La commission des affaires étrangères dont je suis membre était sollicitée pour donner un avis sur le Grand Marché Transatlantique. Sans surprise, j'ai voté contre. En voici l'explication.
Contexte :
La commission du commerce international (INTA) prévoit d’adresser ses recommandations (rapport d’initiative) à la Commission européenne sur le Grand Marché Transatlantique (dit aussi PTCI dans sa traduction exacte ou TTIP en anglais). Toutes les commissions parlementaires donneront également leur avis à incorporer dans le rapport principal INTA, comme c’est ici le cas pour la commission des affaires étrangères. Le vote en plénière sur le rapport d’initiative est prévu le 18 juin.
Eléments positifs de l’avis d’AFET :
- ISDS : le texte n'évoque pas le mécanisme de règlement des différends entre État et investisseurs. Mais c'est pour mieux éluder la question qui fait encore débat entre les S&D et le PPE.
Eléments négatifs de l’avis d’AFET :
- Les Etats-Unis comme partenaire privilégié : « les États-Unis sont le grand partenaire stratégique de l'Union européenne (…)au-delà des simples aspects commerciaux (…)du point de vue géopolitique »
- le mythe de la croissance : « des répercussions positives sur les emplois et la croissance pour les deux économies, qui ont été l'une comme l'autre affaiblies par la crise »
- référence au valeurs communes « valeurs que partagent l'Union européenne et les Etats-Unis »
- pour en faire la règles de l’OMC : « au-delà des implications bilatérales en favorisant la création de réglementations et de règles communes susceptibles d'être adoptées par la suite à l'échelle mondiale » ; « orienter les échanges mondiaux et la gouvernance économique (…) dans un monde toujours plus multipolaire »
- à imposer aux pays-tiers : « souligne que la conclusion du partenariat transatlantique ouvre la voie à l'émergence d'un large espace économique englobant les pays tiers avec lesquels l'Union et les Etats-Unis entretiennent des relations économiques et commerciales étroites »
- gaz de schiste : prétend assurer ainsi « la diversification et dans la sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'Union » et pouvoir importer du gaz américain « en supprimant les formalités de licence pour les exportations américaines de gaz »
- Harmonisation des règlementations: « approfondissement de la coopération parlementaire transatlantique » et « mise en place d'un cadre politique renforcé ».
- transparence : se félicite des mesures entreprises par la Commission.
Base de cet avis en AFET : le rapport d’initiative en INTA :
Rapporteur : Bernd Lange (S&D, Allemagne)
Ce rapport d’initiative s’appuie sur l'article 108-4 du règlement du parlement européen qui indique que « À tout moment des négociations et de la fin des négociations jusqu'à la conclusion de l'accord international, le Parlement peut (…) adopter des recommandations en demandant qu'elles soient prises en considération avant la conclusion de l'accord ».
En attente de l’avis de toutes les commissions parlementaires, la première version du rapport d’initiative de la commission INTA est déjà disponible. Son exposé des motifs est déjà très clairement en faveur de l’accord puisque l’objectif présenté n’est pas de s’interroger sur les bienfaits de l’accord mais de « relancer les négociations, après la nomination de la nouvelle Commission et les élections de mi-mandat aux Etats-Unis » et après les deux résolutions adoptées par le Parlement sous la législature précédente (octobre 2012 et mai 2013).
Eléments plutôt positifs du rapport INTA:
- rôle du Parlement : rappelle que « le Parlement a le dernier mot dans la ratification d'accords commerciaux (…) un tel accord n'entre donc en vigueur qu'avec l'approbation du Parlement », même si ce n’est que partiellement vrai. L’article 218 du Traité de Lisbonne indique que l’application provisoire d’un accord est possible avant approbation du Parlement et même signatures par tous les membres du Conseil. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé un avis de la commission AFET (d’avril 2014- rapport Martin) que trop souvent un « accord international est signé et fait l'objet d'une application provisoire conformément à l'article 218, paragraphe 5, sans que le Parlement ne soit invité à donner son approbation (ou ne soit consulté) dans un délai raisonnable ». L’exposé des motifs a cependant le mérite de rappeler le rejet par le Parlement d’ACTA en 2012 (ou ACAC sur la protection de la propriété intellectuelle, notamment dans le domaine numérique) qui montre que « le Parlement prenait très au sérieux son rôle en matière de politique commerciale ».
- recul sur les chiffres annoncés: « un grand nombre d'études sur les retombées économiques du PTCI doivent être considérées avec prudence » Le texte avoue même que cet accord « ne suffira pas à lui seul pour résoudre les problèmes économiques de l'Union européenne ».
- aveux sur le secret des négociations : « le caractère secret des négociations telles qu'elles ont été menées par le passé a donné lieu à des défaillances au niveau du contrôle démocratique du processus de négociation » mais les quelques récentes publications de la Commission ne suffisent pas en faire un modèle de transparence. « le Parlement européen soutient pleinement la décision du Conseil de déclassifier les directives de négociation ». Insiste pour donner plus d’informations aux État-membres mais dans le seul but de leur permettre de vanter les « avantages potentiels » aux citoyens.
- ISDS n’est pas indispensable mais reste possible : indique qu’une « égalité de traitement dans leurs démarches pour chercher et obtenir réparation (…) peut se faire sans prévoir un mécanisme de RDIE. « le règlement des différends entre États et le recours aux juridictions nationales sont les moyens les plus appropriés en cas de litige relatif aux investissements ». Enfin, même si il rappelle que Juncker « n'acceptera pas que la juridiction des tribunaux dans les États membres soit limitée par des régimes spéciaux », indique qu’il faut néanmoins « le meilleur moyen d'assurer la protection des investissements et l'égalité de traitement des Investisseurs ».
- ne veut pas aller trop vite : à l’inverse d’Hollande lors de sa visite aux USA, « le contenu de l'accord est plus important que la vitesse des négociations » laissant le temps de nous mobiliser contre mais aussi d’essouffler les mobilisations à la longue.
- méthode de « la liste positive » pour l’accès aux marchés des services : moins pire que la liste négative. Cette dernière exige que des mesures discriminatoires touchant tous les secteurs soient libéralisés à moins que des mesures spécifiques ne soient établies dans la liste de réserves. La liste positive mentionne explicitement et non par défaut ou par jurisprudence (d’un ISDS par exemple) les secteurs concernés.
- protection des données : demande a minima à ce « qu'aucun engagement ne soit pris en matière de flux de données avant que la législation européenne relative à la protection des données ne soit appliquée »
- protection du principe de précaution : « respecter et défendre les sensibilités et les valeurs fondamentales des deux parties, par exemple le principe de précaution de l'Union européenne »
- référence à l’OIT et droit du travail : demande la « ratification, l'application et le respect complets et effectifs des huit conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail (OIT) » sur le développement durable mais également le respect de l'Agenda pour le travail décent de l'OIT ou encore le vague principe de responsabilité sociale des entreprises tel que promu par l’OCDE et demande le respect de ces éléments également dans d’autres chapitres comme « l'investissement, au commerce de services, à la coopération réglementaire et aux contrats publics ».
- vœux pieux sur le développement durable : L’accord doit « favoriser l'utilisation et la valorisation des biens et services respectueux de l'environnement » ; « l'élaboration de normes communes de durabilité pour la production d'énergie »
- protection des indication géographiques : demande une « protection et une reconnaissance renforcées des indications géographiques (IG) européennes »
Eléments négatifs du rapport INTA
- protection de la culture et audio-visuel : le point 21 du mandat de négociation, exclue certes les services audiovisuels mais pas les services culturels et ne les exclue que pour le chapitre sur le commerce des services et des conditions d’établissement. En outre, ce principe dit « exception culturelle » n’existe pas en droit européen. Seul le concept de « diversité culturelle » est garanti par les traités. Il n’y ni définition de ce que sont les services audiovisuels ni ce que couvre la culture. Par exemple, selon le GATS (l’accord général sur le commerce de services de l’OMC) qui pourrait bien servir de base juridique au GMT, le monde de l’édition ne fait pas partie du « secteur culturel » mais des « services commerciaux ». Les Nord-Américains ne feront pas tant de distinctions et le mécanisme État-investisseurs pourrait leur permettre de s’attaquer jusqu'au cœur de notre modèle culturel, via les aides d’État.
- forcer la main à l’opinion publique : l’exposé des motifs a conscience « des nombreuses critiques exprimées par les citoyens européens et de la faible adhésion à l'accord en cours de négociation » mais cela est présenté comme une raison supplémentaire pour faire passer l’accord, juste en demandant « la plus grande transparence possible » afin que « l'accord qui sera conclu ne pourra être qu'un bon accord »
- mythe de la croissance et des emplois: imagine que l’accord permettra la « réindustrialisation de l'Europe » et « faire passer de 15 à 20 % la part du PIB de l'Union européenne issu de l'industrie » ou encore que va « contribuer à la création d'emplois de qualité » et autres mensonges : « permettre de protéger les travailleurs, les consommateurs et l'environnement (…) normes strictes de manière à éviter le dumping social et environnemental », pour protéger le « citoyen ordinaire ».
- la nouvelle stratégie de l’exigence : «même si l'Union européenne et les États-Unis peuvent aller plus loin dans la reconnaissance réciproque des normes (…) l'Union ne sacrifiera pas ses normes de sécurité, de santé, ses normes sociales, ses normes de protection des données ou sa diversité culturelle »
- pour en faire la règles de l’OMC : le GMT doit être le « tremplin pour des négociations commerciales plus ambitieuses et non une variante du processus de l'OMC » (le GMT n’est que la solution de « second choix ») et pour mieux briser les petits États : « pourrait également conduire à l'élaboration de normes et de règles qui seront ensuite adoptées à l'échelle mondiale, ce qui profiterait également aux pays tiers » ; « définir une vision commune du commerce international, de l'investissement et des questions liées au commerce »
- Harmonisation des règlementations : « confrontés à une mondialisation non réglementée et qu'un accord commercial bien conçu pourrait contribuer à tirer parti de la libéralisation ».
- mythe du rapport de force égal avec les USA : « veiller à ce que les possibilités d'accéder aux marchés dans les différents domaines soient comparables (…) et équilibrées ».
- convergence des réglementations financières : plus restrictives côté nord-américain, donne l’exemple du Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. « le libre transfert de capitaux doit être conforme aux dispositions du traité sur l'Union européenne et prévoir, par mesure de prudence, des exceptions en cas de crise financière »
- flou sur l’énergie : « faciliter les exportations de gaz naturel et de pétrole » , « Néanmoins, aucune discrimination ne s'applique une fois qu'a été prise la décision d'exploitation » .
- vendre l’accord aux PME : « faciliter la participation des PME aux échanges transatlantiques, par exemple au moyen d'un "guichet unique" commun pour les PME »
Pour toutes ces raisons, j'ai voté contre ce texte et continue à m'opposer au Grand Marché Transatlantique