Vous aurez noté, donc, que pour une partie des députés dissidents, l’avenir ce serait le « dialogue avec le chef du gouvernement ». Si on veut en rester à cette affirmation de principe, demandons-nous cependant si ce « dialogue » est possible. Je veux dire : s’il dégage de quelque façon que ce soit un espace de changement de trajectoire de l’action gouvernementale. Car s’il s’agit de parler, d’user de bonnes manières, je suis certain que Manuel Valls, que je connais, est le meilleur homme du monde et le mieux disposé à être avenant et souriant. Il peut même accepter des modifications à la marge, comme il vient de le faire, pour ne pas humilier les contestataires qui acceptent de capituler devant lui. Mais cela ne saurait suffire ! J’espère que tout le monde est d’accord sur ce point.
La question posée à tous est de savoir si ce dialogue peut ouvrir un espace pour une autre politique. La réponse est formellement : non ! Rien ne peut inverser le cours de la politique austéritaire car elle est d’ores et déjà planifiée par le Premier ministre pour de très longs mois. En faut-il une preuve concrète ? Pour s’en convaincre rien de mieux qu’une lecture attentive du « Programme national de réforme ». Car tout ça est déjà écrit noir sur blanc. D’accord : c’est une lecture extrêmement rébarbative. Mais de quoi s’agit-il ? C’est l’un des deux documents que le gouvernement français doit envoyer à la Commission européenne, en vertu des nouvelles règles de l’Europe du traité Merkozy signé par Hollande, sans en changer un mot, comme on s’en souvient. Car la France est bien devenue une des « colonies de la Commission Européenne », comme l’avait pronostiqué celui qui était alors secrétaire général de la confédération européenne des syndicats : John Monk. Elle doit, comme tous les autres pays, soumettre toute sa politique économique et budgétaire à l’approbation de la Commission avant que son Parlement ait le droit d’en débattre.
L’autre document déposé devant la Commission, c’est le « Programme de stabilité » des finances publiques, qui a fait l’objet du vote de mardi 29 avril à l’Assemblée. Le « Programme national de réforme » est donc le complément du plan d’austérité de 50 milliards d’euros décidé par Manuel Valls. Comment ça marche ? Le « Programme national de réforme » recense, une par une, les « recommandations » que la Commission européenne a fait à la France l’année dernière. Les désirs de la Commission doivent être compris pour ce qu’ils sont : des ordres. Dès lors, pour chacune des « recommandations », le document indique les réponses obéissantes du gouvernement Valls. Le document est volumineux : il fait 101 pages. Mais il est public. Et le texte est publié en version française dans laquelle il a sans doute été rédigé avant d’être traduit en anglais pour la Commission. Chacun peut donc aller juger par soi-même sur le site du ministère de l’Economie.
Toute la politique économique de droite du gouvernement Valls y est. Evidemment, on y trouve un résumé très satisfait de la politique d’austérité. Ensuite, vient une partie sur la « compétitivité » et le « coût du travail ». En fait, il s’agit des cadeaux fait au MEDEF. Le gouvernement détaille la manière dont il entend donner 30 milliards d’euros par an au grand patronat. Mais le gouvernement Valls se vante aussi de ne pas avoir augmenté le SMIC. Le document rappelle que la Commission européenne demandait en 2013 « à faire en sorte que le salaire minimal évolue d'une manière propice à la compétitivité et à la création d'emplois, compte tenu de l'existence de dispositifs de soutien des salaires et d'exonérations de cotisations sociales ». Le gouvernement Valls répond en détail. Il se vante du quasi-gel du SMIC au 1er janvier 2014 jugeant que « Cette revalorisation reste largement contenue ». Comme il l’avait déjà fait dans un autre document envoyé à la Commission européenne à l’automne dernier, le gouvernement confirme aussi que « la réforme des retraites fera mécaniquement reculer l’âge effectif de départ à la retraite par le biais de l’allongement progressif de la durée d’assurance ». Ce nouvel aveu se trouve page 57. Détail obscène : ce document a été approuvé en Conseil des ministres le jour de la visite de François Hollande à Carmaux ! La retraite à 66 ans devant la statue de Jean Jaurès, celui qui l’avait arrachée, il y a un siècle, en 1910, pour les salariés à partir de… 65 ans ! On mesure ici de nouveau quel art consommé de la duperie et de la moquerie cruelle révèle après coup le numéro qu’a fait Hollande à Carmaux. Bravo à ceux qui l’ont accueilli comme il le méritait.
Un secteur du « programme » de Valls est particulièrement intéressant. C’est celui qui concerne les services publics. Ils sont spécialement dans le viseur. Page 43, on apprend ainsi que « le Gouvernement a engagé, à travers plusieurs véhicules législatifs et notamment la loi relative à la consommation du 17 mars 2014, un ambitieux mouvement de renforcement de la concurrence dans le secteur des services, à la fois grâce à des mesures transversales et des mesures sectorielles ». Energie et transports ferroviaire sont particulièrement menacés. Comme l’an dernier, le gouvernement reconnaît que la réforme ferroviaire préparée vise à permettre la mise en concurrence généralisée : « dans le domaine des transports, le projet de loi de réforme du système ferroviaire a été présenté au mois d’octobre 2013. Il vise à renforcer l’efficacité de la gouvernance actuelle avec la mise en place d’un opérateur unique pour la gestion de l’infrastructure, dans une perspective compatible avec l’ouverture à la concurrence du transport de passagers. (…) Par ailleurs, la pression concurrentielle dans le secteur devrait s’accroître du fait de l’accroissement des possibilités de transport par autocar » ! La route va pouvoir faire concurrence au train ! Bel exemple de l’absurdité écologique de la politique libérale ! Bien sûr, on attend que les candidats du PS aux élections européennes viennent expliquer toutes ces merveilles dans leurs réunions et porte-à-porte…
Et surtout qu’ils aillent les défendre devant les salariés des secteurs concernés. Ainsi devant ceux de l’énergie. Car les attaques y sont encore plus précises. Le gouvernement Valls indique ainsi que « les tarifs réglementés de vente de gaz naturel pour les professionnels seront progressivement supprimés à partir de 2014 ». Il rappelle aussi que « les tarifs réglementés de vente de l’électricité, comme prévu par la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (loi NOME datant de 2010), disparaîtront d’ici fin 2015 à l’exception des tarifs réglementés « bleus » pour les petits consommateurs. Leurs modalités pratiques de disparition ainsi que les obligations d'information des fournisseurs seront identiques à celles prévues pour le gaz naturel ». Le gouvernement se vante aussi de « renforcer la concurrence entre fournisseurs historiques et fournisseurs alternatifs » en ayant « permis à l’ensemble des fournisseurs de proposer le tarif social de l’électricité ».
Surtout, le gouvernement confirme sa volonté de privatiser les barrages hydroélectriques. L’annonce est dissimulée aux pages 16, 48 et 95. Le gouvernement annonce qu’« un renouvellement par mise en concurrence des concessions d’exploitation des installations hydroélectriques sera privilégié ». L’ancienne ministre de l’Ecologie Delphine Batho s’était opposée à cette décision avant d’être éjectée du gouvernement il y a quelques mois. Mais la nouvelle ministre Ségolène Royal a confirmé qu’elle comptait bien ouvrir les concessions de nos barrages au secteur de la finance.
Douze barrages sont concernés d’ici 2020. Et si cette logique est enclenchée, tous les autres suivront. Quatre cents sites sont sous concession dans tout le pays. Dans 80% des cas, c’est EDF qui gère la concession, et dans 15% GDF, héritage de son ancien statut public. C’est un nouveau coup libéral contre le service public et la transition énergétique. En effet, les barrages hydroélectriques sont la première source d’énergie renouvelable en France. Vous croyez que les fonds privés veulent produire de l’électricité propre ou des flots d’argent avec ces barrages ? Vous faites confiance au privé pour entretenir et investir dans l’équipement des barrages ?
Ainsi, en plein dépeçage d’Alstom, la grande braderie de nos moyens et savoir-faire énergétiques continue ! Encore une fois, l’intérêt général et la souveraineté du pays sont sacrifiés pour contenter les idéologues du profit qui mènent l’Europe au désastre. Pensez-y le 25 mai prochain en votant aux élections européennes. Ceux qui ont voté la libéralisation du marché européen de l’énergie doivent être sanctionnés. C’est bien sûr le cas de la droite. Mais aussi des députés PS et Europe Ecologie-Les Verts, qui ont tous soutenu la libéralisation de l’énergie. Ainsi, en septembre 2011, tous les députés européens PS et Europe Ecologie ont voté pour le rapport Chatzimarkakis prônant la concurrence totale sur le marché de l’énergie. Trois mois plus tôt, en juillet 2011, une majorité d’entre eux dont José Bové ont voté pour la libéralisation comme le soutenait le rapport Wagner. Pour ma part, j’ai voté contre. Je cite José Bové plutôt qu’un autre compte tenu de sa nouvelle situation de candidat des Verts européens à la fonction de président de la Commission européenne.