La Commission présentait ce mercredi 21 Mars 2012 un paquet législatif sur le « détachement de travailleurs ». Un terme barbare qui cache une mise en concurrence des travailleurs européens sur le territoire de chaque Etat membre décidée dès 1996 via une directive européenne. L’application de cette directive s’est confrontée à des actions syndicales d’envergure pour défendre à la fois les intérêts des travailleurs locaux et des travailleurs immigrés exploités. Ces dernières années, la Cour de Justice de l’Union européenne, chargée d’interpréter les textes européens, a condamné ces actions collectives. Elle a même mis en doute leur légitimité et notamment celle du droit de grève. Il était temps pour la Commission européenne de reformuler le droit européen. C’est ce qu’elle a fait ce mercredi et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle n’a pas écoutée les syndicats…
Les « travailleurs détachés » : définition
C’est quoi ?
Il s’agit des travailleurs qui, pendant « une période limitée », sont envoyés par leur employeur pour travailler dans un autre État membre que celui dans lequel ils exercent « habituellement » leur profession. (Le personnel navigant de la marine marchande n’est pas concerné)
Vous noterez que dans la définition la période limitée n’est pas précisée pas plus que le caractère « habituel » de l’emploi dans l’Etat dans lequel l’employeur est établi.
Comment ça marche ?
Un employeur envoie, dans le cadre d'une prestation de services transnational, un travailleur dans un autre Etat membre pour une mission temporaire dans un des cadres suivant :
-un contrat conclu entre une entreprise d'envoi prestataire de service et l’établissement destinataire de la prestation de services
-l’entreprise destinataire de la prestation de services appartient au même groupe que l’entreprise d’envoi
-un contrat conclu entre une agence d’intérim d’envoi et une entreprise d’accueil destinataire de la prestation de services
C’est légal ?
Oui. L’encadrement de ces pratiques est organisé par la directive Directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.
Vous trouverez ci-dessous le détail de cette directive et l’inégalité salariale qu’elle permet.
Ça concerne beaucoup de monde ?
Difficile à dire car les moyens de contrôle sont peu nombreux et peu encadré par la directive qui n’oblige à avoir qu’une autorité compétente en la matière…
Selon la Confédération européenne des syndicats (CES), 100 à 150 000 personnes sont concernées soit environ 2% des travailleurs migrants. La plupart vont travailler en Belgique, en France ou en Allemagne .
Toujours selon la CES :
- la moitié sont des faux détachements (travail au noir)
-pour 20 à 30% d’entre eux les dispositions pourtant minimales de la directive ne sont pas respectées
-pour 10% d’entre eux seule une partie de ces normes minimales sont respectées
-seuls les 10% restants rentre effectivement dans le cadre prévu par la directive
La directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs (DDT)
Si un État membre prévoit des conditions de travail minimales, ces dernières doivent s'appliquer aux travailleurs détachés dans cet État. Rien n'empêche l'employeur d'appliquer des conditions de travail plus favorables pour les travailleurs.
Les conditions de travail minimales à garantir concernent:
-les périodes maximales de travail / les périodes minimales de repos /la durée minimale des congés annuels payés
-le taux de salaire minimum (y compris les majorations prévues pour les heures supplémentaires) prévu par une disposition législative, réglementaire ou administrative ou par une convention collective d’application générale
-les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire;
-les normes en matière de santé, de sécurité et d’hygiène
-les mesures protectrices applicables aux conditions de travail des femmes enceintes et des femmes venant d'accoucher, des enfants et des jeunes
-les dispositions en matière de non-discrimination
Les Etats membres d’accueil peuvent octroyer des dérogations :
-dérogation au salaire minimum (après consultation des partenaires sociaux) lorsqu’il s’agit de travaux d’une durée maximale d’un mois (ne vaut pas pour les agences d’intérim)
-dérogation au salaire minimum et aux conditions de congé lorsque les travaux sont de «faible ampleur» selon les critères fixés par l’Etat membre (ne vaut pas pour les agences d’intérim)
-dérogation au salaire minimum et aux conditions de congé lorsqu’il s’agit de travaux de montage initial et/ou d’installation d'un bien fourni et que la durée maximale des travaux ne dépassent pas huit jours (ne vaut pas pour le secteur de la construction)
Cette directive pose de très graves problèmes:
-la directive permet pour un même travail de payer moins et de faire travailler dans de moins bonnes conditions un travailleur étranger qu’un travailleur de l’Etat où a lieu la prestation de service (seules les conditions minimales ont à être remplies : on crée du dumping social)
-les missions temporaires peuvent être réitérées à l’envi (on crée de fait des travailleurs immigrés de seconde classe)
- Quel salaire réel au final? En effet il est précisé que les allocations de détachement versées par l’entreprise font partie du salaire minimal, « dans la mesure où elles ne sont pas versées à titre de remboursement des dépenses effectivement encourues à cause du détachement, telles que les dépenses de voyage, de logement ou de nourriture » (or qui fixe le nombre de voyages qu’on peut ou non rembourser pour aller retrouver sa famille ? qui choisit le logement ? qui choisit ce qu’on mange ? l’entreprise bien sûr ! la marge avec ce dont le salarié a besoin est potentiellement conséquente)
-les dérogations prévues laissent la porte ouverte à tous les abus (contrats d’un mois à répétition etc)
-les moyens de contrôle sont plus que réduits : la directive ne prévoit que « un ou plusieurs bureaux de liaison ou une ou plusieursinstances nationales compétentes » (on estime que seuls 10% des travailleurs détachés voient les maigres droits que cette directive leur accorde respectés)
A noter article 45 du Traité de Lisbonne : La libre circulation des travailleurs est assurée à l'intérieur de l'Union. Elle implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. (le détachement de longue durée n’est donc absolument pas conforme au traité de Lisbonne)
Les arrêts de la Cour européenne de Justice aggravent les conséquences de cette directive est nuisible
L’arrêt Viking (Décembre 2007):
Contexte: Viking line, compagnie finlandaise de transport de passagers, est propriétaire du ferry, le Rosella. Ce ferry battait pavillon finlandais et avait un équipage essentiellement finlandais, couvert par une convention collective négociée par le syndicat des marins finlandais, le Finnish Seamen’s Union (FSU), affilié à la Fédération internationale des ouvriers du transport(ITF).
Viking line décide de faire immatriculer le Rosella en Estonie afin de pouvoir conclure une nouvelle convention collective avec un syndicat établi dans cet État et pouvoir employer un équipage estonien, rémunéré à un niveau de salaire inférieur à celui pratiqué en Finlande. Le but: concurrencer les ferries estoniens naviguant sur la même liaison maritime.
L'ITF adressa alors une circulaire imposant à ses affiliés de ne pas négocier avec Viking Line. Elle bloque donc toute négociation avec les syndicats estoniens.
De son côté, la FSU décide de faire grève pour exiger que Viking Line continue à respecter le droit de travail finlandais et ne licencie pas l'équipage finlandais.
Viking line porte plainte.
L’interprétation de la Cour européenne de Justice :
L’action collective de l’ITF n’était pas « proportionnée ».
La Cour réitère l’obligation des Etats membres de respecter le droit de grève mais explique que toute action collective doit être «proportionnée» au motif du litige et peut être restreinte par le droit communautaire. Elle explique qu’il doit y avoir un juste équilibre entre le droit de mener une action collective et le droit de prestation de service et de libre établissement… Cette nouvelle notion implique que toute action collective puisse désormais être contestée sous prétexte de non proportionnalité ou d’atteinte abusive à la liberté d’établissement ou de prestation de service. Désormais, c’est le juge qui décide si une action collective est un moyen approprié ou non de lutter contre une délocalisation!
A noter : L’incertitude résultant cette appréciation a été condamnée par le Comité des experts de l’OIT comme ayant « un effet restrictif significatif sur l’exercice du droit à la grève dans la pratique d’une manière contraire à la Convention de l’OIT C87 »
Rappel : le droit d’action collective dans le traité de Lisbonne se trouve uniquement à l’article 28 de la charte des droits fondamentaux
Article 28
Droit de négociation et d'actions collectives
Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont, conformément au droit de l'Union et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d'intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève.
L’arrêt Laval (Décembre 2007)
Contexte :
L’entreprise de construction lettone Laval un Partneri a détaché des travailleurs lettons sur des chantiers de construction en Suède (rénovation d’école dans la ville de Vaxholm) via sa filiale locale.
Mais l’entreprise a refusé de signer une convention collective avec le syndicat des travailleurs du secteur de la construction suédois et de respecter la législation suédoise sur les conditions de travail et le salaire minimum.
Les syndicats suédois ont donc entrepris des actions collectives contre l’entreprise Laval (blocus de chantier).
Laval a fait faillite localement et a porté plainte.
L’interprétation de la Cour européenne de Justice :
Le blocus est illégal car il n’y a pas de salaire minimal clair en Suède.
Selon la Cour, le blocus d’un chantier de construction afin de contraindre un prestataire de service étranger à entamer des négociations sur les salaires et à signer des conventions collectives est illégal dans le cadre des règles européennes sur la libre prestation des services.
Si elle admet que le blocus du chantier de construction de Laval était destiné à protéger les travailleurs suédois contre une éventuelle pratique de dumping social, ce qui « peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général», elle n’en affirme pas moins que l’action est illégale. Pourquoi ? Parce que les dispositions de la loi suédoise sur le salaire minimum ne sont pas suffisamment précises et accessibles. « Un État membre dans lequel les taux de salaire minimal ne sont pas déterminés par l'une des voies prévues (des dispositions législatives, réglementaires ou administratives et/ou par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale), n'est pas en droit d'imposer, aux entreprises établies dans d'autres États membres, dans le cadre d'une prestation de services transnationale, une négociation au cas par cas, sur le lieu de travail, tenant compte de la qualification et des fonctions des salariés, afin qu'elles aient connaissance du salaire qu'elles devront verser à leurs travailleurs détachés »
Bref. L’insécurité salariale liée à l’absence de règle est légale. Elle rend même illégale car contraire à la liberté de prestation de services l’action collective visant à obtenir une sécurité salariale
L’arrêt Ruffert (Avril 2008)
Contexte :
En Allemagne, l’entreprise Objekt und Bauregie GmbH & Co obtient un contrat de marché public auprès de la Basse Saxe pour des travaux de construction qu’elle sous-traite à une firme polonaise. Cette dernière s’engage à garantir le respect des taux salariaux en vigueur sur le site (convention collective).
Le contrat a été annulé par la Basse Saxe lorsqu’on a découvert que les travailleurs polonais gagnaient en fait 46,57 % du salaire minimum applicable au secteur de la construction.
L’entreprise a entrepris une action en justice.
L’interprétation de la Cour européenne de Justice :
La convention collective ne visait que les marchés publics. Elle n’est donc pas applicable aux travailleurs détachés. Aux yeux de la Cour il ne s’agit donc pas d’une convention collective d’application générale ou ayant «un effet général sur toutes les entreprises similaires appartenant au secteur ou à la profession concernés et relevant du champ d’application territoriale de (celle-ci)». Il ne s’agissait pas non plus d’une convention collective « conclue par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives au plan national et appliquée sur l’ensemble du territoire national ». La Cour a donc statué en faveur de l’entreprise arguant que le salaire minimum demandé n’était pas valide au vu de la directive… Les choix salariaux de l’entreprise prévalent donc sur les règles du marché public concerné.
L’arrêt Luxembourg (Juin 2008)
Contexte :
Le Luxembourg avait décidé d’ajouter aux conditions de travail prévues par la directive concernant le détachement des travailleurs, un certain nombre de dispositions « d’ordre public » que les employeurs qui procédaient au détachement de travailleurs au Luxembourg devaient satisfaire. Notamment :
- l’adaptation automatique des rémunérations en fonction du coût de la vie.
- la réglementation du travail à temps partiel et du travail à durée déterminée.
- le respect des conventions collectives
Si la mise en place de dispositions d’ordre public est prévue par la directive, la Commission européenne a jugé l’interprétation luxembourgeoise trop extensive.
L’interprétation de la Cour européenne de Justice :
Elle a statué en expliquant qu’un Etat membre ne peut pas obliger un prestataire de service étranger à satisfaire aux dispositions de l’ensemble du droit du travail national.
Pour elle la législation luxembourgeoise était abusive. Il fallait la réformer.
Donc l’Etat membre ne peut appliquer que des minimas aux travailleurs détachés et encore pas tous… Seule l’entreprise a le droit d’offrir des conditions de travail plus avantageuses, pas l’Etat dans lequel exercent les travailleurs. Bref, les entreprises font la loi pour leurs travailleurs détachés dans un Etat membre
Des propositions pertinentes : celles de la Confédération européenne des syndicats (CES)
Une Clause de Progrès Social
Il s’agit d’un protocole à annexer aux Traités européens et ayant la même valeur légale.
Son but : rétablir l’équilibre entre les libertés économiques et les droits sociaux fondamentaux.
Un règlement n’est pas suffisant pour rétablir l’équilibre :
- un règlement doit être interprété à la lumière des Traités (droit secondaire). Un protocole se situe au plus haut niveau du droit communautaire (droit primaire).
- un règlement affirmant simplement que les libertés économiques et les droits sociaux fondamentaux sont tout aussi importants ne ferait que renforcer la jurisprudence de la CJE là où un protocole l’obligerait à une nouvelle interprétation
La clause :
-Le marché unique n’est pas une fin en soi, mais est créé pour réaliser des progrès sociaux pour les résidents de l’Union
-Les libertés économiques et les règles de concurrence ne peuvent pas avoir la priorité sur les droits sociaux fondamentaux et le progrès social. De plus, en cas de conflit, les droits sociaux doivent être prioritaires
-Les libertés économiques ne peuvent pas être interprétées comme des éléments donnant droit aux entreprises d’esquiver ou de détourner les lois et pratiques professionnelles et sociales nationales, ou à des fins de concurrence déloyale au niveau des salaires et des conditions de travail
Des axes pour la révision de la directive concernant le détachement des travailleurs (DDT)
Pour la CES, les principales dispositions de la DDT nécessitent une révision. Une directive d’application n’est pas suffisante. Voici ce que la CES propose de modifier :
- Les objectifs de respect des droits des travailleurs et d’assurer un climat de concurrence équitable, doivent être clarifiés
- Les syndicats européens doivent être autorisés à aborder et à mettre sous pression de manière égale les entreprises locales et étrangères
- Un traitement égal en matière de salaire doit être garanti, par opposition au paiement du salaire minimum
- Les différents modèles de relations industrielles doivent être plus clairement respectés
- Les autorités publiques doivent être autorisées, via des clauses sociales dans le marché public, à réclamer le respect des conventions collectives applicables
- Des mécanismes de contrôle et de mise en œuvre efficaces doivent être mis en place
>> nomination d’un représentant pour assumer les responsabilités de prestataire de services en tant qu’employeur
>> notification préalable par les fournisseurs de service du détachement prévu
>> obligation de garder et conserver les documents pertinents dans le territoire du pays d’accueil
>>lutte contre le faux travail indépendant : l’entité compétente doit recevoir les moyens nécessaires pour vérifier que le « travailleur indépendant » n’est pas employé de manière répétitive et pour une part très importante par le même employeur et qu’il n’existe pas de lien de dépendance entre le travailleur indépendant et un tel employeur
>> sanctions efficaces et dissuasives pour protéger les travailleurs contre les abus
- La DDT ne doit couvrir que les situations de détachement réellement temporaire
>> Introduire la présomption légale que le lieu de travail habituel est l’État membre d’accueil, sauf s’il est établi qu’il est réellement question d’un détachement de travailleur.
>> Le détachement devrait être de courte durée. Les travailleurs détachés pour une plus longue période doivent être considérés comme des employés habituels de l’État membre d’accueil. (la Commission parle d’une limite de deux ans, c’est strictement inacceptable)
>> Assurer qu’un changement de statut de travailleur détaché en travailleur habituellement employé dans l’État membre d’accueil ne mène pas à une détérioration des modalités et conditions d’emploi du travailleur.
>> Le détachement doit être justifié dans le cadre d’une véritable prestation de services transnationale (lutter contre les entreprises boîte aux lettre en vérifiant l’existence d’une relation professionnelle habituelle d’au moins trois mois dans l’État membre d’origine et l’existence d’une réelle activité économique)
>> Des critères tant quantitatifs que qualitatifs pour déterminer l’existence d’une réelle situation de détachement. (stop aux successions de contrats)
- L’interprétation très restrictive des dispositions d’ordre public doit être révisée de façon à inclure les objectifs sociaux et la protection des travailleurs
Le paquet législatif présenté par la Commission n’améliore rien, pire : il aggrave les choses en cassant le droit de grève
Une directive précisant l’application de la directive détachement de travailleurs
Le but est toujours le même : Art. 1.1« garantir le respect d'un niveau approprié de protection minimale des droits des travailleurs détachés à des fins de prestation de services, tout en facilitant l'exercice de la liberté de fournir des services pour les fournisseurs de services et de promouvoir un climat de concurrence loyale entre fournisseurs de services »
Le texte prend ses précautions: Art. 1. 2. « La présente Directive ne peut-être être interprétée comme portant atteinte de quelque façon l'exercice des droits fondamentaux tels que reconnus dans les États membres et par le droit de l'Union, y compris le droit ou la liberté de grève ou de prendre les autres mesures couvertes par les systèmes spécifiques de relations industrielles dans les États membres, conformément à la législation et aux pratiques nationales. Ni elle n'affecte pas le droit de négocier, de conclure et d'appliquer les conventions collectives et de réaliser des actions collectives conformément à la législation et aux pratiques nationales. »
A part ça que trouve-t-on dans le texte ?
-la limitation du détachement n’est toujours pas définie (à partir de quand peut-on considérer qu’on n’est plus dans du détachement temporaire ? 3 mois ? 6 mois ? Pensez que la Commission a osé proposer…2 ans !)
-Un petit bémol à la possibilité de cumuler les contrats de détachement sur un même poste est introduit : « les périodes antérieures au cours de laquelle le poste a été comblé par le même ou un autre (affiché) travailleur » devront être « examinées ». Intéressant mais examiné par qui, avec quels moyens? (art.3.2)
-Il n’est demandé qu’ « au moins une » autorité compétente par Etat pour surveiller tout cela (rien de nouveau par rapport à la directive de base alors que le manque de contrôle explique le grand nombre de fraudes à une législation déjà injuste, voir le cas des travailleurs polonais de Flamanville par exemple) (art.4)
-Bien entendu les contrôles sont de la responsabilité et aux frais de l’Etat : « Les États membres veillent à ce que les vérifications appropriées et des mécanismes de contrôle sont mis en place et que des inspections efficaces et adéquates sont effectuées sur leur territoire afin de contrôler et moniteur conformité avec les dispositions et les règles fixées dans la Directive 96/71/ce et de garantir sa bonne application et à l'application » ; « Les États membres où les inspecteurs du travail n'ont aucune compétence à l'égard du contrôle et de suivi des conditions de travail et les conditions d'emploi des travailleurs détachés devraient, par voie d'exception, après avoir consulté les partenaires sociaux au niveau national, établir ou maintenir des dispositions garantissant le respect de ces termes et conditions d'emploi, pourvu que les dispositions offrent aux personnes concernées un degré adéquat de protection équivalent à celui résultant de la Directive 96/71/ce et de la présente Directive. » Tout cela est fait pour bénéficier aux entreprises. Portant c’est à l’Etat de casquer ! (art.10)
-Le respect des droits syndicaux ? Seulement pour faire respecter la directive : « Les États membres veillent à ce que les syndicats et autres tierces parties, comme les associations, organisations et autres entités juridiques qui ont, conformément aux critères fixés par leur législation nationale, un intérêt légitime à assurer que les dispositions de la présente Directive sont respectées, peuvent engager, en leur nom ou en soutien des travailleurs détachés ou leur employeur, avec leur approbation toute procédure judiciaire ou administrative prévue ayant pour objectif de la mise en œuvre de la présente Directive ou faire respecter les obligations découlant de la présente Directive » (Il ne s’agit pas de faire respecter l’intérêt des travailleurs mais l’application de la directive !) (art.11)
-Un bon point : l’entreprise qui sous-traite peut être tenue pour co-responsable pour « tout salaire net impayé correspondant aux taux minimum de salaire », «tout impôt ou cotisations sociales indûment retenus sur le salaire ». C’est la conséquence du scandale des travailleurs polonais de Flamanville et du très gros travail réalisé par la CGT : désormais les entreprises comme Bouygues y regarderons à deux fois avant de négocier avec des entreprises déjà dénoncées pour avoir exploité des travailleurs détachés comme c’était le cas d’Atlanco* (art.12)
-Amendes transfrontalières : « l’autorité compétente » de l’Etat membre où le travailleur est détaché peut demander à celle de l’Etat membre où l’employeur est établi d’infliger une amende à une entreprise pour manquement à la directive.
Oui mais voilà il y a un bémol. Cette disposition est valable « sauf si cette amende est contestée dans l’Etat membre d’établissement ». Par qui ? Comment ? Aucune précision(art.13)
Le règlement qui casse le droit de grève
Même précaution que pour la directive :« Le présent règlement ne saurait être interprété comme portant atteinte de quelque façon l'exercice des droits fondamentaux reconnus dans les États membres, y compris le droit ou la liberté de grève ou de prendre les autres mesures couvertes par les systèmes spécifiques de relations industrielles dans les États membres conformément à la législation et aux pratiques nationales. Elle n'affecte pas non plus le droit de négocier, de conclure et d'appliquer les conventions collectives et de prendre des mesures collectives conformément à la législation et aux pratiques nationales. » (article 1)
Pour mieux nier le droit de grève : « L'exercice du droit fondamental de réaliser des actions collectives, y compris le droit ou la liberté de grève, doit respecter la liberté d'établissement et la libre prestation des services énoncés dans le traité et à l'inverse, l'exercice de ces libertés économiques doit respecter les droits fondamentaux. » (article 2)
(Vous avez bien lu ! Ce n’est pas à la liberté de prestation de service et d’établissement de céder le pas devant le droit de grève mais l’inverse ! Le droit de grève n’est pas rappeler dans la partie mentionnant la réciprocité or les textes européens ne sont pas avares de répétition. Le simple fait de mettre les deux sur un plan d’égalité est scandaleux mais l’inégalité sous-entendue l’est évidemment encore plus !)
Ce serait désormais au juge de décider si une grève est légitime ou non : « Le recours à des mécanismes alternatifs non judiciaires extrajudiciaire s’entend sans préjudice du rôle des juridictions nationales dans des conflits de travail dans les situations visées au paragraphe 1, (…) en particulier pour apprécier les faits et interpréter la législation nationale, et, afin de déterminer si et dans quelle mesure une action collective, en vertu de la législation nationale et de la convention collective applicable à cette action en ce qui concerne le champ d'application du présent règlement, ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis, sans préjudice du rôle et des compétences de la Cour de Justice. » (article 3.4)
* Le cas de Flamanville
L’agence d’intérim irlandaise Atlanco-Ruimec, basée à Chypre, et son donneur d’ordre Bouygues sont mis en cause par 32 ouvriers polonais du chantier de l’EPR Flamanville. L’affaire est en cours aux prud’hommes de Cherbourg. La décision est attendue cette semaine.
Que s’est-il passé ?
A Flamanville, plus de 200 ouvriers polonais recrutés en Pologne l'intermédiaire de l’agence d’intérim du BTP irlandaise basée à Chypre Atlanco-Rimec, ont travaillé pour le compte de Bouygues sur le chantier de l'EPR. Ce sont des « travailleurs détachés » en France par leur employeur chypriote.
Fin Juin 2011, Bouygues rompait son contrat avec Atlanco après que l'ASN (l’autorité de sureté nucléaire) a transmis à la justice un procès-verbal recensant cent douze accidents du travail survenus en 2010 sur le chantier dont trente-huit accidents « à déclarer n'ayant pas fait l'objet d'une déclaration ».Elle avait en outre a repéré des anomalies liées à la protection sociale des travailleurs polonais. Malgré des demandes répétées, elle n’a obtenu aucune des informations réclamées auprès de la société chypriote comme le numéro de sécurité sociale des salariés.
Ce qu’il faut savoir :
-Les ouvriers polonais percevaient, à qualifications égales, un salaire 50% plus faible que leurs collègues français
-Des centaines d’euros (on parle de sommes allant jusqu’à 700 euros) étaient prélevés chaque mois sur les fiches de paie des ouvriers polonais pour des cotisations sociales
Dans les faits
-les intérimaires de Flamanville n'avaient pas la carte communautaire assurant la couverture des frais de santé dans l'espace européen
-en cas d’accident, les blessés étaient renvoyés en Pologne où ils n'avaient droit à aucune couverture médicale, faute de cotisations
-Les cotisations étaient versées à une assurance privée avecne couvrant quasiment rien sauf le décès
-quand les ouvriers polonais étaient malades ils allaient chez le médecin avec la femme du contremaître laquelle réglait la note…
-en cas d’arrêt maladie les ouvriers polonais n’étaient pas payés
-Des centaines d’euros (on parle de sommes allant jusqu’à 300 euros) leur étaient aussi prélevés pour soit disant verser à l’Etat français les impôts sur le revenu des travailleurs … Absolument faux bien sûr !
Le même traitement des intérimaires polonais d’Atlanco avait déjà été dénoncé en 2008 sur le chantier de Bouygues à Olkiluoto, pour l’EPR finlandais.
A l’été 2008, ils avaient menacé de faire grève et avaient fini par obtenir un accord compensatoire avec l’aide des syndicats locaux.
Bouygues ne pouvait pas ne pas savoir.