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siim-kallasSiim Kallas c’est le nom de l’Estonien qui est en charge du rail à la Commission européenne. Un enragé dogmatique dans l’offensive contre les services publics. Sa prochaine cible, c'est le TGV et les trains « grandes lignes ». Ainsi que l'ensemble du système ferroviaire et de sa gestion. La Commission doit en effet présenter son "quatrième paquet ferroviaire" le 30 janvier. Elle se propose de détruire ce qu'il reste du service public ferroviaire.

On devine la sacro-sainte motivation de ce nouveau délire. La Commission européenne veut renforcer la concurrence dans les transports ferroviaires. Pour cela, elle veut séparer encore plus strictement qu'aujourd'hui la gestion du réseau ferré et l'exploitation des lignes. Sans être trop technique, je m'explique. Ces deux activités sont séparées et exercées par des entreprises différentes. D'un côté, Réseau ferré de France (RFF) gère l'infrastructure, c'est-à-dire les voies, leur entretien, leur rénovation. RFF attribue aussi les droits de passage aux compagnies ferroviaires : les sillons. De son côté, la SNCF exploite les lignes en proposant des trains parfois en concurrence avec des opérateurs privés pour le fret ou le transport international de passagers. Mais dans les faits, RFF est une coquille presque vide. Pour assurer la gestion quotidienne, RFF a en fait recours à une filiale de la SNCF appelée « SNCF Infra ». C'est dire le degré de bêtise de cette séparation ingérable ! En attendant, c’est cette branche de la SNCF qui effectue la gestion et la maintenance quotidiennes du réseau ferré pour le compte de RFF.

Pour la Commission européenne, c'est une atteinte insupportable au dogme de la "concurrence libre et non faussée" ! Le commissaire européen chargé des transports, l'Estonien Siim Kallas, a donc mijoté un plat très épicé. Son avant-projet de réforme exige une séparation totale entre le gestionnaire du réseau et les exploitants des lignes. C'est "l'Unbundling". Le bon sens montre au contraire que l'efficacité et la qualité du service public exigent de revenir à une intégration beaucoup plus forte entre le gestionnaire et l'exploitant et même, dès que possible, à une entreprise unique. Mais le dogmatisme du commissaire est sans limite. Frédéric Cuvillier lui-même, le ministre des Transports français, a estimé devant deux commissions de l'Assemblée nationale que cette décision "n'a pas de nécessité, ne s'explique pas" et que "le commissaire Kallas doit remettre le métier sur son bureau". Manifestement, il n'a pas été assez clair. Le fanatique estonien a répondu avec une rigidité absolue : "notre proposition reste en l'état à ce stade. Nous ne l'avons pas modifié d'un iota. Notre philosophie n'a pas changé sur la séparation". Philosophie ? Ce type devrait soigner ses traductions. Faux jeton comme pas un, à propos de ses échanges avec le ministre français, il a même ajouté "il n'y avait pas de divergences radicales. Les divergences portaient sur des détails, elles peuvent être réglées sans trop de soucis".

De deux choses l'une. Soit le commissaire européen ment et il s'apprête à fouler aux pieds l'opposition de la France dans une grande brutalité libérale. Soit le commissaire européen dit vrai et la résistance du ministre français n'est en fait qu'un jeu de rôle de pacotille. Nous avons toutes les raisons d'être inquiets. Car le gouvernement Ayrault ne semble s'opposer que très mollement. C'est en tout cas ce que nous enseigne un autre aspect de ce dossier. Car le projet de la Commission européenne prévoit aussi la libéralisation totale du transport ferroviaire avec l'ouverture à la concurrence de l'ensemble des trains grandes lignes dont le TGV. Le journal Les Echos a révélé le 10 janvier dernier les projets de la Commission sur le sujet. Consternant !

Il faut savoir que le fret ferroviaire est déjà ouvert à la concurrence depuis 2006. Les lignes internationales, comme Paris-Turin, sont elles aussi déjà ouvertes à la concurrence depuis 2009. Les lignes régionales sont menacées à brève échéance, d'ici 2019. Seules les grandes lignes desservant uniquement des villes françaises, trains Corail et TGV, étaient jusqu'à présent épargnées. Je dis "épargnées" car le bilan de l'ouverture à la concurrence est effrayant comme après chaque privatisation. Par exemple, dans le fret, la libéralisation et l'ouverture à la concurrence a eu pour conséquence une baisse du transport ferroviaire au profit du transport routier ! Selon les chiffres de l'INSEE, en 2005, dernière année avant l'ouverture à la concurrence, le fret ferroviaire représentait 10,9% du transport de marchandises en France. Depuis l'ouverture à la concurrence, la part du ferroviaire a progressivement chuté à 9,5% en 2011. Et encore, c'est sans compter l'année 2010 où le ferroviaire a atteint un plus bas historique. Cette année-là, à peine 8,6% des marchandises ont été transportées par le rail. Du jamais vu depuis des décennies ! En parallèle, le transport routier est en hausse. Sa part dans le transport de marchandises est passée de 87% en 2005 à près de 89% en 2011. L'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire est donc une politique anti-écologique. Elle aboutit à mettre davantage de camions sur les routes !

Il y a tout lieu d'avoir les mêmes craintes pour le transport de voyageurs. Car les mêmes causes produiront les mêmes effets. Pour gagner des appels d'offres, les concurrents de la SNCF vont chercher à casser les coûts. Pour cela, ils rogneront sur la sécurité, la qualité, la régularité, les conditions de travail des salariés et ainsi de suite comme d’habitude. Et les usagers, pardon « les clients », auront de moins en moins envie de prendre le train. S'ils en ont encore la possibilité. Car la Commission propose l'éclatement total du système ferroviaire. Selon « Les Echos », la Commission propose que l'exploitation de chaque ligne fasse l'objet d'un appel d'offre spécifique. Comprenez le désastre. Avec un appel d'offre distinct par ligne, il sera impossible de compenser des pertes sur une ligne par des bénéfices sur une autre. C'est la fin du système qui permet la péréquation entre les lignes. C'est un principe fondamental du service public qui est mis à mal. Bien sûr, les groupes privés ne seront intéressés que par les lignes les plus rentables. Et les autres seront donc progressivement délaissées sinon abandonnées. Ce qui obligera les usagers à se reporter sur la voiture pour leurs déplacements.

D'autant que la Commission européenne a choisi l'option la plus brutale. Elle a ainsi écarté l'idée d'accorder l'exploitation de plusieurs lignes à la fois, par lots ou par secteurs géographiques au profit d'une vente à la découpe, ligne par ligne. Même le journal « Les Echos » écrit que "les modalités prévues pour cette libéralisation sont propices à faciliter l'arrivée de nouveaux acteurs. Bruxelles prévoit que cette concurrence se fasse en « open access » : tout le marché est ouvert, et chacun vient sur la ligne qui l'intéresse quitte à délaisser les liaisons non rentables. L'exécutif européen n'a donc pas retenu l'autre option envisagée au départ, à savoir les franchises : une entreprise gagne l'exploitation de toute une zone géographique, avec des obligations de desserte". Pour la Commission européenne, le transport ferroviaire est une marchandise comme les autres. Elle ne s'embête pas avec l'aménagement du territoire, l'égalité d'accès sur tout le territoire, de l'égalité devant les tarifs ni aucune des préoccupations de la conception républicaine de la vie en société.

Qu'en pense le gouvernement Ayrault ? Interrogé sur l'ouverture à la concurrence des grandes lignes et du TGV, le ministre des Transports a été bien timide. Il aurait dû refuser absolument toute nouvelle ouverture à la concurrence. Devant les commissions des affaires européennes et du développement durable de l'Assemblée nationale, son opposition s'est limitée à "nous avons demandé 2019 et pas avant". On comprend que le commissaire européen n'ait pas eu très peur. De mon côté, je dis clairement ceci : si la Commission s'entête dans son aveuglement et sa brutalité, la France devra désobéir. Et ne pas appliquer le "quatrième paquet ferroviaire". Avant de revenir sur les trois premiers.


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