages !

Quatrième point : la légitimité démocratique

Ils ne pouvaient pas ne pas en parler. Un dernier petit point est donc réservé à la question de la démocratie. Admirez la subtilité langagière : « le contrôle démocratique et l'obligation de rendre des comptes devraient s'exercer au niveau auquel les décisions sont prises » c’est-à-dire les institutions (Conseil, Commission et Parlement européen) sont démocratiques et doivent rendre des compte point barre. Je sur interprète ? Voyez plutôt la suite : « cela signifie qu'il faut s'appuyer sur le Parlement européen en ce qui concerne l'obligation de rendre des comptes pour les décisions prises au niveau européen mais aussi qu'il faut préserver et défendre le rôle central des parlements nationaux de façon appropriée ». Vous aurez noté que le rôle des parlements nationaux doit être défendu « de façon appropriée ». Il ne faudrait pas qu’ils réclament le droit de décider souverainement et sans menace du budget de l’Etat, capacité dont on vient de les priver.

Avec une telle base de travail, on était donc en droit de s’attendre au pire.

Les premières conclusions du Sommet sont arrivées dans la nuit de jeudi à vendredi.

Présentée dans les médias comme un satisfecit, elle constitue en fait en fait un ultimatum. Il donne satisfecit aux « progrès accomplis par la Grèce et la troïka en vue de parvenir à un accord sur les mesures qui sous-tendent le programme d'ajustement » et au gouvernement pour sa «détermination à mettre en œuvre ses engagements » mais attend que les mesures d’austérité supplémentaires soient votées au Parlement hellénique. Le texte indique d’ailleurs clairement qu’aucune décision n’est prise concernant le déblocage de la tranche de prêt attendue : « nous attendons avec intérêt la conclusion de l'examen en cours. L'Eurogroupe examinera les résultats de cet examen à la lumière du rapport de la troïka et prendra les décisions nécessaires.» Et au cas où la Grèce n’aurait pas compris qu’il allait encore falloir consentir à plus d’ « efforts » (remarquer qu’avec un cynisme hors du commun, les chefs de gouvernements « félicitent les efforts remarquables consentis par la population grecque », entendez par « efforts » les souffrances injustifiées infligées au peuple grec qui ne peut plus se payer le chauffage, l’électricité, n’a plus accès à des soins dignes de ce nom, à un enseignement digne de ce nom etc). Il est même précisé : « nous attendons de la Grèce qu'elle poursuive les réformes en matière budgétaire et structurelle, et nous l'encourageons dans les efforts qu'elle déploie pour assurer la mise en œuvre rapide du programme. »

Pire, il explique aux grecs qui voient les investisseurs fuir le pays et les services publics se dégrader un peu plus chaque jour, conséquences des politiques d’austérité : « Cela est nécessaire pour accroître la compétitivité du secteur privé, favoriser l'investissement privé et améliorer l'efficacité du secteur public. »
Et pour finir, comble du comble, les chefs de gouvernements brandissent la menace d’une exclusion de la zone euro qui n’est pas possible sauf à ce que le gouvernement grec décide de quitter l’Union européenne : « Ces conditions (…) garantiront l’avenir de la Grèce dans la zone euro ». Bref, cette déclaration est un crachat à la tête du peuple grec qui manifestait le même jour dans les rues pour demander la fin de l’austérité et le départ de la troïka !

Arrivait ensuite la déclaration sur l’Union Economique et Monétaire.

Il s'agit là de l’avis des chefs de gouvernement sur le rapport présenté par Von Rompuy dont vous avez la synthèse plus haut.
Comme prévu, pas de grandes annonces mais un calendrier tout de même accéléré en ce qui concerne le transfert de nouveaux pouvoirs à la BCE.

-Le cadre législatif de la mise en place surveillance bancaire devra être fixé d'ici le 1er janvier 2013 et sa mise en œuvre devra être réalisée courant 2013. D’aucuns se plaignent du délai mais ce calendrier constitue un bousculement des temps démocratiques, surtout pour instituer un organe qui aura des pouvoirs décisionnels! Les propositions de la Commission ont été faites à peine fin Septembre! Il s’agit tout de même d’attribuer de nouvelles compétences à la BCE ! Notons au passage qu’on se précipite pour permettre à la BCE d’agréer les organismes de crédits en Europe et de surveiller l’ensemble des banques mais pas pour lui permettre de prêter directement aux Etats membres, ce qui serait pourtant la solution à la crise.

-La recapitalisation directe des banques par le Mécanisme Européen de Stabilité demeure elle par contre du domaine de l’hypothèse, preuve que Merkel n’a rien cédé : « Lorsqu'un mécanisme de surveillance unique effectif, auquel sera associée la BCE, aura été créé pour les banques de la zone euro, le MES pourrait, à la suite d'une décision ordinaire, avoir la possibilité de recapitaliser directement les banques ». La subtilité de cette décision ordinaire est que le vote se fait à l’unanimité !

-Exit les possibilités d’eurobonds ou de fonds d’amortissement des dettes souveraines : se « sera étudié » mais se « sera dissocié de l'élaboration du prochain cadre financier pluriannuel ». Là encore Merkel n’a rien cédé.

-Pour le reste tout est là : adoption rapide du « two pack », validation du cadre du traité Merkozy etc

Le reste des conclusions est arrivé plus tard dans la journée.

Elles sont arrivées après la deuxième partie de la réunion du Sommet européen comme à l’accoutumée.

« L'économie européenne a plusieurs caps difficiles à passer ». C’est la première phrase du texte après l’introduction. Quelles conclusions en tirent donc nos chefs d'Etat et de gouvernement? « Il est donc essentiel que l'Union européenne fasse sans délai tout ce qui est en son pouvoir pour mettre en œuvre les mesures qui ont été décidées d'un commun accord ces derniers mois ». En clair : l’austérité et les libéralisations ne marchent pas, poursuivons le massacre. La recette est donc la même qu’en Juin :

-appliquer le Pacte pour la croissance et pour l’emploi (le détail de ce pacte pour le libéralisme économique et le libre-échange et du plan de relance minuscule qu’il propose est disponible là )

-préparer « de façon approfondie » le Semestre européen 2013 (une « feuille de route » nous sera proposée nous dit-on…)

-mettre en œuvre les conclusions approuvées la veille sur l’Union économique et monétaire (le seul accord étant sur le fait de transférer de nouveaux pouvoirs de surveillance et d’agrément des établissements de crédits à la BCE)

-miser sur les « partenariats stratégiques » (comprenez notamment les Etats-Unis et la mise en place du Grand Marché Transatlantique auquel appellent inlassablement les textes de l’UE)

La levée des restrictions à l’accès au marché du travail des citoyens roumains et bulgares n’est par contre toujours pas à l’ordre du jour.

Les conclusions ne contiennent rien sur l’espace Schengen cette fois-ci. Elles passent directement aux questions internationales. 

La seule information notable en la matière concerne le Mali.

Les chefs d’Etats annoncent que l’UE « examinera la question du soutien à la force militaire internationale dont le déploiement est envisagé dans le cadre de la résolution 2071 du Conseil de sécurité des Nations unies et accélèrera la planification d'une éventuelle mission militaire dans le cadre de la PSDC en vue de contribuer à la réorganisation et à l'entraînement des forces de défense maliennes ».  Notons que François Hollande qui en France clame qu’il n’enverra pas de troupes au Mali ne s’est pas opposé à ce point des conclusions. Pourtant quelles troupes européennes seront envoyées dans le cadre de la PSDC au Mali ?  Il aurait par ailleurs pu proposer l’envoi d’une délégation diplomatique sur place ou insister sur le strict respect de la résolution 2071. Pourquoi ne pas l’avoir fait et accepter l’envoi d’une mission militaire en dehors de ce cadre ? La question mérite d’être posée.

Bref. Un Sommet sourd aux manifestations désormais quotidiennes contre l’austérité en Europe. La ligne austéritaire tracée par Merkel et Sarkozy est définitivement assumée par François Hollande. Ce Sommet n’aura servi qu’à rappeler cette évidence monstrueuse pour les peuples européens et pour le peuple français qui pensait avoir tourné la page de l’ère Sarkozy.


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