avr 15 13

drapeaux russeLes sanctions prises par l'UE à l'encontre de la Russie sont maintenues. Pourquoi ? Pour s’assurer du respect de l’accord de Minsk, dit-on. Pourtant, les inquiétudes sur le respect de ces accords ne viennent pas de la Russie mais du gouvernement de Kiev, comme s’en est plaint la France très officiellement auprès des autorités ukrainiennes quand elles refusaient de retirer les armes lourdes de la zone démilitarisée. Et, par contre, l’aide à l’Ukraine n’est pas remise en cause ; au contraire, elle est accélérée. Mais quand bien même ! Ces sanctions mises en œuvre « par l’Europe » le sont en réalité contre le droit européen. En effet, des mesures de cette nature relèvent d’une décision prise au sein du Conseil des gouvernements, là où les nations sont représentées en tant que telles. C’est l’instance souveraine en dernier ressort dans l’Union européenne sur ce type de sujet. Les décisions doivent y être prises à l’unanimité. Or il n’y a pas d’unanimité pour ces sanctions. Ne serait-ce que parce que la Grèce y siège et qu’elle y est opposée, ce qu’a répété Alexis Tsipras. Mais ce n’est pas tout.

Plusieurs pays considèrent qu’elles ont des effets désastreux sur l'économie européenne dans la mesure où la Russie est conduite à changer de fournisseurs dans de nombreux domaines au profit notamment de pays de l’Amérique du sud et de l’Asie. Certains pays membres de l'UE ont donc demandé la levée de ces sanctions. En effet ils en souffrent davantage que n’en souffrira jamais la Russie. Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Garcia-Margallo, a rappelé à ses collègues au cours d’une réunion des chefs de diplomatie des pays membres de l'UE à Bruxelles que les mesures punitives contre la Russie avaient déjà coûté 21 milliards d'euros à l'UE.

D’autres se sont également exprimés. Il s’agit de l'Italie, de la Hongrie, de l'Espagne, de l'Autriche, de la Slovaquie et de Chypre. Le chef de la diplomatie italienne, M.Gentiloni, estime que la levée partielle des sanctions imposées à l'encontre de Moscou est nécessaire. En effet l'Italie figure parmi les pays les plus touchés par l'embargo russe sur les produits alimentaires. L'Autriche aussi s'inquiète. En décembre 2014, le chancelier fédéral autrichien Werner Faymann déclarait que « l'Union européenne n’est pas intéressée par la construction d'un mur entre l'UE et la Russie, et devrait être prête à lever les sanctions ». Dès mars 2014, Le chef du gouvernement Bulgare Plamen Orecharski avait souligné la réticence de son pays à sanctionner la Russie, déclarant « Avec quelques autres pays de l'Union européenne (UE), nous sommes parmi les moins intéressés par des sanctions ». En aout 2014, le Premier ministre slovaque, Robert Fico qualifiait les nouvelles sanctions de l’Union européenne contre la Russie d’« absurdes et contreproductives ». La Hongrie est, elle aussi, hostile aux sanctions contre la Russie. Le sulfureux Premier ministre crypto fasciste hongrois, Victor Orban, que l’UMP Joseph Daul, alors président du groupe de la droite au Parlement européen serrait sur son cœur sous les applaudissements des députés de la majorité, n’est pas en reste. « Les sanctions imposées par l'Occident, c'est à dire par nous-mêmes, dont le résultat inévitable était (les sanctions) russes, nous portent davantage préjudice qu'à la Russie », ajoutant : « En politique, cela s'appelle se tirer une balle dans le pied ». Chypre aussi s'oppose à cette politique. En août 2014, lors de la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l'Union européenne, le ministre des Affaires étrangères de la République de Chypre Ioannis Kasoulides s'était déjà opposé à toute nouvelle sanction contre la Russie.

Le bilan est net. On est loin, très loin de l’unanimité au conseil des gouvernements. Par conséquent, en ce sens, les sanctions contre la Russie sont illégales du point de vue européen. Mais en juin prochain, la discussion reprend sur la levée des sanctions ou leur alourdissement. On peut donc pronostiquer une provocation armée avant la date de cette réunion, pour rallumer le brasier de la haine anti-Russe et de la main-mise sur ce qu’il faut bien appeler le nouveau protectorat ukrainien.

Mais, bien sûr, tous ces pays ne comptent pas dès que l’Allemagne a dit son mot. Surtout si les Français laissent faire, par peur de se faire gronder. Or, le gouvernement de madame Merkel est très intéressé par la mise en orbite de l’Ukraine autour de l’Europe. Une Ukraine débarrassée de l’influence des circuits productifs et commerciaux russes. Une Ukraine débarrassée de la combativité populaire et travaillant pour le système du made in Germany. C’est à dire à bas coûts salariaux. Actuellement, le salaire minimum Ukrainien est de cent euros mensuels. C’est-à-dire 30% moins cher qu’un salarié chinois. Une aubaine. Plusieurs millions de personnes travaillant à bas coût aux portes des usines d’assemblage allemandes, voilà la politique constante des gouvernements allemands depuis la décennie qui a suivi la chute du mur de Berlin. Ces gouvernements ont d’ailleurs expérimenté leurs méthodes en absorbant l’Allemagne de l’est. Toute l’Europe regardait soigneusement ailleurs pendant que s’effectuait l’annexion et le pillage. Vingt-cinq ans après, le salaire d’un Allemand de l’est n’est toujours pas celui d'un Allemand de l’ouest. Mais les machines qu’ils font fonctionner et les produits qu’ils réalisent sont de même niveau et parfois meilleur car les investissements sont plus récents. Dans cette veine, selon l’économiste Jacques Sapir, la mise sous tutelle de l’Ukraine représente dix à vingt ans de réserves humaines et de profits pour l’Allemagne vieillissante, asphyxiée par la baisse de sa population active et les exigences de ses retraités par capitalisation. L’Ukraine est donc soumise à l’application de la stratégie du choc.

Sous la surveillance du gouvernement Merkel est appliqué à ce pays la méthode qui a permis à Helmut Kohl d’annexer l’Allemagne de l’est comme la plus juteuse opération financière pour le capitalisme ouest-allemand depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Mais il faut beaucoup d’application pour que « la thérapie » soit appliquée avec succès. Surtout pour un pays comme l’Ukraine, si intimement lié à l’économie dominante du voisin. Et surtout pour un pays traversé par une révolution populaire. Car souvenons-nous qu’au point de départ la révolution place Maïdan est un mouvement populaire tourné contre les oligarques, la corruption et la vie chère. C’est un mouvement très marqué à gauche par son contenu social. Ce mouvement a été détourné pour devenir un coup d’État des ultra-nationalistes et des nazis locaux qui n’avaient au départ aucune légitimité dans le processus sinon la force armée qu’ils y ont introduite et l’usage qu’ils en ont fait, y compris contre diverses composantes du mouvement insurrectionnel. Toute proportion gardée, c’est un phénomène comparable à celui que l’on observe en France. Là aussi, un peuple agité par les grandes grèves de 1995 pour les retraites, le vote « non » pour le référendum sur la Constitution libérale européenne, se retrouve embarqué dans la querelle sur la viande hallal, le financement des mosquées et ainsi de suite, en même temps que lui est appliquée une politique de violence sociale. Jusqu’à ce que le Front national domine la scène et que la question sociale soit entièrement remplacée par la bouillie glauque de l’ethnicisme.

En Ukraine, tout le travail de base de la thérapie du choc est déjà opéré. Les violences ethniques ont saccagé le pays et semé une haine dans les populations qui a brisé tous les ressorts d’action sociale collective du peuple. Des pans larges et profonds de la société sont à la limite de la survie dans un cadre de « catastrophe humanitaire » comme disent les Grecs. En interdisant le Parti communiste, un signal a également été donné comme lors du massacre impuni d’une quarantaine de syndicalistes brulés vifs. La scène politique n’offre donc plus aucun débouché alternatif au libéralisme et à l’extrémisme ethnique. L’État de choc peut entrer dans une nouvelle phase.

La rupture avec la Russie est insupportable par l‘économie ukrainienne actuelle. Elle vit donc sous perfusion de « l’aide internationale » qui est en réalité une machine à enclencher l’annexion de l’économie locale. On connaît. Le FMI est déjà sur place pour ça. Un mémorandum est signé comme avec la Grèce d’autrefois. Y sont prévues les mesures habituelles pour placer la population sous état de choc avec toutes sortes de privations qui mettent les gens en état de lutte permanente pour la survie individuelle. Mais évidemment, la cueillette des beaux morceaux est également dans le contrat. C’est ainsi que sont prévues des mesures de pillage légal sous forme de « privatisations » et ainsi de suite. La mise à l’écart récente de quelques oligarques qui avaient pris pied en profondeur dans le régime atteste d’une redistribution des prébendes en cours. Il va de soi que la place des bienfaiteurs internationaux devrait bouger. Avec une ministre des finances ukrainienne qui était, vingt-quatre heures avant sa nomination, une citoyenne des USA, on devine que la discussion doit être saine. De son côté, l’Union européenne accorde elle aussi des prêts sans que l’on entende les habituelles pleurnicheries et cris de rage de monsieur Schaüble, le ministre de l’économie allemand. Et pour cause. L’annexion est commencée.

L’aide européenne institue un droit de regard politique sur le gouvernement local. Déjà, deux votes dans ce sens sont intervenus au Parlement européen. Chacun mentionne l’exigence d’une vigoureuse lutte contre la corruption et diverses braves considérations de cet ordre. Mais la rapporteur de la motion avouait elle-même qu’aucun progrès n’avait été observé et que d’une façon générale, aucun contrôle n’ayant été effectué, tout cela restait purement déclaratif. On pense que dans les prochains mois, l’asphyxie de l’Ukraine devrait franchir plusieurs paliers. Le risque d’explosion populaire n’est pas exclu, cela va de soi. Mais l’encadrement idéologique a été renforcé. L’emprise des néo-nazis s’est étendue avec l’arrivée d’un de leur plus éminents dirigeants à la tête de l’administration du ministère de la Défense. On peut donc penser qu’en cas de durcissement des conflits internes au pays, l’exutoire nationaliste anti-Russe sera le ressort activé sans relâche.

Dans ce contexte, évidemment la politique de stigmatisation de la Russie joue un rôle clef. Il s’agit bien de délimiter un « eux et nous », méthode de l’inclusion/exclusion assez banale. Mais il ne s’agit pas que d’une manœuvre symbolique ou seulement d’un exutoire. Il s’agit pour finir de réorganiser tous les circuits commerciaux et productifs de ce pays vers l’Union européenne, et principalement évidemment vers l’Allemagne. On sait bien que l’Allemagne ne veut pas d’une guerre avec la Russie. Qui pourrait vouloir d’un tel crime contre l’humanité ? Elle intervient donc chaque fois que nécessaire pour empêcher que les choses n’aille trop loin. Mais elle reste la première bénéficiaire dans l’Union européenne de l’état de tension actuel. Et sans doute est-elle la seule dans cet ensemble.

J’alerte. La volonté de paix est une ligne politique globale. Elle ne peut reposer sur la seule habileté de quelques négociateurs surgissant à l’improviste au cours d’une escalade comme ce fut le cas lorsque Hollande et Merkel se rendirent auprès de Poutine. Rien dans le paysage n’annonce une baisse des raisons de fond de la tension dans cette région. Les opinions publiques dans l’Union européenne sont conditionnées d’une manière irresponsable. J’ai lu un discours de l’ambassadeur russe en France, monsieur Orlov, devant l’association des anciens diplômés de Harvard (sic). J’en retiens un passage qui permet de regarder la scène telle qu’on la voit depuis le point de vue russe. Je pense qu’il y a de l’intérêt à connaître cet angle de vue pour comprendre les motivations de ceux qui sont montrés du doigt en ce moment d’une manière aussi peu conforme à nos intérêts bien compris.

« On me raconte que plus de six mille personnes civiles ont péri dans le conflit du Sud-Est de l'Ukraine. Mais on oublie de préciser que ces gens ont été tués par l'armée ukrainienne. On me raconte que ce conflit a fait des centaines de milliers de réfugiés. Ce que l'on ne dit pas c'est que la majorité écrasante d'entre eux se sont réfugiés en Russie. On me raconte que mon pays va d'ici au lendemain envahir la Pologne et les Républiques baltes pour ne s'arrêter, comme l'a prédit un général britannique, qu'au Portugal…C'est quoi ? Du délire paranoïaque ? Non. Cela s'appelle la guerre de l'information. Exalter la haine de la Russie. Créer l'image d'un ennemi. (…)

La coïncidence ne paraît-t-elle pas bizarre, que les premiers à accuser la Russie de tous les torts sont les États qui, eux, n'arrêtaient pas ces dernières années de piétiner le droit international ? Ceux qui ont soutenu les séparatistes du Kosovo, qui ont bombardé Belgrade et amputé la Serbie de 20% de son territoire, et ceci, notons-le au passage, sans aucun référendum. Ceux qui ont inventé un faux prétexte pour envahir et puis pousser dans le bourbier de la guerre civile l'Irak. Ceux qui ont pactisé avec les islamistes radicaux, d'Al-Qaïda à l'Etat Islamique, pour leur faire la guerre après. Ceux qui ont aidé les "insurgés" à démembrer la Libye, désormais en proie du chaos et de la guerre civile. Ceux qui livrent des armes aux "insurgés" syriens, prétendant qui si le régime du Damas tombe, la démocratie s'installera à sa place, quoi qu'ils comprennent bien que ce ne sera pas la démocratie, mais le Daech. Et à part ça les prisons secrètes, les tortures, la surveillance globale…

Bref, "qui sont ces juges" ? La question reste rhétorique. Nous vivons dans un monde cynique. Depuis longtemps déjà les "deux poids deux mesures" sont devenu un trait inaliénable de la politique extérieure des États-Unis et de leurs satellites. La diabolisation de la Russie en Occident atteint une limite dangereuse. Les historiens font déjà des parallèles avec le début de la Première Guerre Mondiale, parlent d'une ambiance "d'avant-guerre". Vraiment, on a l'impression que quelqu'un est en train de préparer l'opinion publique à la guerre contre la Russie, comme avant on la préparait à l'agression en Serbie, en Irak, en Libye… Mais c'est la perte complète du sentiment de réalité. L'oubli total des leçons de l'Histoire.

Je ne cherche à effrayer personne, mais la guerre contre la Russie ce serait la fin de l'humanité. Et au nom de quoi ? Peut-être pour les nationalistes ukrainiens qui ont pris le pouvoir à Kiev, qui terrorisent la population russe et glorifient les collabos nazis, qui ont ruiné l'économie ukrainienne et vivent sous perfusion financière européenne ? Peut-être qu'il est temps de se raviser ? D'arrêter cette "spirale de la folie" comme l'a appelé Jean-Pierre Chevènement, avant qu'il ne soit trop tard ? »


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